POLOGNE. (suite)
Wajda et le renouveau du cinéma polonais.
Un renouveau apparaît dans les premiers essais de Krzysztof Zanussi*, cinéaste de la conscience morale qui dénonce le mensonge, le carriérisme et milite en faveur de la responsabilité de l'individu devant les mécanismes sociaux aliénants. Les années 70 apporteront un vent nouveau. La critique sociale d'abord plus ou moins masquée derrière des allégories, des symboles s'inscrit en clair avec une audace grandissante et aboutira en 1977 à l'Homme de marbre de Wajda. L'écriture cinématographique s'éloigne insensiblement de la métaphore, du baroque pour rejoindre un réalisme critique très « direct ». En un certain sens, on note un adieu au romantisme. En 1972, une nouvelle modification des unités de production survient (Silesia, Panorama, Kadr, Pryzmat et deux unités inchangées Tor et Iluzjon). Autour de Wajda, de Zanussi, qui brillent dans les festivals internationaux, certains cinéastes poursuivent avec éclat leur carrière, comme Kazimierz Kutz avec sa trilogie silésienne (le Sel de la terre noire, 1970 ; la Perle de la Couronne, 1971 ; les Grains du rosaire, 1980), Wojciech Has avec la Clepsydre (1973), Tadeusz Konwicki avec Si loin si près (1972), ou entament la leur avec brio comme Andrzej Żulawski* (la Troisième Partie de la nuit, 1972). Le public polonais, toujours friand de grandes fresques historiques (les Paysans [Chłopi] de Jan Rybkowski en 1973 ; le Déluge de Jerzy Hoffman* en 1974), peut découvrir de nouveaux auteurs (Witold Leszczyński, Henryk Kluba, Janusz Majewski, Andrzej Trzos-Rastawiecki, Roman Zaluski, Grzegorz Krolikiewicz, Edward Żebrowski, Andrzej Kondratiuk, Antoni Krauze, Marek Piwowski, Janusz Zaorski*).
Le cinéma des années 70 reflète parfaitement l'évolution de la société polonaise, ses doutes, ses révoltes, ses déchirements moraux, idéologiques et politiques. Il sera certainement impossible aux futurs historiens de relater l'histoire de la Pologne, celle qui relie l'époque de Gomulka à celle de Lech Wał ¸esa, sans recourir à des références cinématographiques. La libéralisation des « années Solidarité » entraîne Zanussi à préciser sa pensée (de Camouflage [1977] à la Constance [1980], le cinéaste, sans faire ouvertement appel à des thèmes politiques, rend compte avec acuité des malaises de la société socialiste), Wajda à tourner l'Homme de fer (qui remporte la Palme d'or au festival de Cannes 1981 et aura un profond retentissement international) et plusieurs autres cinéastes à filmer tout haut ce que l'on exprimait tout bas depuis une dizaine d'années (Krzysztof Kieslowski*, Agnieszka Holland*, Janusz Kijowski, Feliks Falk*). Une nouvelle éclosion de cinéastes apparaît (Krzysztof Wojciechowski, Tomasz Zygadło, Wojciech Marczewski*, Piotr Szulkin, Filip Bajon*, Juliusz Machulski).
La crise du cinéma polonais.
L'avènement du général Jaruzelski à la tête de l'État, la mise hors la loi du syndicat Solidarité (oct. 1982) ont d'immédiates répercussions sur le travail des cinéastes dont beaucoup s'étaient rangés sous la bannière du syndicat dissous. Certains d'entre eux choisissent l'exil, d'autres le silence. La crise économique plonge la Pologne des années 80 dans l'incertitude et le doute. La crise financière et les soubresauts politiques ont pour immédiates conséquences la raréfaction des tournages, la désaffection du public qui s'éloigne de plus en plus des salles de cinéma pour se réfugier dans le giron de la télévision, l'accumulation des obstacles auxquels se heurtent les cinéastes qui souhaiteraient pouvoir réaliser des œuvres personnelles. Wajda et Zanussi poursuivent leur carrière à l'étranger sans pour autant rompre les liens avec leur pays natal (après avoir tourné Danton [1982] et Un amour en Allemagne [1983] hors de Pologne, Wajda est autorisé en 1985 a reprendre le chemin des studios polonais, Zanussi remporte le Lion d'or du Festival de Venise 1984 avec l'Année du soleil calme, une coproduction américano-germano-italo... polonaise). Les autres metteurs en scène s'aventurent avec circonspection dans la description de la réalité et choisissent des sujets plus neutres. D'autres se spécialisent dans les films de genre, notamment des comédies policières ou musicales (Juliusz Machulski sera un digne représentant d'un cinéma populaire qui aligne de nombreux succès publics de Va Banque [1981] à Déjà vu [1989]), des évocations historiques, des sujets de science-fiction, des adaptations littéraires.
En 1987 Krysztof Kieśtowski remporte l'adhésion du public et de la critique avec son Décalogue, une série de dix films produits au départ par et pour la télévision qui s'impose non seulement en Pologne mais également sur les écrans de cinéma internationaux. (Tu ne tueras point [Króki film o zabijaniu] 5e épisode du Décalogue gagne le Grand Prix du Festival national de Gdańsk puis le Prix Spécial du Jury au Festival de Cannes et le « Felix » du meilleur film européen à Berlin). Lorsque l'émergence d'une nouvelle démocratie surgit en 1989 avec Lech Wał¸esa comme Président l'espoir renaît pour la culture et tout particulièrement pour le cinéma (des films jusqu'alors interdits comme l'Interrogatoire [Przesluchanie] de Ryszard Bugajski tourné en 1982 obtiennent enfin leur visa de sortie).
Mais l'euphorie sera de courte durée et le gouvernement polonais, à l'instar de nombre de ses voisins d'Europe centrale, opte pour la privatisation de l'industrie cinématographique. Le cinéma hollywoodien envahit les salles de cinéma (en 1991 tous les succès du box-office sont américains) et les metteurs en scène polonais éprouvent beaucoup de difficultés à se frayer un passage dans la nouvelle donne du marché. Cependant Kazimierz Kutz, Janusz Majewski, Wojciech Marczewski, Filip Bajon, Feliks Falk poursuivent leur carrière tandis que surgissent de nouveaux noms parmi lesquels Dorotea Kedzierzawska, Jan Jakub Kolski, Lech Majewski, Radosław Piwowarski et l'acteur-réalisateur Jerzy Stuhr. La mort de Kieśłowskí en 1996 est une grande perte pour le cinéma polonais qui semble néanmoins retrouver vers la fin des années 90 la complicité des spectateurs toujours très attirés par les comédies (Kiler de Machulski, 1997) ou les grandes fresques romantico-historiques (en 1999 Pan Tadeusz de Wajda, Par le fer et par le feu de Jerzy Hofman sont de grands succès). En 2001, le vétéran Jerzy Kawalerowicz tourne une superproduction, Quo Vadis, qui n'est pas sans évoquer, par l'ambition des moyens mis en œuvre, le Pharaon qu'il avait réalisé vingt-cinq ans plus tôt.