JAPON. (suite)
Malgré des tentatives de cinéma sonore faites très tôt (dès 1914, ainsi que des expériences de films en couleurs), le « cent pour cent » parlant japonais ne vit le jour qu'en 1931, stimulé par le triomphe des films parlants américains. Ce fut Heinosuke Gosho qui l'inaugura avec une comédie satirique, Mon amie et mon épouse / Madame et voisine, où l'on retrouvait son interprète favorite, Kinuyo Tanaka, une des plus grandes vedettes féminines avec Isuzu Yamada.
L'avènement du parlant et l'esprit national.
Malgré l'opposition évidente des benshi, qui se manifesta par des grèves et de violents incidents, le parlant gagna la partie, grâce aux films psychologiques plus que par les « jidai-geki ». Comme partout, certains cinéastes tentèrent de repousser cette échéance, à commencer par Ozu, qui, après quelques essais sonores, finit par sacrifier à la nouveauté en 1936, avec Un fils unique. 1936 est une année capitale qui marque la transition entre les tendances libérales et progressistes des années 20 et 30, et l'ascension rapide d'un militarisme renforcé après la tentative manquée de putsch des officiers loyalistes cette même année. Mizoguchi tourna coup sur coup deux films considérés comme ses œuvres les plus marquantes d'avant-guerre, tous deux centrés autour de portraits de femmes brimées, ou prostituées : Élégie d'Osaka, et surtout les Sœurs de Gion, où se révèle le talent de l'actrice Isuzu Yamada. C'est aussi l'époque où s'affirment des cinéastes comme Yasujiro Shimazu, avec Okoto et Sasuke (1935), Hiroshi Shimizu, avec Des enfants dans le vent (1937), Tamizo Ishida, avec les Fleurs tombées (Hana chirinu, 1938), et Sadao Yamanaka (qui mourra bientôt au front), avec Pauvres Humains et ballons de papier (1937). Dès 1937, après « l'incident sino-japonais » et l'invasion de la Chine par le Japon, le contrôle gouvernemental et militaire de la production cinématographique est renforcé et il se dessine une « politique nationale » à laquelle doivent se soumettre compagnies et réalisateurs. Les premiers films militaires fleurissent alors, même si certains gardent encore un semblant d'objectivité comme les œuvres de Tomoka Tasaka : les Cinq de la patrouille (Gonin no sekkohei, 1938) et surtout Terre et Soldats (Tsuchi to heitai, 1939), deux chroniques quasi documentaires de la guerre en Chine.
L'esprit national à son apogée est sans doute le mieux représenté dans la Guerre navale de Hawaii à la Malaisie (1942) de Kajiro Yamamoto, auteur en 1941 de l'une des meilleures chroniques paysannes avec le Cheval, dont certaines séquences avaient été réalisées par son assistant, Akira Kurosawa. Celui-ci fait ses débuts officiels à la Toho (créée en 1936), en 1943, avec la Légende du grand judo illustrant les origines du vrai judo, tandis qu'un de ses confrères de la Shochiku, Keisuke Kinoshita, débute aussi la même année avec une comédie satirique, le Port en fleurs. Pourtant, la plupart des cinéastes connus parviennent à esquiver leur « devoir national obligatoire » en se réfugiant dans des sujets historiques pas trop compromettants : ainsi des Contes des chrysanthèmes tardifs (Zangiku monogatari, 1939) ou les 47 Rônin (Genroku chushingura) en deux parties (1941-42) de Kenji Mizoguchi ou du Pousse-pousse (Muhomatsu no issho, 1943) de Hiroshi Inagaki, sujets repris maintes fois dans le cinéma japonais, comme tant d'autres. Dans le même temps, les dix compagnies productrices existantes furent regroupées par le gouvernement (par le biais du Bureau d'information publique) en trois sociétés principales : Shochiku, Toho et la nouvelle Daiei, dirigée par Masaichi Nagata, le futur producteur de la Porte de l'enfer (T. Kinugasa) et des derniers films de Mizoguchi.
La gloire du cinéma japonais.
Au sortir de la guerre, malgré bombardements et destructions, la production, réduite à quelques films, ne fut cependant pas arrêtée totalement et reprit rapidement son essor. Les luttes politiques et syndicales firent rage et la Toho fut la plus touchée par les grèves de 1947-48 : ce fut en 1947, en effet, que plusieurs cinéastes, acteurs et techniciens, firent sécession et fondèrent la Shin-Toho (« Nouvelle Toho ») qui produisit un nombre croissant de films commerciaux exploitant les modes du moment, jusqu'à sa faillite en 1961. Malgré les lois antitrusts édictées par les autorités américaines d'occupation, plusieurs nouvelles sociétés se créèrent, dont la Toei (« Films de l'Est ») en 1951, et la Nikkatsu reprit ses activités en 1953. C'est dans les années 50 que le cinéma japonais connut sa période la plus glorieuse depuis le muet, symbolisée par le Lion d'or remporté à la Mostra de Venise en 1951 par le Rashomon d'Akira Kurosawa qui facilita l'introduction de nombreux films japonais en Occident. Parallèlement, le Japon adoptait les nouvelles techniques importées, et Kinoshita tourna en 1951 le premier film japonais en couleurs (Fuji) le Retour de Carmen (Karumen kokyo ni kaeru), une comédie satirique sur le Japon d'après-guerre qui remporta un immense succès et fut suivie de le Pur Amour de Carmen (Karumen junjo su, 1952). C'est aussi au cours de ces années fertiles que s'imposèrent dans les festivals occidentaux les chefs-d'œuvre, vrais ou faux, des plus grands maîtres japonais : que ce soit Kenji Mizoguchi (la Vie de Oharu, femme galante, 1952 ; les Contes de la lune vague après la pluie, 1953 ; l'Intendant Sansho, 1954 ; les Amants crucifiés, id. ; l'Impératrice Yang Kwei Fei, 1955 ; le Héros sacrilège, id. ; enfin, la Rue de la honte, 1956, son dernier film) ou Akira Kurosawa (l'Idiot, 1951 ; Vivre, 1952 ; les Sept Samouraïs, 1954 ; le Château de l'araignée, 1957 ; les Bas-Fonds, id.), Teinosuke Kinugasa (la Porte de l'enfer, 1953, premier film en Eastmancolor), ou Kon Ichikawa (la Harpe de Birmanie, 1956 ; le Brasier, 1958 ; l'Étrange Obsession, 1959, et Feux dans la plaine, id.). Presque tous ces films remportèrent des prix à Cannes, Venise ou Berlin. Mais le revers de la médaille fut que les cinéastes dont les films n'avaient pas été envoyés dans les festivals par les compagnies restèrent relativement dans l'ombre, sauf à de rares exceptions : ainsi fallut-il attendre de nombreuses années pour « découvrir » plusieurs réalisateurs de premier plan, qui tournaient alors des œuvres majeures, tels : Ozu, avec Voyage à Tokyo (1953) ; Naruse, avec Okasan (1952) et Nuages flottants (1955) ; Gosho, avec Là d'où l'on voit les cheminées (1953) et Croissance (1955) ; Shiro Toyoda, avec les Oies sauvages (1953) et Relations matrimoniales (1955), ou Kimisaburo Yoshimura, avec Sous des parures de soie (1951), pour n'en citer que quelques-uns.