La chronophotographie précède le film. Elle se doit, dès ses premiers essais, de procurer à ses prises de vues de personnages ou d'animaux en mouvement un fond capable de leur donner un modelé, de les isoler. Muybridge fonce le ciel par l'emploi de plaques très sensibles, Marey tend du velours noir et peint en noir son studio. Le premier studio d'Edison, la Black Maria, recherche aussi le noir absolu. Abstraction, degré zéro du décor, qui permet les effets d'éclairage, les trucages, l'illusion magique dont Méliès en France, de 1896 à 1913, s'avère l'incontestable so(u)rcier. Le film, qui alors vient de naître dans les mains des frères Lumière, se découvre immédiatement tributaire de décors construits (qui peuvent être également situés en extérieurs). Issu du théâtre forain, illusionniste et naïf, du théâtre filmé, le cinéma de studio en adopte, avec la situation frontale, statique de la caméra, les fonds de toile peinte, que le film d'art utilise avec un louable souci d'exactitude historique, même si les murs se gondolent au gré des courants d'air et des portes qu'on ouvre (l'Assassinat du duc de Guise, A. Calmettes ; DÉC Émile Bertin, 1908). C'est l'illusion, non du réel, mais de la fidélité. Zecca « recopie », pour en faire des « tableaux vivants », les peintures de genre qu'on voit au Salon ou les gravures des magazines (la Catastrophe de la Martinique, 1902 ; les Victimes de l'alcoolisme, id.). Le studio, déjà, combine le « réel » et le trompe-l'œil, à la recherche du faux qui deviendra le vrai. On utilise des maquettes pour mimer les événements de la guerre russo-japonaise (Actualités Pathé)... Décors et trucages l'emportent en importance sur la mise en scène, élémentaire, et les techniciens sont un peu des magiciens à tout faire. Les fonctions ne sont pas encore départagées entre l'ensemblier, l'accessoiriste, le costumier, le décorateur, le directeur artistique et, souvent, le « metteur en scène » assume une grande partie de ces tâches ou les supervise de très près. Ainsi Dreyer, pour qui le décor est un environnement psychodramatique, compose lui-même ceux de ses deux premiers films, dont le Président (1918) ; des cinéastes aussi différents que Murnau, L'Herbier, Eisenstein, Welles, Carné, Visconti, Fellini, Kubrick, Bolognini, attachent aux éléments du décor et à son rôle de composante essentielle au film une attention exigeante, qu'il s'agisse d'extérieurs ou de studio. Ils font, eux aussi, appel aux peintres — tradition héritée du théâtre —, mais surtout à des professionnels capables à la fois d'exprimer ce qu'ils demandent au décor et de résoudre avec leur équipe technique les problèmes complexes créés par le 7e art. Plusieurs cinéastes furent, d'abord, de remarquables créateurs de décors, voire de costumes : Cavalcanti, Autant-Lara, qui travaillent avec L'Herbier ; Abd as-Salam avec Kawalerowicz (Pharaon) ; Cocteau participe à tous les aspects de la mise en œuvre de ses films. Mais, avant tout, il y a, bien sûr, Méliès, inventeur et artisan de son univers, où règnent les farces et attrapes du rêve.
Fonction du décor.
La loi première à laquelle doit satisfaire le décorateur, c'est de créer un espace, un environnement, en accord avec l'esprit général du film, de favoriser la perception par le public des dominantes de l'œuvre : réalisme, exotisme, illusion ou situation dans le temps du film « historique », dit également « film à costumes ». Ce sont, apparemment, des principes que le théâtre connaît, mais que les studios vont devoir adapter aux exigences techniques des tournages. Devenu mobile, non seulement au sol, mais dans les trois dimensions, la caméra doit trouver sa voie sur un plateau de plus en plus encombré par les appareillages du son et de l'électricité. Au contraire du décor du théâtre, celui du studio ne peut plus alors se permettre un faux-semblant de convention : le plan rapproché ou la profondeur de champ excluent l'irréalisme du matériau (il doit donner l'illusion d'être ce que voit le spectateur), et le règne de la toile peinte, avec l'immobile fumée blanche du Vésuve (les Derniers Jours de Pompéi, E. B. Shoedsack, 1935), son paysage africain reliant deux séquences de stock-shots dans Pour un sou d'amour (J. Grémillon, 1932) ou son esquisse de désert (la Forêt pétrifiée, A. L. Mayo, 1936), disparaît peu à peu, sous les quolibets, au profit des transparences, des décors réels, ou des découvertes photographiques aérant des huis clos dont la Corde d'Hitchcock (1948) ou Violence et Passion de Visconti (1975) sont des exemples types. Il est intéressant de noter que deux de ces films sont des adaptations d'œuvres théâtrales et respectent l'unité de lieu. Or, plus l'espace est censé être resserré, plus le décor doit être conçu en fonction du découpage technique du film et prévoir des parties amovibles ; la perfection de chaque élément, des murs et plafonds aux accessoires, doit être obtenue. Il faut éviter certaines couleurs, les peintures laquées ou à brillance, à cause des éclairages intenses, et, bien sûr, les détails ou les objets anachroniques. Le coût élevé des architectures a conduit les studios à la réutilisation d'éléments interchangeables — pouvant composer des pans entiers de décor qu'il suffit de « rhabiller » selon les besoins : une ville romaine, une ville de l'Ouest, une jungle... Les producteurs ont naturellement fait naître le fils de King Kong dans les décors de son père, ou plutôt du vrai « père » de son père, le décorateur et animateur Willis O'Brien (1933). Le réemploi d'éléments ou même de parties importantes d'ensembles construits est une pratique courante, sauf s'il s'agit évidemment de décors « consommables » — par toute forme de destruction spectaculaire — que le plan de tournage doit alors préserver jusqu'à ce que tous les raccords soient effectués : la Party, de Blake Edwards, illustre avec humour les désagréments d'une consommation prématurée du décor. Fait plus rare : la fresque en caramels (c'est le portrait de Trimalcion), innovée par Luigi Scaccianoce pour « d'exquises raisons techniques » à l'occasion du Satyricon, 1969...