Dictionnaire du Cinéma 2001Éd. 2001
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KUROSAWA (Akira) (suite)

Après ce film, qui obtient un succès mondial (Oscar du meilleur film étranger aux États-Unis) et ouvre un temps les portes du marché occidental au cinéma japonais encore ignoré, Kurosawa obtient toute liberté pour réaliser des projets ambitieux, souvent longs et coûteux dans le contexte de l'industrie japonaise, et dont plusieurs sont devenus des « classiques » : des adaptations de littérature étrangère transposées au Japon, comme l'Idiot (1951, d'après le roman de Dostoïevski), le Château de l'araignée (1957, d'après le Macbeth de Shakespeare) ou les Bas-Fonds (id., d'après la pièce de Gorki), dans une théâtralité symbolique assumée ; mais aussi des sujets originaux exprimant une foi dans l'Homme assez caractéristique d'une époque : Vivre (1952, Ours d'argent à Berlin), où Takashi Shimura interprète avec conviction le rôle d'un fonctionnaire apprenant qu'il est atteint du cancer, et cherchant à donner un sens aux derniers actes de sa vie, ou Chroniques d'un être vivant/Vivre dans la peur (1955), film méconnu en Occident, où Mifune incarne un industriel hanté par l'angoisse atomique.

Mais c'est surtout grâce à ses jidai-geki (films historiques) que Kurosawa a construit sa réputation à l'Ouest : le plus célèbre est sans conteste les Sept Samouraïs (1954, Lion d'argent à Venise), ample fresque située dans le Japon des guerres civiles, où les paysans sont les véritables vainqueurs du combat opposant des brigands aux samouraïs qu'ils ont engagés pour les défendre. À noter que, amputé de la moitié lors de sa première sortie en France, ce film, peut-être le plus ambitieux de l'auteur, a finalement été exploité dans sa version intégrale (3 h 20) après le succès de Kagemusha. Dès la Forteresse cachée (1958), magnifique divertissement jugé parfois superficiel, les jidai-geki de Kurosawa imposent de plus en plus l'image d'un héros solitaire et supérieur, qui se joue de ses ennemis et propose un modèle éthique à ses contemporains : ainsi du personnage de Sanjuro Kuwabatake dans Yojimbo et la suite, Sanjuro, adaptée d'une œuvre de Shugoro Yamamoto, écrivain de prédilection du cinéaste, dont il adaptera ensuite Barberousse et Dodes'kaden (1970), son premier film en couleurs. Mais l'on retrouve cette perception dans ses œuvres plus récentes, comme Les salauds dorment en paix (1960) ou Entre le ciel et l'enfer (1963, tiré d'un thriller d'Ed McBain), où un conflit social est résolu en termes moraux.

Après 1965, Kurosawa, surnommé au Japon, non sans quelque ironie, « l'empereur du cinéma japonais », traverse la période la plus déprimante de sa vie : des projets inaboutis à Hollywood, dont le plus avancé fut Tora, Tora, Tora (1969, repris par Richard Fleischer), et l'échec commercial de son Dodes'kaden, une parabole amère sur l'envers du Japon actuel, le conduisent en 1971 à une tentative de suicide dont il réchappe cependant. Ce n'est qu'en 1973 que les Soviétiques lui proposent de tourner en URSS Dersou Ouzala (1975), dont le grand prix de Moscou et le succès inattendu dans plusieurs pays lui valent une nouvelle notoriété. Pourtant, il lui faudra encore l'apport des Américains (F. F. Coppola, G. Lucas et la 20th Century Fox) pour qu'il puisse mener à bien Kagemusha (1980), dont la somptueuse mise en scène lui vaudra une Palme d'or à Cannes. Sur le thème d'un voleur (Tatsuya Nakadai) jouant le double du seigneur Shingen Takeda au XVIe siècle, Kurosawa a signé son premier film véritablement historique, en soulignant les ambivalences du pouvoir et de sa représentation. En 1984, il tourne Ran, une adaptation très libre et japonisée du Roi Lear de Shakespeare, et, grâce à G. Lucas et S. Spielberg, met en scène avec une belle jeunesse d'inspiration en 1989-1990 Rêves, film-testament d'un vieil homme écartelé entre le souvenir du paradis perdu (l'innocence et la poésie de l'enfance, la simplicité harmonieuse de la nature) et l'agressivité des cauchemars (l'horreur de la guerre, la menace des catastrophes nucléaires). Grâce à une nouvelle participation américaine, il tourne encore un film sur l'obsession du trauma atomique, avec Rhapsodie en Août (Hachigatsu no kokyogaku, 1991), où apparaît l'acteur Richard Gere. Son dernier film, sorte de testament spirituel incarné par la figure de l'écrivain Hyakken Uchida, sera Madadayo (1993). Parmi ses nombreux scénarios inédits, Après la pluie (Ame agaru) sera porté à l'écran par son assistant Takashi Koizumi en 1999, avec sa fidèle équipe, en hommage au maître disparu, qui demeure l'une des plus imposantes personnalités du cinéma mondial.

Films  :

la Légende du Grand Judo (Sugata Sanshiro, 1943) ; le Plus Beau (Ichiban utsukushiku, 1944) ; la Nouvelle Légende du Grand Judo (Sanchiro Sugata II, Zoku Sugata Sanshiro, 1945) ; les Hommes qui marchent sur la queue du tigre (Tora no o o fumu otokotachi, id.) ; Ceux qui bâtissent l'avenir (Asu o tsukuru hitobito ; CO : Kajiro Yamamoto, Hideo Sekigawa, 1946) ; Je ne regrette rien de ma jeunesse / Rien à regretter de ma jeunesse (Waga seishun ni kui nashi, id.) ; Un merveilleux dimanche (Subarashiki nichiyobi, 1947) ; l'Ange ivre (Yoidore tenshi, 1948) ; le Duel silencieux (Shizukanaru ketto, 1949) ; Chien enragé (Norainu, id.) ; Scandale (Shubun, 1950) ; Rashomon (id., id.) ; l'Idiot (Hakuchi, 1951) ; Vivre (Ikiru, 1952) ; les Sept Samouraïs (Shichinin no samurai, 1954) ; Chronique d'un être vivant/Vivre dans la peur/ Si les oiseaux savaient (Ikimono no kiroku, 1955) ; le Château de l'araignée / le Trône sanglant / Macbeth (Kumonosu-Jo, 1957) ; les Bas-Fonds (Donzoko, id.) ; la Forteresse cachée (Kakushi toride no san akunin, 1958) ; Les salauds dorment en paix (Warui yatsu hodo yoku nemuru, 1960) ; Yojimbo/le Garde du corps (Yojimbo, 1961) ; Sanjuro (Tsubaki Sanjuro, 1962) ; Entre le ciel et l'enfer (Tengoku to jigoku, 1963) ; Barberousse (Akahige, 1965) ; Dodes'kaden (Dodesukaden, 1970) ; Dersou Ouzala / l'Aigle de la Taïga (Dersu Uzala, 1975) ; Kagemusha (id., 1980) ; Ran (id., FR-JAP, 1985) ; Rêves (Dreams / Konna yume o mita, US, 1990) ; Rhapsodie en août (Hachigatsu no kokyogaku, 1991) ; Madadayo (1993).