Dictionnaire du Cinéma 2001Éd. 2001
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BECKER (Jacques) (suite)

Le volume de l'œuvre personnelle de Jacques Becker n'est pas à la mesure de son importance : treize films seulement entre 1942 et 1959. Mais ces films attestent de telles qualités de clarté, de mesure, ils témoignent d'une telle maîtrise — jusque dans le ton adopté (propre à chaque film et à chaque genre) — qu'ils sont vraiment uniques. Si on veut bien admettre que Dernier Atout, qu'il tourne en 1942, souffre du flou que les contraintes de l'Occupation ont imposé à son scénario (une intrigue policière située dans une Amérique latine convenue), ou qu'Ali Baba et les quarante voleurs, réalisé au Maroc en 1955, est une œuvre de commande mineure dans sa filmographie, tous les exégètes de Becker ont pu s'accorder au moins pour voir en lui le plus français des cinéastes français, le plus attentif à une approche du réel qui ne doit rien à la tradition noire de l'avant-guerre, ni au goût italien dont il est contemporain, mais qui est totale reconstruction à partir d'une observation fine de l'époque (la sienne, ou une Belle Époque de convention dont il explore les deux faces contradictoires dans Casque d'or et les Aventures d'Arsène Lupin).

En 1943, Goupi Mains Rouges est la description d'une communauté paysanne, aux frontières d'un fantastique noir que Becker maîtrise et refuse au profit d'une série de portraits chaleureux (Fernand Ledoux, Robert Le Vigan) brossés à contre-courant de l'imagerie du retour à la terre des années Pétain. Falbalas, au contraire, peint le monde de la haute couture parisienne avec sensibilité et rigueur (Becker ne condamne pas ses personnages, la mort de Raymond Rouleau à la fin est bouleversante comme une injustice), avec aussi des notations de réalisme fugitives et fortes.

La même attention aux menus détails unit, d'Antoine et Antoinette à Rue de l'Estrapade, les quatre comédies qui composent, ensemble, la chronique la plus juste et la plus tendre de l'après-guerre. Sauf celui de Rendez-Vous de juillet (dû à la collaboration de Jacques Becker et de Maurice Griffe), qui a une réelle épaisseur romanesque, les scénarios en sont extrêmement ténus, simples prétextes à des variations sentimentales délicatement dessinées. Casque d'or (1952), qui rompt la série des comédies au présent, est l'un des plus beaux films jamais produits en France. À partir d'un moment de la chronique des bas-fonds parisiens (l'authentique affrontement, pour une belle, de deux voyous de barrière en 1902), Becker donne la vie à une galerie de personnages dont la justesse psychologique prend constamment le pas sur la composante folklorique. L'époque est plus évoquée cette fois que reconstituée, mais avec une grande vérité (autour du vieil artisan incarné par Gaston Modot notamment) qui fait sourdre dans le drame crapuleux toute la mémoire du peuple de Paris. Le style est fluide, la caméra épouse le rythme de l'émotion (dans la séquence de la guinguette, par exemple, ou au bord de la Marne), les comédiens sont portés par cet état de grâce que Simone Signoret, éternelle Casque d'or, évoque dans ses souvenirs.

Touchez pas au grisbi (1954) inaugure la veine série noire à la française, au rythme détendu, avec le souci d'humaniser les héros d'un roman d'Albert Simonin (qui collabore au scénario), et la révélation d'un Jean Gabin pesant et précis, qui inaugure là sa seconde carrière après dix années difficiles.

Arsène Lupin est une fantaisie Belle Époque, décorative, d'un humour délicieux. Montparnasse 19, projet ophulsien que Jacques Becker dut reprendre à son compte après la mort de l'auteur de Lola Montès, délaisse la fresque facile au profit d'une réflexion sur la solitude qui ne fut guère comprise à la sortie du film, en 1958.

Enfin, le Trou (sorti en 1960 quelques semaines après la mort de son auteur) est le second grand film de Jacques Becker — film sur l'univers carcéral (il s'agit de l'affrontement de cinq hommes qui préparent une évasion dans le huis clos d'une cellule), épure de mise en scène dont la rigueur rejoint celle des meilleurs films de prison hollywoodiens, mais empreint de chaleur humaine, l'ultime message de Becker moraliste.

Films  :

Le commissaire est bon enfant (MM., 1935) ; Le gendarme est sans pitié (MM, id.) ; l'Or du Cristobal (terminé par Jean Stelli, 1939) ; Dernier Atout (1942) ; Goupi Mains Rouges (1943) ; Falbalas (1945) ; Antoine et Antoinette (1947) ; Rendez-Vous de juillet (1949) ; Édouard et Caroline (1951) ; Casque d'or (1952) ; Rue de l'Estrapade (1953) ; Touchez pas au grisbi (1954) ; Ali Baba et les quarante voleurs (id.) ; les Aventures d'Arsène Lupin (1957) ; Montparnasse 19 (1958) ; le Trou (1960).

BECKER (Jean)

cinéaste français (Paris 1933).

Fils de Jacques Becker. Il a débuté comme assistant et signé trois films policiers dont la vedette était Jean-Paul Belmondo : Un nommé La Rocca (1961), Échappement libre (1964) et Tendre Voyou (1966) et une comédie farfelue : Pas de caviar pour tante Olga (1965). Après avoir œuvré dans le film publicitaire pendant plusieurs années, il est revenu au cinéma avec deux succès commerciaux, dus essentiellement à l'impact publicitaire de l'actrice choisie pour interpréter le rôle principal : Isabelle Adjani pour l'Été meurtrier (1983) et Vanessa Paradis pour Élisa (1995). En 1999 il connaît le succès avec les Enfants du marais, film teinté de nostalgie puis signe en 2001 Un crime au paradis.

BECKERMANN (Ruth)

cinéaste autrichienne (Vienne 1952).

Tout au long de son œuvre documentaire exceptionnelle, cette cinéaste viennoise tente d'établir des liens entre le passé et le présent, expliquant la culture politique contemporaine à travers une minutieuse introspection de l'histoire. Dans son premier long métrage, Wien Retour (Retour à Vienne, 1985), le journaliste communiste autrichien Franz Weintraub témoigne de la Vienne judaïque de son enfance puis de son entrée dans le mouvement ouvrier. Dans Die papierene Brücke (Pont de papier, 1987), la réalisatrice explore l'histoire des Juifs d'Europe centrale à travers un voyage dans le souvenir de ceux qui ont connu la Shoah. Elle poursuit cette réflexion dans Nach Jerusalem (Vers Jérusalem, 1990), un film mosaïque sur les différentes identités d'Israël, illustrées à travers diverses rencontres survenues sur la route qui relie Tel Aviv à Jérusalem. L'excellent Jenseits des Krieges (À l'Est de la guerre, 1996) enregistre dans un style proche de la vidéo amateur les réactions des visiteurs d'une exposition viennoise consacrée aux crimes de la Wehrmacht. Dans Ein flüchtiger Zug nach dem Orient (Fugue orientale, 1999), la cinéaste adopte un style beaucoup plus léché pour partir en Égypte, sur les traces d'Élisabeth, impératrice d'Autriche rebelle, qui effectua deux voyages dans ce pays à la fin du xıxe siècle. Avec Homemad(e) (2000), elle propose une exploration de Vienne, plongeant dans les racines de l'ancien quartier du textile.