RESNAIS (Alain) (suite)
Effets de montage alterné, obsédants travellings avant, fixation sur des objets ou des lieux insolites : Resnais a trouvé son style, qu'il va raffiner à présent dans de longs métrages qui compteront parmi les plus originaux du cinéma contemporain. C'est d'abord Hiroshima mon amour (1959), le film-flambeau de la Nouvelle Vague, où il tient la gageure de superposer une banale love affair entre une Française et un Japonais à une évocation sans complaisance de l'apocalypse nucléaire et de ses séquelles. Plus encore que par son sujet « scandaleux », le film frappe par son commentaire psalmodié (dû à Marguerite Duras), sa temporalité ralentie, ses « rimes » visuelles. On dirait de l'Eisenstein revu par Antonioni, avec en prime une charge de sensibilité qui ne doit rien à personne. L'Année dernière à Marienbad (1961) marquera une étape tout aussi décisive, dans le sens d'un « jeu de formes plus fort que l'anecdote », selon le vœu du cinéaste. Son complice est cette fois Alain Robbe-Grillet, dont il concrétise les fantasmes. La suite de son œuvre conduira Resnais vers une réflexion désenchantée sur les guerres perdues (l'Algérie : Muriel, l'Espagne : La guerre est finie, le Viêt-nam : un sketch de Loin du Viêt-nam), cumulée avec d'étranges dérives lyriques ; puis à la découverte des univers parallèles (Je t'aime, je t'aime), au charme discret du rétro (Stavisky), enfin aux labyrinthes sans fin de la rumination littéraire (Providence, La vie est un roman) ou scientifique (Mon oncle d'Amérique), appréhendés chaque fois avec une sorte de détachement amusé, qui n'exclut pas une orchestration somptueuse, proche de l'opéra. Sans doute la diversité des collaborations (de Jean Cayrol à Jean Gruault, de Jorge Semprun à David Mercer) risque-t-elle ici d'égarer le spectateur, déjà dérouté par cette quête éperdue de l'imaginaire, en forme d'exorcisme du réel. Mais Resnais n'a que faire d'une large audience : il poursuit sa route en solitaire. On pourrait s'interroger sur la route suivie par Alain Resnais à partir de La vie est un roman (1983). Il semble s'aventurer sur les routes de l'abstraction, de l'humour, des ruptures dans le récit, de l'éventuelle réconciliation du cinéma et de la théâtralité (Mélo, adaptation de la pièce d'Henry Bernstein). L'intelligence du récit et l'audace formelle sont toujours au rendez-vous, mais parfois, lorsque le scénario manque de légèreté, par exemple celui de Jules Feiffer pour I Want To Go Home (1989), on est en droit d'être déconcerté et peut-être inquiet d'une démarche qui peine à concilier la recherche expérimentale et le plaisir du spectateur. Faut-il parler, avec son exégète Robert Benayoun, de « la spirale d'un humour de perdition » ? D'« art d'explorer l'invisible » (Jean de Baroncelli) ? Ou bien en revenir à Jean Rostand (cité par Gaston Bounoure) lorsque, au terme d'un examen approfondi du mystère humain, il se déclare « dans un état d'incompréhension effarée » ? Mieux vaut s'en tenir aux propos — pleins de modestie — d'un auteur qui n'a sûrement pas fini de nous surprendre : « Mes films sont une tentative, encore très grossière et très primitive, d'approcher de la complexité de la pensée, de son mécanisme... Nous avons tous des images, des choses qui nous déterminent et qui ne sont pas une succession logique d'actes qui s'enchaînent parfaitement. Il me paraît intéressant d'explorer ce monde de l'inconscient, du point de vue de la vérité, sinon de la morale. » Adaptés d'une pièce de théâtre d'Alan Ayckbourn réputée injouable, Smoking (1993) et No Smoking (id.), ces deux films qui n'en font qu'un constituent une étourdissante série de variations sur les potentiels narratifs. Les deux acteurs (Sabine Azéma et Pierre Arditi) incarnent en effet dix personnages différents que l'on suit de clichés ludiques en désespoirs profonds, de satires en étonnants effets de réel, dans un décor qui mime le réel sans créer d'illusion autre que momentanée. Dans On connaît la chanson (1997), les acteurs passent avec un naturel stupéfiant du registre parlé au registre chanté.
Films ▲
(CM) : Fantômas (1936, inachevé) ; l'Aventure de Guy (id., inachevé) ; Schéma d'une identification (1946, copie disparue) ; Visite à Oscar Dominguez (1947, inachevé) ; Visite à Lucien Coutaud (id.) ; Visite à Félix Labisse (id.) ; Visite à Hans Hartung (id.) ; Visite à César Domela (id.) ; Portrait d'Henri Goetz (id.) ; Journée naturelle ou Visite à Max Ernst (id.) ; la Bague (id.) ; L'alcool tue (id.) ; Transfo transforme l'énergie du pyrium (id.) ; le Lait Nestlé (id.) ; Châteaux de France ou Versailles (1948) ; les Jardins de Paris (id., inachevé) ; Van Gogh (id.) ; Malfray (id.) ; Gauguin (1950) ; Guernica (id.) ; Les statues meurent aussi (CO Chris Marker, 1953 [RÉ 1950-1953]) ; Nuit et Brouillard (1955) ; Toute la mémoire du monde (1956) ; Un dimanche tous ensemble (id., préparé mais non tourné) ; le Mystère de l'atelier 15 (CO André Heinrich, 1957) ; le Chant du Styrène (1958). (LM) : Ouvert pour cause d'inventaire (1946, copie disparue) ; Hiroshima mon amour (1959) ; l'Année dernière à Marienbad (1961), Muriel ou le Temps d'un retour (1963) ; La guerre est finie (1966) ; Loin du Viêt-nam (un épisode, CO W. Klein, J. Ivens, A. Varda, C. Lelouch, J. -L. Godard, 1967) ; Je t'aime, je t'aime (1968) ; l'An 01 (épisode : Wall Street (CO J. Doillon, J. Rouch, 1971) ; Stavisky (1974) ; Providence (FR-GB, 1976) ; Mon oncle d'Amérique (1980) ; La vie est un roman (1983) ; l'Amour à mort (1984) ; Mélo (1986) ; I Want To Go Home (1989) ; Smoking (1993) ; No Smoking (id.) ; On connaît la chanson (1997).