Dictionnaire du Cinéma 2001Éd. 2001
C

CUKOR (George Dewey) (suite)

Our Betters doit peut-être au théâtre anglais qu'il adapte, mais aussi à l'exemple de Lubitsch et de sa version paradoxalement muette d'Oscar Wilde (l'Éventail de Lady Windermere, 1925). Cukor peut d'ailleurs à bon droit être considéré comme un disciple de Lubitsch, sous la supervision duquel il réalisa Une heure près de toi (1932), remake de Comédiennes (The Marriage Circle, 1924) de Lubitsch lui-même.

Nourri de théâtre et de culture européenne, ayant signé quelques-uns des films hollywoodiens les plus raffinés et réalisés avec le plus grand bonheur des années 30, comme David Copperfield, Sylvia Scarlett, le Roman de Marguerite Gautier, Femmes ou Indiscrétions, Cukor a aussi été un des représentants les plus brillants du cinéma « moderne » des années 50, caractérisé par le grand écran et la couleur. De même qu'il se veut simple metteur en scène, de même il décline toute responsabilité dans l'aspect visuel d'Une étoile est née ou de la Croisée des destins pour en attribuer le mérite à George Hoyningen-Huene. Encore fallait-il que Cukor s'entourât de tels collaborateurs, qu'il les laissât œuvrer à leur guise, et que lui-même se révélât dramaturge à la mesure d'une forme somptueuse et d'ailleurs porteuse de sens. Il faut se souvenir qu'il devait diriger Autant en emporte le vent (1939), film « à grand spectacle » s'il en fut, mais qu'après trois semaines de tournage il fut renvoyé par Selznick et remplacé par Victor Fleming pour des raisons qui ne sont pas entièrement éclaircies. (D'une part, Selznick aurait eu le sentiment que Cukor attachait trop d'importance aux détails et négligeait le mouvement d'ensemble du film. D'autre part, Clark Gable se serait plaint d'être ignoré par le metteur en scène au profit des actrices Vivien Leigh et Olivia De Havilland. Mais sans doute le conflit dérivait-il aussi de ce que, le projet revêtant une importance toute particulière, Selznick intervenait lui-même au niveau de la mise en scène.) Cukor a pu vouloir prendre une sorte de revanche. Quoi qu'il en soit, à partir d'Une étoile est née, soit quinze ans après Autant en emporte le vent, il réalise une série de films à grand spectacle d'une force dramatique peu commune. Ces œuvres qui marquent peut-être le sommet de sa carrière ont d'ailleurs pour arrière-plan des drames antérieurs. Ainsi Une étoile est née, mélange de mélodrame et de musical, autoportrait à la fois flamboyant et cruel d'Hollywood, se souvient non seulement du précédent film du même titre (de Wellman, 1937), œuvre estimable mais moins ambitieuse, mais aussi de What Price Hollywood ? de Cukor lui-même, où, déjà, on voit la gloire naissante d'une jeune femme éclipser celle de son compagnon, qui se suicide.

Les œuvres des années 50 sont précédées et, dans une certaine mesure, préfigurées par des drames sombres qu'on aurait tort de ne pas identifier aussi à Cukor, ainsi Héritage, Hantise ou encore la Flamme sacrée (1943) avec ses échos de Citizen Kane et, dans son personnage d'enquêteur, comme une anticipation du Grand Sommeil de Hawks... Quant à la violence sexuelle de la Croisée des destins ou des Liaisons coupables (1962), elle a été précédée par les interrogations de Sylvia Scarlett et la sexualité feutrée de Femmes.

Le plus précis des directeurs d'actrices a donc également réalisé des spectacles d'une ampleur visuelle et musicale incomparable : en dehors d'Une étoile est née, mentionnons la Croisée des destins qui met en scène un drame à la fois individuel (celui d'Ava Gardner partagée entre ses origines anglaises et indiennes) et historique (l'Inde accédant, dans les convulsions, à l'indépendance), les Girls (1957), My Fair Lady (où Cecil Beaton, qui signa décors et costumes, joue un rôle comparable à celui de George Hoyningen-Huene pour les précédents films en couleurs de Cukor, ou encore à celui de William Cameron Menzies sur Autant en emporte le vent).

Films :

Grumpy (CO Cyril Gardner, 1930) ; The Virtuous Sin (CO Louis Gasnier, id.) ; The Roval Family of Broadway (CO C. Gardner, 1931) ; Tarnished Lady (id.) ; Girls About Town (id.) ; Une heure près de toi (One Hour with You, CO E. Lubitsch, 1932) ; What Price Hollywood ? (id.) ; Héritage (A Bill of Divorcement, id.) ; Rockabye (id.) ; Our Betters (1933) ; les Invités de huit heures (Dinner at Eight, id.) ; les Quatre Filles du docteur March (Little Women, id.) ; David Copperfield (id., 1935) ; Sylvia Scarlett (id., id.) ; Roméo et Juliette (Romeo and Juliet, id.) ; le Roman de Marguerite Gautier (Camille, 1937) ; Vacances (Holiday, 1938) ; Zaza (id., id.) ; Femmes (The Women, 1939) ; Suzanne et ses idées (Susan and God, 1940) ; Indiscrétions (The Philadelphia Story, id.) ; Il était une fois (A Woman's Face, 1941) ; la Femme aux deux visages (Two-Faced Woman, id.) ; Her Cardboard Lover (1942) ; la Flamme sacrée (Keeper of the Flame, 1943) ; Resistance and Ohm's Law (DOC pour l'Army Signal Corps, 1944 ) ; Hantise (Gaslight, id.) ; Winged Victory (id.) ; la Femme de l'autre (Desire Me, non crédité, 1947) ; Othello (A Double Life, 1948) ; Édouard, mon fils (Edward, My Son, 1949) ; Madame porte la culotte (Adam's Rib, id.) ; Ma vie à moi (A Life of Her Own, 1950) ; Comment l'esprit vient aux femmes (Born Yesterday, id.) ; The Model and the Marriage Broker (1952) ; Je retourne chez maman (The Marrying Kind, id.) ; Mademoiselle Gagne-Tout (Pat and Mike, id.) ; The Actress (1953) ; Une femme qui s'affiche (It Should Happen to You, 1954) ; Une étoile est née (A Star Is Born, id.) ; la Croisée des destins (Bhowani Junction, 1956) ; les Girls (id., 1957) ; Car sauvage est le vent (Wild Is the Wind, id.) ; la Diablesse en collant rose (Heller in Pink Tights, 1960) ; le Bal des adieux (Song Without End, film terminé à la mort de son réalisateur Charles Vidor, id.) ; le Milliardaire (Let's Make Love, id.) ; les Liaisons coupables (The Chapman Report, 1962) ; My Fair Lady (id., 1964) ; Justine (id., 1969) ; Voyages avec ma tante (Travels with my Aunt, 1973) ; Love Among The Ruins (TV, 1975) ; l'Oiseau bleu (The Blue Bird, 1976) ; The Corn Is Green (TV, 1979) ; Riches et célèbres (Rich and Famous, 1981).