Dictionnaire du Cinéma 2001Éd. 2001
E

EICHBERG (Richard)

cinéaste et producteur allemand (Berlin 1888 - Munich 1953).

Il débute en 1913 en réalisant Collins Tagebuch. Une quarantaine de films suivront, les premiers teintés d'une vague coloration expressionniste, à la mode du temps (Hypnose, Monna Vanna), d'autres (à l'approche des années 30) relevant plutôt de la comédie légère, non exempte de vulgarité (Die tolle Lola), les derniers (au parlant) sans originalité ni thème personnel particuliers, à l'exception du fameux diptyque Der Tiger von Eschnapur / Das Indische Gribmal (1938), remake du film muet de Joe May, le Tombeau hindou, dont Fritz Lang tournera en 1959 une troisième et superbe version. Eichberg a dirigé les deux moutures, allemande et française : l'allemande surtout est riche d'une extravagance et d'un dynamisme dignes des grands serials muets. Eichberg a tourné un ultime film après guerre, Die Reise nach Marrakesch (1949).

EILERS (Dorothea Sally Eilers, dite Sally)

actrice américaine (New York, N.Y., 1908 - Woodland Hills, Ca., 1978).

Au cours des années 20, elle apparaît dans des rôles mineurs (on la remarque toutefois aux côtés de Hoot Gibson et de Buster Keaton) avant d'être engagée par Mack Sennett dans The Good bye Kiss, en 1928. En 1931, Frank Borzage lui offre sa plus belle interprétation dans Bad Girl, où elle a James Dunn comme partenaire. Elle est alors considérée comme l'une des plus jolies actrices d'Hollywood, mais, curieusement, elle ne parvient pas à s'imposer dans des films d'envergure et doit se contenter de figurer dans des productions de second ordre. Elle fut l'épouse de Hoot Gibson (1930-1933) et du producteur américain Harry Joe Brown (1933-1943).

EISBRENNER (Werner)

musicien allemand (Berlin 1908 - id. 1981).

Il étudie à Berlin avec Dahlke et Hernried. À 26 ans, il entame une carrière prolifique et parfois talentueuse, attachant son nom à quelques films singuliers, parmi lesquels Lumière dans la nuit (H. Käutner, 1942) en collaboration avec Lothar Brühne, Titanic (Herbert Selpin et Werner Klinger, 1943), Grosse Freiheit Nr. 7 (Käutner, 1944), Ballade berlinoise (R. A. Stemmle, 1948), Des enfants, des mères et un général (L. Benedek, 1955), les Rats (R. Siodmak, id.), Der letzte Zeuge (W. Staudte, 1960).

EISENSTEIN (Serguei Mikhaïlovitch [Sergej Mikajlovič Ejzenštejn])

cinéaste et théoricien soviétique (Riga 1898 - Moscou 1948).

