FRANCE. (suite)
Dans cette lignée du film noir, Yves Allégret* tient une place importante. Il avait fait ses premières armes sous l'Occupation et, dès 1945, il réussit les Démons de l'aube, film de guerre sec et violent. À partir de Dédée d'Anvers (1948), qui révèle Simone Signoret*, il trouve son scénariste, Jacques Sigurd*, et sa voie. Le film renoue avec les succès de l'immédiate avant-guerre. Pavés mouillés, angoisse et espoir toujours mélangés, nuits oppressantes, aubes désenchantées : les filles et les souteneurs, les tenanciers et les marins y exploitent avec efficacité leurs silhouettes traditionnelles. Une si jolie petite plage (1949) va plus loin dans la désespérance et tire d'un sujet linéaire un long accord plaintif et déchirant ; enfin, Manèges (1950) choque par son pessimisme brutal. Chaque personnage traîne son ignominie, son imbécillité, ses vices. Avec ses partis pris : chef-d'œuvre d'un style. Ni les amours contrariées des Miracles n'ont lieu qu'une fois (1951), ni les révolutionnaires irlandais de la Jeune Folle (1952), ni le couple des Orgueilleux (1953) observé sous le soleil mexicain, ni même un film social comme la Meilleure Part (1956) ne permettent à Allégret de s'exprimer aussi complètement et sa carrière reste curieusement inaccomplie.
Avatar du film noir, le film de gangsters, de truands, porté par le succès des romans de la Série noire, va proliférer à partir des années 50 ; de l'énumération des titres se dégagent accablement et morosité. Le genre a pourtant ses lettres de noblesse. Touchez pas au grisbi de Becker (1954) décrit sans complaisance la vie, traversée d'orages, de deux truands embourgeoisés. D'autres films beaucoup moins intéressants vont en découler, confectionnés pour Gabin, qui s'affirme avec la pesanteur d'un roc. Jules Dassin* prend également pour héros dans Du rififi chez les hommes un gangster fatigué, qu'il fourvoie dans un « casse » élaboré et détaillé avec minutie. Decoin trouve avec Razzia sur la chnouff, réquisitoire contre la drogue, des accents qui surprennent chez cet estimable commerçant (1955), comme avait surpris l'amertume des vies manquées dans la Vérité sur Bébé Donge (1952). C'est aussi dans un milieu de grands bourgeois où s'introduit une gamine perverse que Autant-Lara* situe En cas de malheur (1958), et on peut classer toujours sous la même étiquette les films de Franju, où jaillissent des éclairs de poésie cruelle : la Tête contre les murs (1959) et son décor d'asile d'aliénés, les Yeux sans visage (1960) avec son inquiétante clinique, son chirurgien fou et ses vols de colombes au-dessus des flaques de sang.
Parallèlement au film noir, le film judiciaire avec le cérémonial des procès, l'incertitude des verdicts reste le domaine réservé d'André Cayatte*. Ancien avocat devenu scénariste puis réalisateur, il avait fourni pendant huit ans des films d'un intérêt modeste (à l'exception des Amants de Vérone, 1949, auquel Prévert avait participé) lorsque, en 1950, il décroche un prix à Venise pour Justice est faite. Les insuffisances des jurys de cours d'assises y sont lumineusement démontrées et mises en valeur par une brochette d'excellents comédiens. L'année suivante, il se livre à un vibrant réquisitoire contre la peine de mort, et Nous sommes tous des assassins demeure son film le plus maîtrisé et aussi le plus émouvant. D'autres, de la même veine, vont suivre : le Dossier noir (1955), le Glaive et la Balance (1963), Verdict (1974), l'Amour en question (1978). Malheureusement, si les thèses exposées ont toujours leur intérêt, l'académisme de leur mise en scène, le manichéisme des porte-parole desservent leur générosité évidente. De semblables défauts alourdissent les autres œuvres de Cayatte, et l'auteur est prolifique.
Les classiques du cinéma français.
On continue de goûter les charmes des époques révolues, ranimées avec amour par Autant-Lara : le Diable au corps, qui fait scandale à Bruxelles en 1947 ; Occupe-toi d'Amélie (1949), étonnante adaptation du vaudeville de Feydeau* par Bost* et Aurenche* ; le Blé en herbe (1954), qui ressuscite les modes de 1930 à la faveur du roman de Colette ; Marguerite de la nuit (1956), dont les admirables décors stylisés de Max Douy* recréent la période Arts déco ; enfin, le Joueur (1958). L'Occupation, avec ses misères et ses ignominies, permet au réalisateur de peindre des tableaux acides et virulents, dont le plus célèbre demeure, à juste titre, la Traversée de Paris (1956) ; mais le Bon Dieu sans confession (1953) et les Patates (1969) ne manquent pas non plus de causticité. Le fabliau qui a pour décor une Ardèche sauvage et enneigée, l'Auberge rouge, doit être mis à part. Film bourré de malices, de ricanements, où Fernandel* trouve l'un de ses meilleurs rôles (1951).
Autres exemples de films désuets réussis : Le silence est d'or (1947), où le revenant René Clair s'attendrit sur les années d'enfance du cinéma et agite de jolis pantins au gré d'un scénario minutieusement construit. Le même soin préside à la stratégie amoureuse des Grandes Manœuvres (1955), où la couleur accentue la gravité du drame sous-jacent. Les trois époques des Belles de nuit (1952) n'échappent pas à une certaine mécanisation ; quant aux Fêtes galantes (1966), alourdies par une interprétation hybride, elles ne rappellent que de très loin les grandes réussites du cinéaste. Jean Renoir fait surgir avec une belle humeur communicative et une palette éclatante Montmartre 1900 dans French Cancan (1955) et ironise de manière plus brouillonne sur l'aventure boulangiste dans Éléna et les hommes (1956). Quant à André Michel*, il sait transcrire les rosseries douces-amères de Maupassant (Trois Femmes, 1952). Maupassant encore permet à Ophuls de donner son œuvre la plus accomplie et la plus lumineuse (le Plaisir, 1952). Il avait enfin trouvé le succès avec la Ronde (1950), viennoiserie de A. Schnitzler brillamment enlevée par des artistes parisiens. Madame de (1953) enveloppe de grâces surannées et mélancoliques un bref récit de Louise de Vilmorin. Lola Montès (1955), coûteuse superproduction et retentissant échec commercial, modèle de film incompris et par ailleurs inclassable, hâte la mort de son réalisateur. Et l'on remonte jusqu'au XVIIIe siècle, avec Fanfan la Tulipe (Christian-Jaque, 1952), poudre d'irrévérence et de drôlerie, pour retrouver le souvenir des vieux cinéromans.