Dictionnaire du Cinéma 2001Éd. 2001
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DOCUMENTAIRE. (suite)

Le Suisse Richard Dindo signe deux remarquables portraits à base de documents et de témoignages : Arthur Rimbaud - Une biographie (1991) et Ernesto Che Guevara - Journal de Bolivie (1994). Sa compatriote, Jacqueline Veuve*, poursuit dans une perspective ethnologique une exploration des traditions de son pays. En Italie, Davide Ferrario, dans une veine militante, se penche sur la Résistance dans son pays (Materiale resistente, 1995 ; Partigiani, 1997), tandis que Yervant Gianikian et Angela Ricci Lucchi explorent et exploitent les archives cinématographiques du début de siècle pour réaliser des films subjuguants où se mêlent Histoire et poésie.

Le Néerlandais Johan Van der Keuken poursuit dans la veine de ses considérations socio-culturelles ambitieuses : Face Value (1991), vision du monde à partir du visage humain, Cuivres débridés (Bewogen koper, 1992), confrontation des pratiques musicales sur divers continents. L'Allemande Ruth Beckermann interroge quant à elle la mémoire de son peuple face aux crimes de la Vehrmarcht (À l'est de la guerre, 1996).

Aux États-Unis, Fred Wiseman continue à amasser les témoignages imposants sur l'« American, Way of Life » : Zoo (1992), High School II (1994), Ballet (1995). Dans l'ex-URSS, Artavazd Pelechian poursuit une œuvre originale et secrète avec la Fin (1991) et la Vie (1992) ; le débutant letton qui a fait sensation avec Est-il facile d'être jeune (1986), Juris Podnieks, disparaît prématurément après avoir dressé le bilan catastrophique de la Fin d'un empire (1992). Son percutant exemple a peut-être incité des cinéastes russes connus à se tourner vers le documentaire : Vitali Kanevski avec Nous les enfants du XXe  siècle et Pavel Lounguine avec les Inuits, un peuple en trop, deux « films noirs » en production française.

Le documentaire de long métrage a reçu en 1995 une consécration inattendue de la part de l'industrie américaine : la création d'une catégorie spéciale pour les nominations aux Oscars.

Depuis la multiplication des chaînes de télévision, le documentaire, sous ses diverses formes, ne se diffuse plus que rarement dans les salles de cinéma. Seuls quelques pays (France, Allemagne, Suisse) offrent encore une mince possibilité d'exploitation sur grand écran. Les plus grands eux-mêmes (Wiseman aux États-Unis, par exemple, Chris Marker en France) reçoivent des commandes des chaînes de télévision, qui peuvent apporter parfois un ferme soutien au documentaire : des chaînes spécialisées le diffusent (en France : Planète), les chaînes publiques (en Allemagne, Belgique, Suisse, Suède) ont maintenu un bon niveau de production, de même que la chaîne Arte qui associe Allemagne, France et Belgique francophone. Toutefois, la télévision entretient souvent la confusion entre les différents genres, du journalisme au film simplement didactique, en passant par toutes les formes de reportage et de montage d'archives – d'où, en France, l'apparition de la notion de « documentaire de création », destinée à qualifier les projets les plus ambitieux, qui peuvent par ailleurs recevoir une aide à la production. Les festivals de cinéma documentaire se sont faits plus nombreux (en France, à Paris [Festival du Réel], à Marseille ou Lussas ; en Allemagne, à Munich ; en Italie, à Florence ; au Portugal, à Amadora, etc.) et favorisent les échanges internationaux.

Les œuvres sont aussi diverses que les thématiques et les pays d'origine ; outre les auteurs déjà cités, dont beaucoup poursuivent sans relâche leur tâche de documentariste (Wiseman*, Van der Keuken*, Depardon*, Ophuls*, Dindo*, Sára*...), on peut citer, avec quelques risques d'arbitraire, en France : Richard Copans*, Jean-Pierre Limosin*, Thierry Compain, Philippe Costantini, l'Américain Robert Kramer*, Bernard Mangiante, Mosco, Paule Muxel, Stan Neumann ; en Belgique : Manu Bonmariage, Thierry Knauf, Peter Brosens, Odo Halflans ; en Allemagne : Jürgen Böttcher, Didi Danquart, Harun Farocki, Peter Heller, Helga Rademeister, Rolf Schübel, Dietrich Schubert, Klaus Wildenhahn ; en Suède : Peter Cohen, Stefan Jarl, l'Allemand Peter Nestler ; en Suisse : Erwin Leiser*, Mathias von Gunten, Peter von Gunten, Alain Klarer, Bruno Moll ; et ailleurs : les Américains Charlotte Zwerin et Michael Moore, les Israéliens Amos Gitaï * et Habehira Vehagoral, le Letton Herz Franck, la Tchèque Yana Sevcikova, l'Indien Anand Patwardhan, les Brésiliens Octavio Bezerra, Jorge Bodanzky*, Eduardo Coutinho*, Artur Omar, les Russes Semion Aranovitch, Artur Aristakissian, Alekseï Khanutin, les Québécois Jean-Claude Labrecque*, Michel Moreau, Jacques Leduc, les Australiens Bob Connoly et Robin Anderson...

DOILLON (Jacques)

cinéaste français (Paris 1944).

Monteur, puis réalisateur de courts métrages, il aborde le long métrage en assurant la réalisation d'un film conçu par le dessinateur Gébé, et intégrant deux séquences tournées l'une par Alain Resnais, l'autre par Jean Rouch (l'An 01, sorti en 1973, encore très marqué par l'utopie soixante-huitarde). C'est avec les Doigts dans la tête (1974) que Doillon amorce véritablement son œuvre personnelle. Hors Un sac de billes, film de commande réalisé en 1975, ses films ont en commun une extrême finesse d'analyse psychologique, une audace croissante dans le choix des situations analysées, une expression rigoureuse obtenue par une direction d'acteurs patiente et intraitable (il emploie indifféremment des non-professionnels, des comédiens débutants, ou des acteurs aussi confirmés que Michel Piccoli), et une précision maniaque dans la définition de l'espace qu'il cadre toujours lui-même.

Le sens de l'observation et de l'écoute dont Doillon fait preuve dans ses films essentiels figure déjà dans les courts métrages de commande qu'il tourne parallèlement, et où on peut voir le laboratoire de sa création : les Demi-Jours et Laissés pour compte notamment, réalisés pour le ministère de l'Agriculture avec un souci constant de ne pas trahir le langage des paysans filmés, entretiennent des rapports passionnants avec la Drôlesse et son univers rural étouffé. De la Femme qui pleure jusqu'à Monsieur Abel (produit par TF-1 qui l'a diffusé en octobre 1983) et la Pirate, Doillon a précisé le sens de sa recherche. Il s'applique à mettre à nu la communication qui unit, au-delà des conventions et des règles du jeu social, des êtres enfermés ou oubliés, des personnages clos. Partant d'une observation brûlante des comportements, et d'une analyse aiguë des franges de la conscience, il aboutit à une morale de la liberté insolite, que son talent parvient à imposer comme évidente.