FRANCE. (suite)
Depuis la fin des années 80, les contradictions s'accentuent dans un cinéma français qui recherche désespérément son public. Devenu minoritaire sur son propre marché, il est dépassé par le cinéma américain depuis 1987, tombant progressivement au-dessous de 30 % du total des entrées des salles de cinéma. Il croit trouver son salut dans des productions coûteuses, et plus généralement dans des films fonctionnant sur des références bien répertoriées auprès du public : souvenirs de Pagnol par Yves Robert (1990), nouveau type de films de Rappeneau, avec Cyrano de Bergerac et le Hussard sur le toit, adaptations de Madame Bovary, Germinal, la Reine Margot, les Misérables, par Chabrol, Berri, Chéreau ou Lelouch. Drames sentimentaux et mélodrames situés dans un cadre historique récent ne manquent pas de séduire : après l'Amant de J.-J. Annaud, Wargnier réalise successivement Indochine et Une femme française. Le versant le plus populaire de la production dominante reste la comédie, représentée par Gérard Oury*, Jean-Marie Poiré* (dont le film les Visiteurs a battu tous les records d'audience) et, de temps à autre, par Claude Zidi*, par un nouveau venu, Hervé Palud (Un Indien dans la ville, 1995), ou par les adeptes d'un humour plus grinçant : Coline Serreau avec la Crise (1992), Josiane Balasko* avec Gazon maudit (1995). Pendant ce temps, les cinéastes établis tournent régulièrement (Chabrol, Rohmer, Godard, Rivette, Doillon, Blier, Corneau, Téchiné, etc.), rejoints par quelques jeunes (Claire Denis*, Olivier Assayas*) ; d'autres le font plus rarement tout en créant l'événement (Resnais, Pialat, Cavalier, Léos Carax) ; quelques producteurs tentent de faire une percée sur le marché nord-américain avec des films tels que Green Card (P. Weir, 1991) et 1492, Christophe Colomb (Ridley Scott, 1992), tous deux avec Depardieu, puis Léon (L. Besson, 1994) et le Cinquième Élément (id., 1997).
Vitalité du cinéma français.
Le système français de soutien au cinéma favorise l'émergence d'un grand nombre de jeunes cinéastes. Alors que le nombre de premiers films était en moyenne de 27 par an de 1987 à 1990, il a dépassé le seuil de 50 dans les dernières années du siècle – au cours desquelles la somme des premiers et deuxièmes films représente la moitié des nouveaux films d'initiative française. La grande majorité ne connaît qu'un succès limité – ce qui n'empêche pas certains jeunes cinéastes d'atteindre un niveau de notoriété et une reconnaissance critique et professionnelle qui leur permet d'élaborer de nouveaux projets. Néanmoins, si on compte chaque année une vingtaine de deuxièmes films, le nombre de nouveaux cinéastes ayant accès à la production d'un troisième et qui feront véritablement carrière est très limité. Le court métrage est redevenu depuis les années 1980 le banc d'essai des jeunes talents à qui une chance est donnée de passer au long métrage : Eric Rochant*, Christian Vincent*, François Dupeyron*, Cédric Klapisch*, Jean-Pierre Jeunet*, Mathieu Kassovitz*, François Ozon*, Pascale Ferran, Dominique Cabrera, Laurent Cantet, Philippe Le Guay, Alain Raoust, Erick Zonca, et bien d'autres se sont révélés dans le film court. À l'inverse, un certain nombre de valeurs établies (par le box-office) se voient confier des budgets non négligeables sur la seule base de leur notoriété, dans un cadre évidemment très commercial (Alain Chabat*, Patrick Timsit et autres stars du petit écran). Mais parfois ce sont des personnalités expérimentées mues par de vrais projets personnels qui passent derrière la caméra au cours des année 1990 (Jacques Audiard*, Michel Piccoli*).
