CANADA. (suite)
Mais Renaissance dépose son bilan peu après. Parallèlement, la firme Québec Productions de Paul L'Anglais propose un long métrage du même Fédor Ozep, tourné en deux versions, française et anglaise, la Forteresse / Whispering City (1947), puis plusieurs films adaptés de radioromans populaires tournés dans ses studios de Saint-Hyacinthe. Folklorisants, moralisateurs, ces films méritaient sans doute la critique que René Lévesque, futur Premier ministre d'un Québec fort transformé, adressait à l'un d'eux : « un nouveau malheur préhistorique du cinéma canadien ».
La production québécoise
de longs métrages se maintient jusque vers 1953-54, exprimant ce que Pierre Véronneau a appelé « la morbidité collective qui était celle de notre grande noirceur, étouffée par les valeurs catholiques... ». Mais, au début des années 50, une nouvelle réalité est apparue : la télévision. Les compagnies de production disparaissent alors l'une après l'autre.
Au milieu des années 50, quelques événements préparent l'explosion des cinémas canadiens : le transfert à l'ONF d'Ottawa à Montréal (1956), qui l'éloigne d'un pouvoir politique parfois tatillon et favorise l'épanouissement de sa « section française » ; les premières commandes passées par les réseaux de télévision à des cinéastes de l'ONF (en 1953 et 1954) ; l'apparition autour des revues Séquences et Images d'un courant cinéphile proprement québécois.
Les années qui suivent voient l'épanouissement de la série Candid Eye chez les « Anglais » de l'ONF, autour de Wolf Koenig* et Roman Kroitor*, qui triomphent avec Lonely Boy en 1962, les débuts de la recherche expérimentale du plasticien Michael Snow*, qui culminera avec la Région centrale en 1970-71, et le développement de la production de longs métrages en Ontario, dirigés par Allan King*, Don Shebib ou Don Owen*. Les réalisateurs ou les comédiens sont souvent aspirés par Hollywood, à l'image de Sidney Furie, dès qu'ils ont acquis quelque notoriété. En 1973, Ted Kotcheff* y réalise l'Apprentissage de Duddy Kravitz, qui connaît un grand succès et révèle Richard Dreyfuss*.
Sur la côte Ouest, une autre école originale est illustrée par les premiers films d'Allan King, ceux de Ron Kelly, ou par les courts métrages d'animation de Al Razutis, influencés par les recherches parallèles et proches de l'underground californien.
C'est pourtant surtout au Québec, dans un climat de renaissance culturelle, de reconnaissance d'une identité qui débouche sur une revendication politique, que la mutation est la plus spectaculaire. Les premiers longs métrages dramatiques produits pour le réseau « français » de Radio Canada (la télévision nationale) sont réalisés en 1957 et 1958 par Fernand Dansereau* et Claude Jutra*. Pierre Perrault* filme, également pour la télévision, ses premiers reportages à l'Île-aux-Coudres. En 1958, Michel Brault* et Gilles Groulx* tournent un court métrage de 17 minutes produit par l'ONF, les Raquetteurs, dont le critique Gilles Marsolais a écrit : « Le documentaire traditionnel est mort le jour où ce film, réalisé contre les individus et les structures rigides de la bureaucratie gouvernementale, a vu le jour. Tout en étant le symbole de la lutte menée à l'ONF par ses éléments francophones les plus dynamiques, il définit une nouvelle conception du cinéma. »
En 1961, un groupe d'étudiants de l'université de Montréal (dont Denys Arcand*), avec le soutien actif des principaux « Français » de l'ONF, tourne Seul ou avec d'autres, un long métrage qui connaît un succès public considérable, et qui ouvre la voie à une nouvelle phase de production privée. Nombre de firmes naissent dans les années suivantes, après Coopératio, qui produit en 1963 Trouble Fête de Pierre Patry, et en 1967 Entre la mer et l'eau douce de Michel Brault. Les premiers films québécois vont se faire reconnaître au festival de Cannes : Pour la suite du monde (1963) de Pierre Perrault et Michel Brault, qui inaugure la saga des Tremblay de l'Île-aux-Coudres, le Chat dans le sac (1964) de Gilles Groulx.
De 1965 à 1975, le cinéma québécois connaît une décennie d'abondance et de diversité. Une prospérité certaine lui est apportée par la création en 1964 et le démarrage effectif en 1968 de la SDICC (Société de développement de l'industrie cinématographique canadienne), un organisme fédéral réclamé depuis des années par des professionnels de tout le Canada, doté d'un crédit de dix millions de dollars plusieurs fois renouvelé et qu'il peut prêter à des sociétés de production de films de long métrage. Entre 1968 et 1977, la SDICC est intervenue dans le financement de 179 films, dont 76 films francophones. Le succès de films érotiques (Valérie de Denys Héroux en 1969, Deux Femmes en or de Claude Fournier* en 1970, le plus gros succès commercial du cinéma québécois) conforte les producteurs privés. Claude Jutra*, Gilles Carle*, Jean-Pierre Lefebvre*, Denys Arcand dirigent des films de fiction qui explorent l'environnement mental de l'homme québécois délivré, peut-être, de son corset religieux, mais encore coincé entre son passé de soumission et son présent de dépendance.
Pourtant, la voie royale du cinéma canadien reste encore le cinéma de constat, qui se mue d'ailleurs de plus en plus souvent en cinéma d'intervention. L'ONF produit la série Challenge for change / Société nouvelle. Pierre Perrault, toujours dans le cadre de l'ONF, poursuit son cycle de l'Île-aux-Coudres ; depuis 1972, il enregistre et monte un énorme matériel dans l'Abitibi, au nord-ouest de la province : du Goût de la farine (1976) au Pays de la terre sans arbres (1980), il y poursuit sa quête des racines sentimentales d'une québécitude idéale. Parallèlement, mais dans le cadre d'un financement privé, Arthur Lamothe* donne la parole aux minorités indiennes dans deux séries faites chacune de plusieurs longs métrages : Carcajou et le péril blanc (8 films entre 1974 et 1978), et Innu asi (4 films en 1979 et 1980).
Au carrefour des deux modes, des films oscillent entre la fiction traditionnelle et l'enregistrement avec des techniques proches de celles du cinéma direct. C'est le cas des meilleurs films de la série En tant que femmes de l'ONF ou du film polémique que Michel Brault a consacré aux arrestations qui avaient accompagné les événements d'octobre 1970 à Montréal : les Ordres (1974).