DOCUMENTAIRE. (suite)
Cinéma direct et militant.
Vers la fin des années 50, le Canada, la France et les États-Unis renouvellent la conception et la finalité du documentaire. Il s'agit, pour les promoteurs du « cinéma direct », d'en recentrer l'objectif en éliminant l'esthétisme, en faisant surgir la parole des sujets eux-mêmes et non en accolant un discours d'auteur sur des séquences déjà composées, notamment au montage. L'influence de la télévision, l'apparition d'appareils de prises de vues et de sons légers et maniables, le désir de communiquer de manière plus spontanée avec les gens ou les groupes sociaux jettent les bases du cinéma direct. D'innovation technique, il se transforme, au cours des années 60, en arme de combat : les cinéastes militants lui doivent beaucoup. Sa vulgarisation par la télévision l'oriente, actuellement, vers le journalisme filmé.
Lorsque Grierson crée, en 1939, l'ONF, il se donne pour but de bâtir un système d'information sur les problèmes du moment qui soit indépendant de tout groupement financier ou politique. Rapidement, après la guerre, apparaissent des films du type de Paul Tomkowicz, Street Railway Switchman (C. Low et Roman Kroitor, 1953). Cette bande laisse la parole à un ancien travailleur des chemins de fer qui raconte sa vie.
En 1958, une série télévisée intitulée Candid Eye, composée de quinze courts métrages, donne son titre à cette nouvelle manière d'appréhender les sujets. L'équipe, à prédominance anglophone, dominée par Terence Macartney-Filgate, compte dans ses rangs quelques cinéastes de langue française comme Georges Dufaux et Michel Brault. Il s'agit, pour Terence Macartney-Filgate, de jeter un regard sur le vif en allant un peu plus loin que les actualités filmées, mais en demeurant objectif, en s'interdisant d'émettre des jugements. Dans ses films (The Day Before Christmas, Blood on Fire, The Black-Breaking Leaf, 1958), où la technique devient partie intégrante du langage, le cinéaste demeure fidèle à son simple rôle de témoin. Les réalisateurs de langue anglaise se désintéressent rapidement du Candid Eye. Wolf Koenig et Roman Kroitor proposent, avec Lonely Boy (1962), un portrait du chanteur Paul Anka, l'œuvre la plus aboutie de cette époque. C'est l'équipe française de l'ONF qui, avec les Raquetteurs (M. Brault et G. Groulx, 1958), donne le coup d'envoi au cinéma direct canadien. Ce dernier coïncide avec la naissance même du film québécois. La langue française, notamment grâce aux films de Pierre Perrault (Pour la suite du monde, 1963 ; le Règne du jour, 1966 ; les Voitures d'eau, 1969), acquiert une nouvelle dimension due à une mise en espace du parler québécois. Par-delà l'innocence du Candid Eye, les films de Perrault sont solidement ancrés dans la réalité du Canada francophone. Rapidement, le cinéma direct devient un instrument de lutte : Saint Jérôme (Fernand Dansereau, 1968), On est au coton (D. Arcand, 1970), etc. On doit également mentionner la Chronique des Indiens du nord-est du Québec (A. Lamothe et Rémi Savard, 1974-1980) : cette expérience socio-ethnographique permet à une minorité acculturée de témoigner de sa prise de conscience.
Dans les années 50 se développe en France, parallèlement aux films d'art, un courant réaliste proche des méthodes d'un Rouquier. On y trouve essentiellement les œuvres de Georges Franju (le Sang des bêtes, 1949 ; Hôtel des Invalides, 1952), de Robert Menegoz (Vivent les dockers, 1950), de René Vautier (Afrique 50), de Jacques Demy (le Sabotier du Val de Loire, 1956), de Roger Leenhardt (François Mauriac, 1954), de Jean Dewever (la Crise du logement, 1955).
Jean Rouch, cinéaste-ethnologue et grand amoureux de l'Afrique, débute en 1947 avec Au pays des rois mages. Il s'aperçoit très vite du côté artificiel du documentaire traditionnel. Le commentaire illustratif du réalisateur sur les images filmées ne le satisfait pas. Dans Jaguar (version 1957), il confie à un participant le soin de narrer le film : ce dernier y introduit sa subjectivité. La vérité documentaire se résume pour Rouch à l'authenticité du projet. Développer l'imaginaire des sujets lui semble une étape importante de ce processus. Il demande au protagoniste de Moi un Noir (1959) de rejouer des épisodes de sa vie. La conception de Rouch en la matière est bien différente de celle des Canadiens du Candid Eye ou de l'école américaine des Drew, Leacock, Pennebaker. Il ne prône pas l'effacement du cinéaste et de sa caméra face à l'événement, mais tente plutôt de le provoquer.
Durant l'été 1960, Jean Rouch et le sociologue Edgar Morin utilisent, pour la première fois en France, dans Chronique d'un été, la caméra portative Coutant 16 mm et le magnétophone Nagra. Répondant à la question « Êtes-vous heureux ? », les personnages interrogés se confient spontanément aux instruments, dont ils arrivent à oublier l'existence. En hommage à Vertov, les auteurs qualifient leur entreprise de « nouveau cinéma-vérité ».
Chris Marker, auteur de documentaires subjectifs (Un dimanche à Pékin, 1956 ; Lettre de Sibérie, 1958 ; Description d'un combat, 1961), se lance, avec le Joli Mai (1963), dans une entreprise proche de celle de Rouch et de Morin. Cet homme cultivé confère à ses œuvres une exigence formelle : Sans soleil (1983). Mario Ruspoli (les Inconnus de la terre, 1961 et Regard sur la folie, 1962) illustre les tendances de ce « cinéma-vérité ». François Reichenbach les utilise accessoirement. Si les événements sont saisis sur le vif dans l'Amérique insolite (1960), le son, en revanche, est postsynchronisé. Dans Un cœur gros comme ça (1961), portrait d'un boxeur noir, l'auteur reconstitue certaines scènes pour créer du pittoresque et non pour atteindre à la vérité du sujet. La même approche discutable se retrouvera dans ses films ultérieurs. Signalons la passionnante expérience de Jean-Pierre Daniel et Fernand Deligny, le Moindre Geste (1963-1968), qui, sur une durée de cinq ans, restitue le monde intérieur d'un débile mental.
Le cinéma de montage (Nuit et Brouillard, A. Resnais ; le Temps du ghetto, F. Rossif, 1961) retrouve une nouvelle jeunesse avec le Chagrin et la Pitié (Marcel Ophuls, 1969) et Français, si vous saviez (A. Harris et A. de Sédouy, 1972), films éclairant d'un jour nouveau le passé national. Depuis 1968, une abondante production militante se développe en France, qui abuse du discours au détriment de l'image. Citons quelques spécimens marquants : le Ghetto expérimental (Jean-Michel Carré, 1973) ; Gardarem Lo Larzac (Philippe Haudiquet, 1974) ; Histoires d'A (Ch. Belmont et Marielle Issartel, 1974) ; Quand tu disais Valéry (René Vautier, 1975) ; Pour qui les prisons ? (Elia Lennasz, 1977) ; Regarde, elle a les yeux grands ouverts (Y. Le Masson, 1979) ; Plogoff, des pierres contre des fusils (Nicole Le Garrec, 1980). Ces films parlent du chômage, de l'avortement, de la pollution...