GRANDE-BRETAGNE. (suite)
L'adaptation semble tourner, outre-Manche, à une manière de surexploitation. « The film from the play from the book » : le film d'après la pièce d'après le livre. Plaisanterie ? Pas du tout : c'est le cas du Oliver ! (toujours Dickens) filmé par Carol Reed en 1968 d'après une comédie musicale tirée du roman de Dickens ! Et combien de cinéphiles français savent que le célèbre Family Life de Ken Loach est adapté d'une dramatique télévisée, In Two Minds, de David Mercer ?
Cette veine littéraire est dans une large mesure corrigée par une veine réaliste issue du documentaire. On fait traditionnellement remonter cette veine à ce que l'on nomme « l'école de Brighton ». En effet, dès la fin du siècle dernier, George Albert Smith, natif de Brighton, et l'Écossais James Williamson tournent des films en plein air, inventant le « décor naturel ».
Mais on ne peut guère parler de volonté réaliste au cinéma, avant John Grierson et son film Drifters (1929), dont le succès va permettre la mise en place de l' « École documentaire britannique ». C'est grâce à Grierson que l'Américain Robert Flaherty viendra travailler en Grande-Bretagne et tournera Industrial Britain (pour Grierson en 1933) et l'Homme d'Aran (pour Balcon, en 1934). ( gpo.) Ce climat réaliste que la production de guerre mettra à profit va marquer une large part de la production britannique de fiction. C'est avec raison qu'Henri Langlois a pu parler de l'« École documentaire » comme de l'« Atelier » du cinéma britannique. Il est vrai que le train de Night Mail (1936), d'Harry Watt et Basil Wright, roule encore dans Brève Rencontre (D. Lean, 1945). Même les productions les plus fantaisistes des studios Ealing sont marquées par cette volonté de réalisme : À cor et à cri (1947) de Crichton ou Tueurs de dames (1955) de Mackendrick sont aussi, à leur manière, des témoignages sur le Londres de l'après-guerre.
Plus tard encore, c'est au nom du réalisme que les « jeunes gens en colère » du Free Cinema, armés de leurs caméras 16 mm, vont se regrouper autour de Lindsay Anderson et de Tony Richardson : des courts métrages documentaires d'abord, puis des longs métrages de fiction, comme Samedi soir, dimanche matin de Karel Reisz (1960), vont renouveler le cinéma britannique.
Aujourd'hui, c'est à la télévision britannique (école où se formèrent Peter Watkins, John Schlesinger, John Boorman, Ken Russell et Kenneth Loach pour ne citer qu'eux) et dans ses « docu-dramas » que s'exprime cette veine réaliste, ou encore dans les productions indépendantes à petits budgets aidées par la RFI Production Board.
Autre caractéristique du cinéma britannique, et non la moindre : l'attachement de la production traditionnelle au cinéma de studio et à un cinéma de genre. « Cinéma de studio » (contre lequel vitupérait John Grierson) est presque toujours synonyme de cinéma de divertissement ; avec des décors, des maquettes, des effets spéciaux, on peut en mettre « plein la vue » du spectateur : ainsi la série des James Bond ; 2001 : Odyssée de l'espace ; Oliver ! ; Superman.
Films policiers, d'espionnage, films de guerre, films de science-fiction ou films fantastiques (n'ayons garde d'oublier les œuvres de Terence Fisher et les productions des studios Hammer !), avec ou sans variante exotique, sont presque une spécialité britannique, au point que Hollywood se voit parfois battu sur son propre terrain. Pour le policier, faut-il rappeler le nom d'Alfred Hitchcock ? Pour le Pont de la rivière Kwaï ou Lawrence d'Arabie, celui de David Lean ? Pour la Bataille d'Angleterre, celui de Guy Hamilton ? Pour Un pont trop loin, celui de Richard Attenborough ? D'une manière générale, cette production, qui réunit souvent de gros budgets, vise d'abord le marché américain et international, avant le marché proprement britannique.
La prédominance des « gros films internationaux » vide le cinéma d'outre-Manche de toute spécificité britannique. Il fut un temps où l'art cinématographique, le studio et les gros budgets faisaient bon ménage : les films de Powell et Pressburger (par exemple, en 1946, Une question de vie ou de mort, où se concentrent réalité historique, humour, sens du fantastique et du spectaculaire) sont là pour en témoigner.
Plus tard, il n'en sera pas de même. Le cinéma britannique, plus encore que celui des autres pays d'Europe, ne domine pas les exigences de son propre marché du loisir et de la culture, où la production nord-américaine dicte sa loi.
L'industrie du cinéma (studios, laboratoires, publicité) reste active. Mais le cinéma en tant qu'art ?
Le cinéma britannique proprement dit subsiste dans une production de films de court métrage, notamment dans le domaine de l'animation (où des cinéastes comme Hallas et Batchelor, Bob Godfrey, Geoff Dunbar, Alison de Vere ont atteint une réputation internationale) et dans de rares productions indépendantes de longs métrages, aidées par le BFI Production Board, NFFC et parfois les télévisions indépendantes.
Ignorés ou refusés par les circuits de distribution, des films, qui sont sans doute les plus marquants de la décennie des années 70 et 80, n'ont guère été présentés que dans des salles londoniennes, au NFT (National Film Theatre) ou à l'ICA (Institute of Contemporary Arts). C'est le cas, par exemple, de Bronco Bullfrog (B. Platt-Mills, 1969), My Childhood (B. Douglas, 1972), Juvenile Liaison (Broomfield et Churchill, 1975), Requiem for a Village (David Gladwell, 1975) ; Winstanley (Brownlow et Mollo, 1975), Night Hawks (Ron Peck et Paul Hallam, 1978), et de bien d'autres. On parle beaucoup depuis 1982 d'une « renaissance » ou d'un « renouveau » du cinéma britannique. Les lauriers et les succès commerciaux de films produits par David Puttnam (Chariots de feu, Mission), Gandhi de Richard Attenborough, Greystoke de Hugh Hudson, les films de James Ivory, ont en effet attiré l'attention sur la production d'un pays où semblaient dominer les films américains tournés en Angleterre (et les films tournés aux États-Unis par des Britanniques). Ce terme de renaissance est d'autant plus contesté en Grande-Bretagne qu'il s'appuie en partie sur l'œuvre de vétérans comme Attenborough ou David Lean, et que la production du pays s'est bien souvent contentée de retrouver des thèmes traditionnels (empruntés à l'ancien Empire par exemple) et des genres connus. Les années 80 ont permis de faire plus ample connaissance avec des metteurs en scène comme Loach, Frears, Mike Leigh, Hugh Hudson, Ridley Scott, Terry Gilliam, et de découvrir Chris Bernard, David Leland, Andrew Grieve, Ian Sellar, David Hare, Mike Ockrent, Kenneth Branagh, Bill Forsyth, Neil Jordan, Michael Radford, Pat O'Connor, Mike Newell, Derek Jarman. Terence Davies, Paul Greengrass, Chris Petit, sans oublier Peter Greenaway, Roland Joffé et Alex Cox.