DE MILLE (Cecil Blount De Mille, dit Cecil B.) (suite)
On aurait d'ailleurs tort d'opposer strictement ces deux tendances. Dans les comédies sophistiquées, un soin jaloux est apporté aux détails du décor (dû à Wilfred Buckland) et du costume. Dans les films à grand spectacle, les moments d'intimisme ne manquent pas, l'histoire est humanisée. Dans tous les cas, rien n'est laissé au hasard, De Mille contrôle tous les stades de la production en vertu d'une esthétique et d'une économie qui resteront immuables : recherches exhaustives sur chaque sujet, distribution méticuleuse, découpage détaillé comprenant tous les angles de prise de vues, décors souvent à l'échelle et en matériaux durables, etc. En un sens, De Mille est l'adepte d'une conception naturaliste de la mise en scène, ainsi que d'une esthétique victorienne qui a horreur du vide et du flou.
Son « commercialisme » supposé n'explique nullement qu'il n'ait jamais cherché à évoluer, à suivre la mode. Au contraire : son dernier film est un remake des Dix Commandements de 1923, ou plus précisément de leur prologue biblique. À l'instar du Griffith d'Intolérance, il aime en effet confronter le passé historique et le présent afin d'en souligner les ressemblances : rappelons l'Admirable Crichton (avec une séquence babylonienne), le Réquisitoire (1922), qui transporte subitement le spectateur dans la Rome antique, le Signe de la croix (1932), pour lequel il tourne en 1944 un prologue contemporain.
L'un des principaux réalisateurs de la Paramount (issue de la Famous Players-Lasky), il est entouré d'une vaste équipe de collaborateurs, parmi lesquels on peut mentionner Jeanie MacPherson et, plus tard, Jesse Lasky Jr (scénaristes), Mitchell Leisen (costumier et décorateur), Paul Iribe, Hans Dreier (décorateurs), des acteurs comme Henry Wilcoxon (Marc Antoine dans Cléopâtre, 1934, et plus de vingt ans après généralissime égyptien dans les Dix Commandements), ou Anthony Quinn qui deviendra son gendre et réalisera sous sa supervision un remake des Flibustiers de 1938 : les Boucaniers (1958).
Il est vrai qu'au fil de sa carrière De Mille s'est peu à peu détaché des sujets familiers pour ne traiter que des superproductions. De même, le directeur d'actrices comme Mary Pickford (la Petite Américaine, 1917) ou Gloria Swanson devait s'accommoder davantage d'acteurs au jeu sobre et stylisé mais statique, fragments des fresques historiques qu'il peignait : Victor Mature en Samson, Charlton Heston en Moïse. Cependant, l'interprétation de Cléopâtre par Claudette Colbert est pleine d'humour ; Anne Baxter incarnera un personnage du même genre dans les Dix Commandements. De même, Loretta Young est charmante dans la remarquable épopée des Croisades (1935).
Mais la tentation du gigantisme l'emporte : films d'une durée nettement supérieure à deux heures, distributions nombreuses, figuration innombrable, grands sujets d'intérêt à la fois humain, historique, voire philosophique et religieux ; morceaux de bravoure (combat avec un poulpe dans les Naufrageurs des mers du Sud, 1942 ; effondrement du temple de Dagon dans Samson et Dalila, 1949 ; accident de chemin de fer de Sous le plus grand chapiteau du monde ; traversée de la mer Rouge ou adoration du Veau d'or dans les Dix Commandements...). Cette esthétique doit en réalité beaucoup aux illustrateurs et aux peintres du XIXe s. : Gustave Doré, John Martin (qui avait illustré le Paradis perdu de Milton dans un style « babylonien »), Alma-Tadema, Boutet de Monvel, peut-être (pour Jeanne d'Arc). C'est que De Mille, à tous égards — jeu des acteurs, style visuel, idéologie —, était un homme du XIXe siècle.
Films :
le Mari de l'Indienne (The Squaw Man CO Oscar Apfel, 1914) ; The Virginian (id.) ; l'Appel du Nord (The Call of the North, id.) ; What's His Name ? (id.) ; The Man from Home (id.) ; la Rose du ranch (Rose of the Rancho, id.) ; The Girl of the Golden West (1915) ; The Warrens of Virginia (id.) ; The Unafraid (id.) ; The Captive (id.) ; Wild Goose Chase (id.) ; l'Arabe (The Arab, id.) ; Chimmie Fadden (id.) ; Kindling (id.) ; Carmen (id., id.) ; Chimmie Fadden Out West (id.) ; Forfaiture (The Cheat, id.) ; The Golden Chance (id.) ; Tentation (Temptation, id.) ; la Piste du pin solitaire (The Trail of the Lonesome Pine, 1916) ; le Cœur de Nora Flynn (The Heart of Nora Flynn, id.) ; Maria Rosa (id., id.) ; The Dream Girl (id.) ; Jeanne d'Arc (Joan the Woman, 1917) ; la Bête enchaînée (Romance of the Redwoods, id.) ; la Petite Américaine (The Little American, id.) ; les Conquérants (The Woman God Forgot, id.) ; le Talisman (The Devil Stone, id.) ; le Rachat suprême (The Whispering Chorus, 1918) ; Old Wives for New (id.) ; l'Illusion du bonheur (We Can't Have Everything, id.) ; Till I Come Back to You (id.) ; Un cœur en exil (The Squaw Man, id.) ; Après la pluie, le beau temps (Don't Change Your Husband, 1919) ; For Better for Worse (id.) ; l'Admirable Crichton (Male and Female, id.) ; l'Échange (Why Change Your Wife ?, 1920) ; Something to Think About (id.) ; le Fruit défendu (Forbidden Fruit, 1921) ; Le cœur nous trompe (The Affairs of Anatol, id.) ; le Paradis d'un fou (Fool's Paradise, id.) ; le Détour (Saturday Night, 1922) ; le Réquisitoire (Manslaughter, id.) ; la Rançon d'un trône (Adam's Rib, 1923) ; les Dix Commandements (The Ten Commandments, id.) ; Triomphe (Triumph, 1924) ; le Tourbillon des âmes (Feet of Clay, id.) ; le Lit d'or (The Golden Bed, 1925) ; l'Empreinte du passé (The Road to Yesterday, id.) ; les Bateliers de la Volga (The Volga Boatman, 1926) ; le Roi des rois (The King of Kings, 1927) ; les Damnés du cœur ou la Fille sans Dieu (The Godless Girl, 1929) ; Dynamite (id.) ; Madame Satan (Madam Satan, 1930) ; The Squaw Man (1931) ; le Signe de la croix (The Sign of the Cross, 1932) ; le Triomphe de la jeunesse (This Day and Age, 1933) ; Four Frightened People (1934) ; Cléopâtre (Cleopatra, id.) ; les Croisades (The Crusades, 1935) ; Une aventure de Buffalo Bill (The Plainsman, 1937) ; les Flibustiers (The Buccaneer, 1938) ; Pacific-Express (Union Pacific, 1939) ; les Tuniques écarlates (North West Mounted Police, 1940) ; les Naufrageurs des mers du Sud (Reap the Wild Wind, 1942) ; l'Odyssée du docteur Wassell (The Story of Dr. Wassell, 1944) ; les Conquérants d'un nouveau monde (Unconquered, 1947) ; Samson et Dalila (Samson and Delilah, 1949) ; Sous le plus grand chapiteau du monde (The Greatest Show on Earth, 1952) ; les Dix Commandements (The Ten Commandments, 1956).