Parmi les dizaines de nouvelles signatures qui symbolisent, avec celles qui ont été évoquées dans la postérité du court métrage, le renouvellement d'une cinématographie en mouvement, on peut citer – au risque d'être injuste pour d'autres : Cédric Kahn*, découvert avec le Bar des rails (1992), Philippe Le Guay (les Deux Fragonard, 1989 ; l'Année Juliette, 1995), Manuel Poirier*(la Petite Amie d'Antonio, 1992), Philomène Esposito (Mima, 1991) – qui a connu un grave échec avec Toxic Affair en 1993 –, Patricia Mazuy (Peaux de vache, 1989 ; Saint-Cyr, 2000), Martine Dugowson (Minna Tannenbaum, 1989), Edwin Baily (Faut-il aimer Mathilde ?, 1993), Pascale Ferran (Petits Arrangements avec les morts, 1994), Noémie Lvovsky (Oublie-moi, 1995), Laetitia Masson (En avoir ou pas, 1995), Christine Carrière (Rosine, 1995), Marie Vermillard (Lila, Lili, 1999), Arnaud Desplechin* (surtout avec Comment je me suis disputé, 1996), Xavier Beauvois (N'oublie pas que tu vas mourir, 1996), Bartabas (Mazeppa, 1993), Olivier Ducastel et Jacques Martineau (Jeanne et le garçon formidable, 1998), Emmanuel Finkiel (Voyages, 1999), Dominik Moll, dont le deuxième film, fort original, Harry, un ami qui vous veut du bien (2000), a obtenu un grand succès. Sans oublier Jacques Audiard, scénariste expérimenté qui étonne à sa première réalisation Regarde les hommes tomber (1994), et deux jeunes cinéastes décédés peu après avoir tourné leur premier film : Cyril Collard (les Nuits fauves, 1992) et Michel Bena (le Ciel de Paris, id.).
La plupart des films français sont des films sans stars ni gros budgets sauf rares exceptions. Beaucoup existent grâce à l'avance sur recettes, aux obligations de pré-achats de Canal Plus (qui apporte un préfinancement à 4 nouveaux films sur 5) et, pour certains d'entre-eux à la chaîne Arte. Le nouveau cinéma français est un cinéma auquel on reproche parfois de manquer de diversité dans la thématique et les références culturelles et sociales, dominé par les récits intimistes et psychologiques, les conflits de génération et les questions de mœurs, les drames et les stratégies amoureuses. Mais c'est aussi un cinéma plus ouvert qu'auparavant à la réalité sociale : monde du travail et chômage, banlieues et quartiers pluriethniques, sida, violence urbaine, malaises du « mal vivre »... Beaucoup de nouveaux cinéastes filment les petites gens, sur le mode de la comédie douce-amère (C. Klapisch*) ou avec gravité (Faut-il aimer Mathilde ?, d'Edwin Baily). Soucieux d'un effet de réel plus vigoureux certains tournent loin de Paris dans une perspective sociale marquée, à l'image de Robert Guédiguian* dont Marius et Jeannette (1997), a été plébiscité par le public. C'est le cas de leur aîné Bruno Dumont qui a tourné dans le Nord la Vie de Jesus (1997) et l'Humanité (1999), d'Erick Zonca avec la Vie rêvée des anges (1998), de Laetitia Masson (En avoir ou pas, 1995, tourné à Boulogne-sur-Mer et Lyon) – rejoints par B.Tavernier, qui a délaissé Lyon et Paris pour venir à son tour dans le Nord pour Ça commence aujourd'hui (1999). Le monde du travail lui-même est mis en scène dans quelques films qui ont pu trouver un public : Nadia et les hippopotames de Dominique Cabrera (2000), Ressources humaines de Laurent Cantet (id.). La banlieue est aussi devenue le cadre de récits percutants (la Haine, de Mathieu Kassovitz, grand succès de l'année 1995 ; ou l'ambigü Ma 6T va cracker de J.-F. Richet, 1997), ou d'approches plus complexes et plus fines (Lila Lili, de Marie Vermillard, par exemple). Parmi celles-ci, les œuvres des enfants de l'immigration prennent un relief particulier : Hexagone (Malik Chibane, 1993), Bye-Bye (Karim Dridi, 1995), Vivre au paradis (Bourlem Guerdjou, 1999). Ces films ont été précédés par ceux de Mehdi Charef (le Thé au harem d'Archimède, 1985) et de Rachid Bouchareb (Bâton rouge, 1985), deux cinéastes qui dans leurs œuvres postérieures ont su dépasser le simple statut de Beur-témoin pour faire des films de portée plus universelle – notamment Little Senegal de Bouchareb, une des surprises de l'année 2001.