BARNET (Boris) [Boris Vasil'evič Barnet] (suite)
Et puis c'est Okraina (1933), reconnu comme l'un des plus beaux films soviétiques, une réussite merveilleusement délicate et tendre, traitée dans un style plus réaliste que précédemment (c'est son premier film parlant) mais littéralement transfigurée par des images d'une lumineuse beauté et par la présence de la radieuse Elena Kouzmina dans le rôle principal, celui de la fille d'un cordonnier de village qui tombe amoureuse d'un jeune Allemand prisonnier (l'action se situe durant la Grande Guerre) travaillant dans l'atelier de son père, au grand scandale du vieil homme, tandis qu'éclate la révolution de février et que les bolcheviques entreprennent leur action. On retient du film les timides tête-à-tête de Marika et de l'Allemand, scènes pleines de gentillesse et d'humour, mais aussi la vigoureuse évocation du contexte de la guerre et de la révolution ; si le style est simple, il est pourtant rehaussé par de nombreux effets de montage métaphoriques qui montrent que le cinéaste reste fidèle à lui-même. C'est le cas aussi dans son film suivant, Au bord de la mer bleue (U samogo sinego morja, 1936), dont l'action se passe dans un kolkhoze de pêcheurs : on y retrouve la délicieuse Kouzmina ; ici encore, les images sont d'une réelle splendeur plastique à l'unisson du lyrisme du montage et de la musique.
Une nuit de septembre (Noč’ v sentjabre, 1939) est le portrait d'un mineur de choc inspiré par la figure de Stakhanov : c'est une œuvre sévère où le thème du sabotage soutient un propos didactique, mais les images sont toujours très soignées. Durant les hostilités, Barnet réalise deux courts sujets pour le magazine Cinéjournal de guerre : le Courage (Mužestvo, 1941) et Une tête sans prix (Bescennaja golova, 1942) ainsi qu'une comédie restée inédite : Un brave garçon/les Hommes de Novgorod (Slannyj malyj/Novgorodcy, 1943). Après la guerre, il signe deux films qui n'ont pas fait date : Une fois, la nuit (Odnaždy noč‘ju, 1945) et Pages de la vie (Stranicy žizni, 1948, CO A. Matcheret), ainsi qu'un film d'espionnage, Personne ne le saura / l'Exploit de l'éclaireur / l'Exploit de l'agent secret (Podvig razvedčika, 1947), récit des aventures mouvementées d'un agent soviétique en territoire russe occupé. Avec Un été prodigieux (Ščedroe leto, 1951), qui a du charme et du dynamisme, Concert des maîtres de l'art ukrainien (Koncert masterov ukrainskogo iskusstva, 1952), Liana (Ljana, 1955) et le Poète (Poet, 1957), il semble chercher à retrouver son inspiration de l'avant-guerre, mais les résultats sont assez décevants : il est marqué, lui aussi, par les effets stérilisants de la difficile période que traverse le cinéma soviétique. Il y a plus de brio et d'invention dans le Lutteur et le Clown (Borec I Kloun, id., CO Konstantin Youdine), qui se situe dans le milieu du cirque au début du siècle et décrit avec justesse et sympathie la vie des gens du voyage. On lui doit encore Annouchka (Annuška, 1959), Alenka (id., 1962) et la Halte (Polustanok, 1963), où il n'est plus que l'ombre de lui-même ; en 1959 est finalement exploité un film qu'il avait réalisé en 1940, le Vieux Jockey (Staryj naezdnik).
En 1959, il écrivait : « Je ne suis pas un homme de théories mais je prends la matière de mes films dans la vie. Bien ou mal, j'ai toujours essayé de montrer l'époque contemporaine, l'homme vrai des temps soviétiques. Mais ce n'est pas facile (...) Pour moi, j'aime les choses drôles dans un drame, et les éléments tragiques dans la comédie. » (Cité par Georges Sadoul.) La conscience d'un idéal difficilement accessible et de la difficulté de l'exprimer, c'est peut-être ce qui l'a conduit au suicide en 1965.▲