Dictionnaire du Cinéma 2001Éd. 2001
E

ÉCLAIRAGE.

L'éclairage d'un film, sa lumière et, plus concrètement, le rendu photographique des images rêvées par le réalisateur constituent le travail du directeur de la photographie. (On dit aussi, couramment, chef opérateur, ou encore opérateur.)

Globalement responsable de l'image, le directeur de la photographie a une activité complexe. Il décide, en accord avec le réalisateur et selon les indications du découpage, de l'emplacement de la caméra, des mouvements de celle-ci et des cadres successifs qui vont alors se définir. Mais le décorateur aime aussi qu'il mette en valeur ses décors, les acteurs aiment qu'il les mette en valeur (Greta Garbo exigeait d'être photographiée par William Daniels), la production aime qu'il soit rapide et qu'il ne consomme pas trop de kilowatts. En plus de ses qualités techniques, le directeur de la photographie doit donc avoir le sens des relations humaines et une grande disponibilité. Un domaine lui appartient toutefois en propre : l'éclairage, c'est-à-dire la maîtrise non seulement des sources de lumière mais aussi des caractéristiques du film et des différents artifices qui donnent son caractère à une image.

La nécessité d'éclairer relève de l'évidence lorsque l'on tourne en studio, c'est-à-dire dans un lieu fermé à toute lumière extérieure : il faut alors complètement composer un éclairage (et du décor et des acteurs qui vont évoluer dans le décor) capable de créer l'atmosphère réclamée par le scénario et par l'idée de mise en scène du réalisateur. En intérieurs réels, on conçoit également qu'il faille éclairer : la lumière naturelle n'est pas toujours assez forte pour la sensibilité du film employé, et surtout elle varie au cours de la journée. (Il y a toutefois, ici, une différence avec le studio : il vaut généralement mieux respecter la lumière propre du lieu, et l'atmosphère qui s'en dégage, plutôt que de les contrecarrer.) En extérieurs, la nécessité (paradoxale a priori) d'éclairer — et même d'éclairer d'autant plus qu'il y a déjà plus de lumière — provient du contraste. Un personnage à l'ombre (ou en contre-jour) est considérablement moins « lumineux » que le fond ensoleillé, et le film ne peut pas ( CONTRASTE) enregistrer correctement une scène aussi contrastée. Si l'on n'éclaire pas le personnage pour réduire le contraste, ou bien le fond sera reproduit mais le personnage sera bouché (illisible parce que trop sombre), ou bien le personnage sera reproduit mais le fond sera brûlé (presque uniformément blanc parce que trop lumineux).

Évolution historique.

Ces problèmes, que les photographes connaissaient bien, se sont posés dès les débuts du cinéma, et ils se posent toujours, même si les choses ont bien évolué depuis le temps où l'opérateur tournait la manivelle sur l'air de Sambre et Meuse. L'évolution artistique est toutefois intimement liée à l'évolution technique.

Le noir et blanc. Aux débuts du cinéma, la faible sensibilité des émulsions ne permettait le tournage que par forte luminosité : les premiers films (ceux des frères Lumière par ex.) furent tournés en extérieurs, et il en fut de même lorsque fiction et décors firent leur apparition avec Méliès. (Le studio de Méliès à Montreuil, construit en 1897, avait, comme un atelier d'artiste, un toit et des parois vitrés : la lumière trop crue du soleil était diffusée et modulée par des vélums, comme chez les photographes de l'époque. Antérieurement, le premier studio américain — le Black Maria d'Edison — avait un toit ouvrant et pivotait sur un rail circulaire pour suivre le soleil.)

Dépendre de la lumière naturelle était toute fois une contrainte. (Hollywood est né de cette contrainte : initialement, la production américaine était concentrée autour de New York et de Chicago ; c'est notamment pour trouver des cieux plus cléments que les pionniers, à partir de 1908, allèrent en Californie.) Le cinéma ressentit donc rapidement la nécessité de recourir à la lumière artificielle. Ce fut d'abord celle des lampes à arc, dont la forte émission dans l'ultraviolet et le bleu-violet permettait, à l'instar du soleil, d'impressionner les émulsions orthochromatiques ( COUCHE SENSIBLE) de l'époque. On se servit aussi des lampes à vapeur de mercure.

Vers 1928 apparurent les émulsions panchromatiques, sensibles à l'ensemble de la lumière visible. Elles permirent l'utilisation des lampes à incandescence, les arcs étant conservés, à cause de leur puissance et de leur portée, pour les extérieurs et pour l'éclairage des très grands décors. (Par ex. Gregg Toland, l'opérateur d'Orson Welles pour Citizen Kane, se servit d'arcs — placés très en recul — pour éclairer certains décors profonds munis de plafonds, et qui interdisaient donc l'éclairage traditionnel par le haut.) Avec, un peu plus tard, l'accroissement de la sensibilité des films, les conditions techniques étaient réunies pour la pleine maîtrise de l'image noir et blanc.

Sur un plan historique, ce sont sans doute les Français qui montrèrent les premiers que l'expression filmique passait aussi par la lumière. Maurice Tourneur et ses opérateurs vont ainsi, dès 1915, importer à Hollywood un style français. Mais, après la Première Guerre mondiale, c'est surtout l'expressionnisme allemand qui imposera ses conceptions plastiques. C'est à cause du succès des films de Lang ou de Murnau que Karl Freund ou Eugen Schuftan seront appelés à Hollywood ou à Paris. Un peu plus tard, le couple Josef von Sternberg/Marlene Dietrich imposera un style photographique — parfaitement assimilé par l'Américain Lee Garmes dans ses clairs-obscurs — en référence affirmée à un style européen, auquel seront également sensibles d'autres opérateurs américains comme James Wong Howe ou Stanley Cortez.

La France est, à ce moment-là, le carrefour où se croisent les émigrés en provenance de l'Europe centrale et en instance de départ pour les États-Unis (comme Boris Kaufmann) et les Américains (comme Harry Stradling) venant travailler en Europe. Les opérateurs français sauront profiter de ce brassage : à la grande époque du noir et blanc, ils avaient su créer un style très élaboré d'éclairages diffusés au moyen de trames en soie, de tulles, etc., sans négliger pour autant l'éclairage directionnel savamment placé. On peut citer ici Michel Kelber ou Philippe Agostini, avec des films comme le Diable au corps d'Autant-Lara (1947) ou les Dames du bois de Boulogne de Robert Bresson (1945).