ÉTATS-UNIS. (suite)
La tradition britannique,
pour sa part, a marqué l'ensemble de la culture américaine et non le seul cinéma. Elle s'explique par des raisons linguistiques et socioculturelles, l'Angleterre n'ayant jamais cessé d'être considérée par l'Amérique (surtout l'Amérique lettrée et conservatrice) comme une seconde mère patrie. C'est l'équivalent, en termes culturels, du phénomène politique bien connu de la solidarité anglo-saxonne. L'influence de cette tradition est particulièrement nette dans le domaine théâtral, où l'Angleterre dispose non seulement de nombreux auteurs, mais aussi de nombreux acteurs de talent, qui ont souvent mené une carrière hollywoodienne de pair avec leur activité scénique. Il est frappant de constater que deux réalisateurs parmi les plus importants d'Hollywood, D. W. Griffith et Orson Welles, ont d'abord été des hommes de théâtre et par conséquent des anglomanes. Chez le premier, cette anglomanie se traduit aussi bien dans le Lys brisé (1919), situé à Londres, que dans America (1924), où la guerre d'Indépendance est présentée comme une fratricide guerre civile. Le second imprimera sa marque à Jane Eyre (1944), adaptation par l'Anglais Robert Stevenson du roman « gothique » de Charlotte Brontë, dans laquelle Welles interprète Rochester, et exprimera à plusieurs reprises son admiration pour Shakespeare (Macbeth, 1948 ; Othello, 1955 ; Falstaff, 1969).
Plus précisément, la tradition britannique a enrichi Hollywood de deux manières. D'une part, en servant de caution culturelle, les classiques adaptés au cinéma appartenant très souvent à la littérature anglaise, victorienne en particulier. Du Conte de deux cités de J. Stuart Blackton (1911) à Jane Eyre, en passant par David Copperfield de Cukor (1935), les exemples abondent. On a aussi beaucoup puisé dans la littérature d'aventures, d'évasion, d'épouvante, domaine où la Grande-Bretagne est richement dotée : Kipling, Conrad, Stevenson, entre autres, ont eu les faveurs d'Hollywood ; les chefs-d'œuvre du fantastique ont pour source Stevenson (Dr. Jekyll et Mr. Hyde, Mamoulian*, 1932), Mary Shelley (Frankenstein, Whale, 1931 ; id., K. Branagh, 1994), Bram Stoker (Dracula, Browning, 1931 ; F. F. Coppola, 1992), Oscar Wilde (le Portrait de Dorian Gray, Lewin, 1945). Cette tradition demeure vivante, comme en témoignent l'Homme qui voulut être roi de Huston d'après Kipling (1975) ou Mary Reilly de Stephen Frears qui fait référence, parricochet, à Stevenson (1995). Dans les années 20 et 30, on compte de nombreux films exaltant l'impérialisme britannique et les valeurs qu'il incarne ; même l'« Irlandais » John Ford sacrifie à ce genre à plusieurs reprises (la Patrouille perdue, 1934 ; la Mascotte du régiment, 1938).
D'autre part, Londres a, ainsi que Dublin, fourni à Hollywood un grand nombre d'acteurs, des réalisateurs (Hitchcock, de loin le plus célèbre, n'est pas un cas isolé) et des techniciens. Parmi les comédiens, qu'il suffise de citer Ronald Colman, interprète idéal du cinéma « impérial », ou Cary Grant, capable de retrouver soudain ses origines « cock ney » (Sylvia Scarlett, Cukor, 1935). Aussi certains films hollywoodiens sont-ils plus britanniques que nature : Jane Eyre, déjà cité, ou Rebecca (1940), réalisé par Hitchcock sur un sujet anglais (Daphné Du Maurier) et avec Laurence Olivier* et Joan Fontaine* dans les rôles principaux.
La tradition germanique.
De même, certains films américains sont extrêmement « germaniques » par l'atmosphère. C'est particulièrement vrai du cinéma d'épouvante, par exemple des films produits par Universal pendant les années 30 : le Frankenstein de Whale (1931) reprend telle scène du Golem de Wegener* (1920) ; citons aussi The Black Cat d'Ulmer (1934). On constate donc que, dans de nombreux films d'horreur, l'influence germanique (sensible dans le style des décors, des éclairages et de la photographie) se mêle à l'influence britannique (plus apparente au niveau du scénario). La remarque vaut aussi bien pour les thrillers réalisés par l'Allemand John Brahm, The Lodger (1944), Hangover Square (1945), dont le premier est d'ailleurs un remake d'un film muet, anglais, de Hitchcock (1926). Elle vaut encore pour le cinéma d'aventures, où le fatalisme germanique de Lang trouve, avec le roman anglais de John Meade Falkner (les Contrebandiers de Moonfleet, 1955), un terrain des plus favorables.
Mais l'atmosphère germanique n'est pas seulement celle, oppressante, du film d'horreur ; il y a une grâce, un raffinement proprement viennois dans Lettre d'une inconnue de Max Ophuls* (1948), qu'on a pu décrire, à l'instar de l'Aurore de Murnau ou de Rebecca de Hitchcock, comme un des films les plus européens réalisés à Hollywood.
C'est que l'immigration en provenance des pays de langue allemande (et d'Europe centrale en général) a été particulièrement nombreuse et de qualité. Elle a commencé pendant les années 20, pour des raisons essentiellement artistiques et commerciales, l'audience d'Hollywood attirant les metteurs en scène les plus talentueux, comme Lubitsch ou Murnau, ou encore le Hongrois Curtiz* (Kertész).
À partir des années 30 et de l'accession au pouvoir de Hitler, les motifs politiques s'ajoutent aux raisons artistiques et personnelles pour maintenir ce mouvement qui s'accélère avec la guerre : tour à tour arrivent à Hollywood les Viennois Lang, Wilder, Ulmer, Preminger, les Allemands Dieterle, Max Reinhardt*, Sirk, Brahm, Curt et Robert Siodmak, Curtis Bernhardt*, le Sarrois Ophuls, etc. Aux réalisateurs, il convient d'ajouter les acteurs (Jannings, Pola Negri, dès les années 20, plus tard Paul Henreid*, Conrad Veidt*, Sig Ruman*, le Hongrois Peter Lorre*...) et les techniciens, notamment les décorateurs et les photographes (Hans Dreier*, Eugene Shuftan). L'Universal, la Paramount furent les studios où l'influence allemande se fit le plus directement sentir ; mais celle-ci fut si diffuse qu'elle n'épargna, pour ainsi dire, personne : elle culmine, comme on l'a noté, dans les années 40, avec le film de propagande antinazi (souvent réalisé et interprété par des Européens) et avec le film noir.