ANIMATION. (suite)
À la veille de la Seconde Guerre mondiale, le cinéma d'animation présente un profil mature : progression des structures de production, évolution vers le son et la couleur, innovation technologique croissante, développement de longs métrages, diversification des genres et des esthétiques, affirmation d'écoles et de styles nationaux, essaimage international.
L'après-guerre
confirme ce diagnostic et se déroule dans le contexte de partition entre les deux grands blocs Est et Ouest : l'avènement de plusieurs démocraties populaires en Europe de l'Est provoque une prise en compte étatique du cinéma d'animation. Plusieurs réalisateurs prennent désormais figures - toute chronologie historique mise à part — de « pères fondateurs » (Walt Disney aux États-Unis, Norman McLaren au Canada, John Halas en Grande-Bretagne, Paul Grimault en France, Jiri Trnka en Tchécoslovaquie, les frères Wan en Chine) ou deviennent des figures emblématiques internationales (Alexandre Alexeieff, Len Lye, Norman McLaren). D'une certaine façon, le territoire nord-américain devient le réceptacle de la totalité de ces expériences, à la fois patrie du cartoon et lieu d'élection de multiples recherches plastiques qui expliquent l'éclosion ultérieure du cinéma « underground ». Au sortir de la guerre, le « paysage de l'animation » confirme la suprématie américaine, et néanmoins apparaît en pleine évolution. Aux États-Unis, si Walt Disney, malgré l'accident de 1941, amplifie sa conquête économique, imposant, avec ses célèbres longs métrages (de Bambi, 1942 à Robin des bois, 1973), ses documentaires pseudo-véristes et ses parcs d'attraction, une esthétique toujours plus mièvre, Tex Avery, UPA et différents auteurs tentent d'explorer d'autres voies. Tex Avery, avec ses films à la vélocité échevelée, non-sensiques et mimodramatiques, introduit dans le monde bien-pensant du cartoon un sarcasme hilarant (Red Hot Riding Hot, 1943 ; Swing Shift Cindarella, 1945 ; King Size Canary, 1947). UPA travaille à une rupture graphique qui délaisse le style arrondi au profit de l'énergie et de la liberté des esquisses préparatoires, rejette le fini chromatique et s'interroge sur l'usure du splastick dans le cartoon. Une série symbolise cette tentative : Mister Magoo, de Pete Burness (1949). Puis Gerald McBoing Boing (1951) de Bobe Cannon, Oscar cette même année, et Rooty Toot Toot (1952) de John Hubley amplifient la rupture. Ce dernier incarne au mieux la naissance d'un cinéma d'auteur américain, essentiellement attentif aux intentions plastiques. Réhabilitant le seul trait, jouant des couleurs en à-plat ou pour leur débordement des formes, faisant du son le matériau déclencheur de sa création, John Hubley avec Moonbird (1960) ou The Hole (1963), où l'on entend ses amis Dizzie Gillespie et George Mathews dialoguer autour de la bombe atomique, en donne la mesure. De même l'adaptation du Cœur révélateur d'Edgar Poe, produit par Bosustow et réalisé par Ted Parmelee, situe l'enjeu du déplacement narratif : du comique, le cinéma d'animation passe au registre d'épouvante. Une parenté existe entre ces inventions et le travail graphique révolutionnaire de Saul Bass pour les génériques de célèbres films (Carmen Jones, d'Otto Preminger ; Vertigo, d'Alfred Hitchcock, etc.). UPA symbolise par ailleurs une économie de réalisation que la télévision impose simultanément et souvent pour le pire. Mais UPA, au-delà de ce rapport de subordination au tube cathodique, exerce une influence dans tout le bloc anglo-saxon et y produit un effet graphique. D'autres affluents suivent leurs cours, un peu à l'écart de ce tohu-bohu. Lou Bunin, d'origine russe et empreint de culture européenne, après avoir collaboré avec Vincente Minnelli (Ziegfeld Follies, 1945), entreprend de 1948 à 1951 un Alice au pays des merveilles en prise de vues réelles et poupées animées, que Walt Disney tente d'empêcher. Ray Harryhausen, ancien assistant de Willis O'Brien, s'illustre magistralement dans des effets spéciaux en volume animé (Jason et les Argonautes, 1963). Et plusieurs expérimentaux ouvrent des voies insoupçonnées : Mary Ellen Bute, proche de Fischinger, prolonge ses approches abstraites ; Robert Breer, après avoir travaillé en France, poursuit ses expériences aux États-Unis (Blazes, 1961), et Stan VanDerBeek devient le chantre du cinéma « underground » dont il popularise le terme. Norman McLaren, après un bref passage à New York (1939-1941) au cours duquel il amplifie son approche directe de la pellicule, repart pour le Canada.
Canada.
En 1941, John Grierson fait en effet appel à lui pour fonder la section animation du tout nouvel Office national du film (ONF). Cet acte de naissance, voulu par un État, est en rupture absolue avec l'empirisme qui a présidé jusque-là à la naissance du cinéma d'animation. Par sa personnalité et sa richesse créative, Norman McLaren devient ainsi le père fondateur du cinéma d'animation canadien. Parfait symbole du work in progress dans le cinéma, il est issu des sources de celui-ci et d'une modernité qui l'apparente à Klee et à Tanguy. Son minimalisme, parfois sans caméra ni appareil d'enregistrement, en fait un architecte du langage cinématographique. Ses œuvres incontournables — la Poulette grise (1947), Begone Dull Care (1949), Voisins (1952), Around is Around (1952), Blinkity Blank (1955) — introduisent tour à tour de nouvelles approches du pastel animé, de la peinture sur pellicule, du stop-motion amélioré (pixillation), de la stéréoscopie et de la gravure directe sur pellicule. Réalisateur tout autant que passeur, il favorise au sein de l'ONF la transmission de sa passion et fait venir par exemple Alexandre Alexeieff qui « enseigne » son écran d'épingles. À ses côtés se forme une école canadienne moderne regroupant notamment Evelyne Lambart, René Jodoin, Jean-Paul Ladouceur, Grant Munro et George Dunning.
Grande-Bretagne.
La porosité entre le continent américain et l'Europe est de plus en plus patente. L'accélération des échanges est précisément symbolisée par l'arrivée de George Dunning à Londres, en 1956, où il crée une filiale d'UPA. Lors de son arrivée, le paysage de l'animation anglaise est dominé par le couple John Halas et Joy Batchelor. D'origine hongroise, John Halas, qui fonde le premier grand studio anglais (1940), se réclame du Bauhaus. Réalisateur du premier long métrage de dessin animé en couleurs anglais, l'excellent Animal Farm (1954), d'après le roman de George Orwell, John Halas est aussi à l'origine des premières séries télévisuelles animées anglaises ainsi que parmi les premiers promoteurs de l'animation par ordinateur. Son studio a été le ferment de nombreux talents (Derek Lamb, Peter Földes, Alison de Vere, Geoff Dunbar). Quant à George Dunning, avec son film peint sur verre, l'Homme volant (1962), il bouleverse plusieurs règles, leçon qu'il reprend en partie dans son œuvre la plus célèbre, le long-métrage le Sous-marin jaune (1968). Peter Földes est l'autre figure majeure de l'époque dont les premières réalisations, inspirées par Bacon et Sutherland (Animated Genesis, 1951 ; A Short Vision, 1954), jouent sur des suggestions graphiques élégantes et métamorphiques. En 1956, il sera le premier à explorer le champ des recherches sur ordinateur.