Fils d'un architecte-ingénieur d'origine juive allemande et d'une mère « aryenne » russe appartenant à la grande bourgeoisie marchande, Eisenstein connaît une enfance grise et solitaire dans une famille désunie. Ses parents divorcent en 1912. Ses études achevées au lycée de Riga, il entre à l'Institut du génie civil de Petrograd. Après la révolution de février 1917, il fait partie de la Milice populaire puis est appelé à l'École d'élèves officiers du génie. En mars 1918, il s'engage dans l'Armée rouge, collabore au théâtre aux armées, décore des trains de l'agit-prop. Démobilisé, il s'inscrit à l'Académie militaire de Moscou en vue d'étudier le japonais. Mais, retrouvant son ami d'enfance Maxime Chtraoukh devenu comédien, il décide de se consacrer lui aussi exclusivement au théâtre. Il devient chef décorateur puis directeur artistique du premier Théâtre ouvrier du Proletkoult. Entre 1921 et 1922, il suit les cours de Meyerhold, où il se lie à Serge Youtkévitch, cofondateur de la FEKS avec Grigori Kozintsev et Léonid Trauberg. Du printemps de 1923 au printemps de 1924, il dispose de sa propre troupe et monte, avec le concours de Serguei Trétiakov, ses propres spectacles, trois agit-guignols (‘ le Sage ’, avril 1923 ; ‘ Moscou entends-tu ? ’, novembre 1923 ;’ Masques à gaz ’, février 1924), ce dernier joué dans l'usine à gaz de Moscou. Ce théâtre est dominé par l'excentrisme ; Eisenstein y met en pratique le « montage des attractions » qu'il a théorisé dans un article manifeste paru en juin 1923 dans Lef, la revue du Front gauche de l'art animée par Maïakovski. Mais la contradiction entre le langage essentiellement conventionnel du théâtre et le discours violent de la réalité d'une usine véritable paraît à Eisenstein insurmontable — sauf au cinéma. Il décide donc le Proletkoult à produire des films. Un cycle de sept films est prévu : Vers la dictature (du prolétariat). Eisenstein tournera le cinquième. C'est la Grève (1925), que ses « attractions » — le « royaume des gueux », le travail des mouchards de la police, l'attaque par les cosaques de la cité ouvrière, le massacre des grévistes — rendent immédiatement célèbre. L'année suivante, le Cuirassé « Potemkine » bouleverse le cinéma mondial. Il inquiète aussi toutes les censures. Dès ces premières œuvres, la réflexion théorique et l'esthétique d'Eisenstein sont assurées. Elles vont nourrir, à partir de 1928, son enseignement à l'Institut du cinéma. Le cinéma doit tendre au langage, le film au discours. Principe dynamique, le montage leur fournit une syntaxe. Il ménage entre les plans des surprises, des chocs, des conflits producteurs de sens. Faire un film, ce ne sera plus élaborer un contenu, une histoire, à partir de lois dramatiques réputées universelles ; ce sera assembler, organiser des plans. Le film ne sera plus un spectacle, ni un drame, ni un voyage documentaire, ni un reportage conçu à la façon des filatures policières ; ce sera une réflexion jaillie d'une expérience concrète, le cheminement orienté d'une pensée, l'analyse d'une réalité. « L'Amérique [avec Griffith] n'a pas compris le montage, écrit Eisenstein. L'Amérique reste honnêtement narrative, elle ne redistribue pas ses images figuratives, elle montre simplement ce qui arrive. » Le gros plan chez Griffith n'est qu'un plan rapproché (on voit mieux). Chez Eisenstein, c'est vraiment un plan gros, un plan agrandi : comme le Christ ou les rois de la peinture gothique qui dépassent de plusieurs têtes ceux qui les entourent (c'est un argument qui prend place et force dans un débat).

1926. Eisenstein s'attelle à la Ligne générale, dont le thème est la collectivisation des campagnes. Il lui faut bientôt l'interrompre pour tourner Octobre, le film du jubilé (dixième anniversaire de la révolution). Octobre inaugure le montage intellectuel ou « pensée sensorielle » : jeux d'associations d'images plus ou moins arbitraires qui doivent conduire « physio logiquement » — car il s'agit de concilier l'approche poétique et l'approche rationnelle — l'esprit du spectateur vers les concepts puis les idées préétablis par le cinéaste. Selon une formule qu'il emprunte à l'histoire de l'écriture idéogrammatique (un œil + de l'eau = pleurer ; un arbre + du feu = automne ; une femme + un toit = sérénité), le film construit ses propres « idéogrammes » et les modifie à mesure des besoins de sa dialectique. C'est une pensée qui se développe, qui s'écrit en images et en rythmes. Eisenstein n'aura plus latitude de pousser plus avant cette expérience révolutionnaire. Tout au plus pourra-t-il la répéter (dans la Ligne générale, dans Ivan le Terrible), mais en la déguisant. Quand il reprend le tournage de la Ligne générale, la ligne politique du pouvoir a changé, la collectivisation s'est accélérée, la violence et la terreur se sont emparées des campagnes. Le film, débaptisé, devient l'Ancien et le Nouveau et Eisenstein l'installe non dans l'idéal réalisé mais, honnêtement, dans le mythe socialiste ou, si l'on préfère, dans l'utopie.