ALDRICH (Robert) (suite)
Dès 1955, les ennuis commencent pour Aldrich. Éliminé du tournage de Racket dans la couture, il essaie à la fois de la réalisation itinérante en Europe, avec des résultats plutôt décevants, et de l'autoproduction : El perdido est malheureusement un film inégal, une sorte de western inversé (au profit d'une rêverie romantique) sur un scénario de Dalton Trumbo. Ce n'est qu'en 1963 qu'Aldrich se relance commercialement, avec Qu'est-il arrivé à Baby Jane ?, récital de monstres sacrés où une sorte d'attendrissement tempère une horreur grand-guignolesque. La même frénésie dérape vers l'absurde dans Douze Salopards, film voulu antibelliciste par son auteur mais où la violence quasi gratuite entretient une ambiguïté difficilement supportable. L'incontestable succès des deux films permettra à Aldrich d'être, pendant quelques années, le seul producteur-réalisateur américain à posséder ses propres studios.
Pendant toute cette période, Aldrich n'a pas dissimulé ses options libérales (antiracistes, notamment) et sa haine d'une certaine hypocrisie qui affecte aussi bien l'Amérique que Hollywood même. À partir de 1968, le metteur en scène exaspère (sur des matériaux d'un intérêt variable) les contradictions de son style, en même temps qu'il souligne son goût, d'une part, pour les brutes viriles (l'Empereur du Nord), d'autre part, pour les vieilles actrices, éventuellement homosexuelles (Faut-il tuer Sister George ?). Il pratique les collages les plus audacieux (la séquence finale du Démon des femmes est à cet égard exemplaire), et sa tendance au grotesque (au sens hugolien du terme) se déploie dans des films pleins de bruit et de fureur, toujours plus saccadés même dans les plans longs, comme s'ils n'étaient plus composés que de morceaux choisis (auxquels ne manquent même pas de rares et précieux instants de tendresse : la Cité des dangers). Évocation de plus en plus directe du déclin de la société américaine (Aldrich est issu de la grande bourgeoisie) mais aussi du crépuscule de ce cinéma dont le cinéaste, formé au croisement de la routine et de la modernité, aura été l'un des derniers grands témoins. En 1977, il a été réélu président de la Directors Guild.
Films :
The Big Leaguer (1953) ; Alerte à Singapour (World for Ransom, 1954) ; Bronco Apache (Apache, id.) ; Vera Cruz (id.) ; En quatrième vitesse (Kiss Me Deadly, 1955) ; le Grand Couteau (The Big Knife, id.) ; Feuilles d'automne (Autumn Leaves, 1956) ; Attaque (Attack !, id.) ; Racket dans la couture (The Garment Jungle, 1957 : film terminé et signé par Vincent Sherman) ; Trahison à Athènes (The Angry Hills, 1959) ; Tout près de Satan (Ten Seconds to Hell, id.) ; El perdido (The Last Sunset, 1961) ; Sodome et Gomorrhe (Sodom and Gomorrah / Sodoma e Gomorra, 1962 ; CO Sergio Leone) ; Qu'est-il arrivé à Baby Jane ? (What Ever Happened to Baby Jane ?, id.) ; Quatre du Texas (Four of Texas, 1963) ; Chut, chut, chère Charlotte (Hush... Hush Sweet Charlotte, 1965) ; le Vol du Phénix (The Flight of the Phoenix, 1966) ; les Douze Salopards (The Dirty Dozen, 1967) ; le Démon des femmes (The Legend of Lylah Clare, 1968) ; Faut-il tuer Sister George ? (The Killing of Sister George, id.) ; Trop tard pour les héros (Too Late the Hero, 1970) ; Pas d'orchidées pour Miss Blandish (The Grissom Gang, 1971) ; Fureur apache (Ulzana's Raid, 1972) ; l'Empereur du Nord (Emperor of the North Pole, 1973) ; Plein la gueule (The Mean Machine / The Longest Yard, 1974) ; la Cité des dangers (Hustle, 1975) ; l'Ultimatum des trois mercenaires (Twilight's Last Gleaming, 1977) ; Bande de flics (The Choirboys, id.) ; Un rabbin au Far West (The Frisco Kid, 1979) ; Deux Filles au tapis (All the Marbles, 1981).