En 1962, il n'existe aucune infrastructure de production, sinon les studios de télévision de la capitale. Avant l'indépendance, le parc de salles se limitait à quelque 350 salles pour la diffusion des films européens et américains, dont certains évoquaient l'exotisme du bled, des oasis, sans effleurer les réalités. Si le fameux opérateur des frères Lumière, Félix Mesguich*, natif d'Alger, filme un programme de scènes vues en 1899, si Camille de Morlhon tourne dès 1911 les premières fictions dans le Sud algérien (En mission, la Belle Princesse et le marchand, l'Otage, Pour voir les mouquères), Feyder*, lui, doit rompre avec Gaumont pour tourner, dans le Hoggar, une partie de l'Atlantide (1921). L'Algérie n'est qu'un décor, ou un sujet de documentaires réalisés pour le Gouvernement général. C'est, à partir de 1957, à un autre documentarisme (celui du combat) que sont formés, avec le concours du cinéaste français René Vautier*, les premiers opérateurs et cinéastes algériens du Front de libération nationale (FLN) autour de Tébessa, puis à Tunis, Belgrade, Prague... Après la guerre, Ahmed Rachedi* et Mohamed Lakhdar Hamina* vont réaliser avec peu de moyens les premiers films algériens, marqués par le souci de témoigner : l'Aube des damnés, de Rachedi (1965), ou d'exalter la lutte populaire pour la libération : le Vent des Aurès, de Lakhdar Hamina (1966), parfois sous forme de fresque assez romanesque : la Nuit a peur du soleil, de Mustafa Badie (1965), coproduit par la télévision (RTA) et le Centre national du cinéma (CNC). Ce dernier est absorbé en 1967 par l'Office national pour le commerce et l'industrie cinématographiques (ONCIC), auquel est dévolu le monopole de production et de distribution. Mais l'Office des actualités algériennes (1965-1974), notamment, bénéficie de nombreuses dérogations avant d'être, lui aussi, absorbé par l'ONCIC. Pourtant, depuis 1978, la production est dominée par la RTA. La volonté de centralisation et de coordination s'applique difficilement. La fonctionnarisation n'assure pas un dynamisme nécessaire. Le taux d'importation, âprement disputé, a pu être ramené à un niveau assez bas (de 450 films en 1962 à 110 en 1979) sans pour autant donner un coup de fouet à la production nationale. Les studios et moyens mis en place à Alger et Oran assurent, sauf pour les traitements du film et le sous-titrage, une relative autonomie à une production encore peu nombreuse (5 LM pour l'ONCIC en 1979). Les années de guerre et de l'immédiat après-guerre privilégient le court métrage, film militant, documentaire, de montage ; puis la fiction relaie le témoignage dans des films à sketches (l'Enfer à dix ans, 1969) ou des productions lourdes, en couleurs : l'Opium et le Bâton (Thala [Rachedi, 1970]). Ce cinéma ne satisfait pas absolument un désir de participation critique à l'élaboration d'une société algérienne nouvelle. Les héros quasi anonymes de la guerre (le Vent des Aurès) sont devenus les jeunes gens de l'Obstacle (CM de Mohamed Bouamari*, 1966) en butte aux interdits de la tradition, frères aînés du titi algérois de Omar Gatlato (Merzaq Allouache*, 1976), ou des marginaux : le Charbonnier (al-Fahham, 1972), de Bouamari ; les Nomades (ar-Ruhhal), de Sid Ali Mazif* (1975). Aussi le cinéma algérien développe-t-il concurremment deux courants complémentaires. À l'analyse du passé, dont Abdellaziz Tolbi réussit un sobre poème épique, Noua (1972), Lakhdar Hamina une fresque flamboyante, Chronique des années de braise (Palme d'Or à Cannes en 1975), ou Lamine Merbah une belle reconstitution fondée sur l'arrivée des réfugiés d'Alsace-Lorraine après la défaite de 1870 et leur mainmise sur l'Ouarsenis (les Déracinés [Beni-Hendel], 1976), répondent des œuvres en prise sur le quotidien : l'évolution des campagnes (le Peuplier [Min quib as-Saf-saf ], de Moussa Haddad, 1972) ; la résurgence des féodalités ou des privilèges (les Bonnes Familles, de Djaffar Damardji [1973], produit par le parti [FLN], ou l'Héritage, de Bouamari [1974]). Les deux films consacrés par Mohamed Ifticène à la jeunesse, Gorine (1971) et Jalti (1980), produits par la RTA, révèlent les failles d'une société qui n'a pas encore équilibré modernisme et tradition. La délinquance juvénile y est interprétée par des garçons pris dans la rue, sans espoir et sans attaches. Le cinéma algérien n'a pas oublié ses origines et manifeste la volonté de témoigner, aussi près que possible, du quotidien, du vécu : Haddad, Merbah, Tolbi, ont eux aussi recours à des interprètes non professionnels (peut-être parce que les auteurs algériens sont, d'abord, issus du théâtre : Keltoum, Rouiched, Hassan al-Hassani). Mohamed Chouikh* et Mohamed Zinet* sont aussi, quant à eux, occasionnellement des cinéastes. D'autre part, des noms nouveaux apparaissent, dont celui d'une romancière, Assia Djebar, venue à la caméra (la Nouba des femmes du mont Chenoua, 1977 ; la Zerda et les Chants de l'oubli, 1982), de Mehdi Charef (le Thé au harem d'Archimède, 1985), de Mohamed Chouikh* (la Citadelle, 1988 ; Youcef, 1993) ou de Mohamed Rachid Benhadj (la Rose des sables [Louss], 1989 ; Touchia, 1993).