DISNEY (Walter Elias Disney, dit Walt) (suite)
Ce forain inexorable et sans limites, le plus grand amuseur public de toute l'Histoire, ne peut être raconté qu'en zigzags et en paradoxes, opposant légende et réalité. Légende, le souriceau grignotant dans un coin de son studio de Kansas City, qui lui aurait inspiré en 1928 son animal fétiche Mickey Mouse. La vérité, c'est qu'il inventa le personnage dans un train, dans l'énergie du désespoir que lui causait l'échec d'une série de cartoons sur Oswald le Lapin. Cette souris a accouché d'une montagne, puis d'un empire. Légende, sa tyrannie de patron, qui causa la fameuse grève de 1941 et lança dans le monde des armées de disciples dissidents. Il mangeait comme ses employés au self-service du studio après avoir fait la queue, et il épousa sa secrétaire. Mais ses employés devaient l'appeler Walt ou prendre la porte. Lorsqu'il se rendait au studio, un mot de passe, emprunté à Bambi : « Un être humain a pénétré dans la forêt ! » alertait ses animateurs. Ce perfectionniste fit refaire 175 fois Pinocchio et passait en pleine nuit vérifier les planches de croquis de ses collaborateurs.
Légende aussi, son image de pionnier : il n'a inventé ni le dessin animé, ni le son, ni la couleur, mais il les a poussés à un degré inouï de perfection, récoltant 29 Oscars et s'identifiant tellement au genre qu'on décrit les héros de cartoons comme des « petits mickeys », même s'il s'agit de Popeye ou Bugs Bunny.
Après des études à la McKinley High School de Chicago, il devient dessinateur publicitaire à Kansas City ; il y ouvre des studios d'animation, les United Films, avec Hugh et Fred Harman, Rudolf Ising et surtout Ub Iwerks pour développer les Laugh-o-Grams, dont les premiers sont les Quatre Musiciens de Brême et Cendrillon. Puis, en 1923, il vient rejoindre à Los Angeles son frère Roy pour fonder les Hollywood Walt Disney Studios, qui créent une série nommée les « Alice Cartoons », mêlant l'animation et le tournage direct. En 1926, il crée son fameux style en O pour développer à Columbia son Oswald le Joyeux Lapin (Oswald the Rabbit), qui est d'abord un immense succès mais qu'il devra ensuite abandonner à Charles Mintz. Il avait entre-temps développé une technique toute neuve, celle de l'in-between, c'est-à-dire le principe de l'intervallisme, qu'il appliqua à sa nouvelle création, une souris appelée Mortimer, laquelle devint très vite Mickey Mouse. Cette dernière, dès ses premières apparitions, dans Plane Crazy (1928) puis Gallopin’ Gaucho (id.), inspiré par Charles Lindbergh et Douglas Fairbanks, devint une véritable idole nationale, surtout après que l'adjonction du son au film Steamboat Willie (id.) eut ébloui les foules. Walter Elias fonde alors les Walt Disney Productions, distribuées par United Artists, et donne sa voix à Mickey Mouse, qui devient son porte-parole (bien que son animation doive beaucoup dès 1935 au spécialiste Fred Moore). Peu à peu, l'écurie Disney s'augmentera du chien Pluto, animé par Norman Ferguson, du canard Donald, animé par Dick Lundy (voix de Clarence Nash), et du chien Goofy, animé par Art Babbitt.
À partir de 1929, Disney voua toutes ses recherches à une série de courts métrages musicaux, les Silly Symphonies dont Carl Stallings supervisait l'élément musical. C'est pour cette série inaugurée par la Danse macabre (Skeleton Dance, 1929) qu'il aborde en 1932 le Technicolor, pour le court métrage Flowers and Trees, délibérément anthropomorphique, qu'il recrute des équipes d'animateurs et de scénaristes, qu'il met au point la technique (révolutionnaire celle-là) du storyboard (planche à dessins), qu'il crée des classes d'art pour les animateurs à l'Institut Chouinard, enfin qu'il invente la caméra multiplane, donnant un effet de relief, dans le film le Vieux Moulin (The Old Mill) en 1937. De ces différentes innovations naît un style nouveau, et surtout un degré qualitatif insurpassé de l'animation. Les studios Walt Disney ont été en une décennie une pépinière d'animateurs, qui, même dissidents, comme le devinrent par la suite Chuck Jones, Friz Freleng, Art Babbitt, John Hubley, etc., furent marqués par le père et gardèrent un niveau élevé d'ambition professionnelle.
Quand les studios Disney abordent enfin le long métrage avec Blanche-Neige et les sept nains (1938), c'est pour une accumulation de tous les perfectionnements déjà glanés que travaillent des équipes accomplies. Sous la direction de Grim Natwick, l'animateur Shamus Culhane a travaillé pendant six mois sur la manière de marcher des sept nains (une minute de film), promouvant un standard bafoué depuis par les tenants de l'animation simplifiée et auquel on revient aujourd'hui. Dans les sept bobines de dessin animé Technicolor de Blanche-Neige repose le testament définitif de Walt Disney, dont la carrière demeurera tout à fait exemplaire jusqu'à la guerre, ce test crucial. En effet, on peut louer sans réserves Pinocchio (1940), sommet de dramaturgie et d'invention, et surtout, de la même année, Fantasia, né de la coûteuse extension d'un court métrage de Mickey sur l'Apprenti sorcier de Paul Dukas tourné avec la collaboration de Léopold Stokowsky. Ce film, devenu par l'ambition de Walt Disney un long métrage musical classique consacré à des œuvres de Beethoven, Bach, Tchaïkowski, Moussorgski, Schubert et Stravinski, représente un effort intellectuel notable, même s'il enregistre un amoindrissement des collaborations prestigieuses (dont celle de Fischinger) dont s'assura Disney. Le film malheureusement fut à l'époque un échec financier total, qui contraignit subitement Disney à des compromis commerciaux notables. L'effort de guerre avait conduit le studio à produire d'excellents courts métrages de propagande et un long métrage coûteux sur l'histoire de l'aviation (Victory Through Air Power, 1943), qui furent le chant du cygne d'un magnat subitement contesté. Sur le plan syndical, Disney était autoritaire et peu patient : une grève éclair paralysa Burbank devenue une usine comme les autres, et dont 500 animateurs (parmi lesquels Steven Bosustow, Bill Hurtz, John Hubley, Bill Tytla) s'exilèrent pour fonder un groupe rival, la UPA.