Dictionnaire du Cinéma 2001Éd. 2001
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FANTASTIQUE (cinéma). (suite)

On réalise, à l'énoncé de tous ces titres, qu'un des principes essentiels de ce nouveau cycle fantastique, proposé encore une fois par l'Universal, fut l'accumulation. Dracula rencontrait Frankenstein et/ou le Loup-Garou dans un no man's land improbable où aucune justification n'était nécessaire au caractère surréaliste de la rencontre. Les moyens financiers étaient assez restreints mais, le brio de quelques acteurs aidant, ces films étaient destinés aux doubles programmes chers aux adolescents d'alors.

Les choses étaient bien plus audacieuses à la RKO, où pourtant les moyens financiers n'étaient guère plus importants. Cela, du fait d'un seul homme, Val Lewton, qui reste un des artisans inégalés du genre. Producteur modeste, écrivain cultivé, Lewton décida d'utiliser au mieux le petit budget qui lui était imparti, le titre idiot qu'on lui imposait (les Hommes-Chats) et les décors qu'il avait récupérés de productions plus coûteuses. Avec l'aide de Jacques Tourneur, remarquable cinéaste qui savait, mieux que personne, maintenir un film dans un flou délicat (propre à nous faire croire que le fantastique était vraiment à notre porte), Val Lewton produisit la Féline (1942), chef-d'œuvre raffiné qui suggère tout à l'aide de la lumière et de l'ombre, mais ne montre systématiquement rien. L'ambition de Lewton était grande, mais seul un cinéaste de l'envergure de Tourneur put la soutenir avec l'Homme-Léopard et surtout Vaudou (1943), fascinante transposition de Jane Eyre dans des Antilles de studio. Le succès, critique et public, encouragea Lewton à persévérer. Même si les cinéastes qu'il choisit comme collaborateurs n'avaient pas le talent de Tourneur, ils surent se maintenir à un rare niveau de qualité avec la Septième Victime (Mark Robson, 1943) ou la Malédiction des hommes-chats (R. Wise et Gunther von Fritsch, 1944). L'originalité consistait à inventer de nouvelles légendes, inspirées des anciennes, et à situer le fantastique dans un quotidien contemporain fortement stylisé. Mais, en 1945, l'échec du Récupérateur de cadavres (Wise) et, l'année suivante, de Bedlam (Robson), riches recréations de l'Angleterre du roman gothique, poussa Lewton à chercher dans d'autres directions que le fantastique. Son œuvre subsiste, scintillante et nette comme un météore.

L'influence de cet homme de goût fut considérable. Elle mit fin aux monstres surannés et ouvrit la voie à des fantômes plus subtils, parfois issus de l'imaginaire d'une personne malade, parfois teintés de freudisme. On retiendra dans cette veine la Falaise mystérieuse (L. Allen, 1943) et surtout le spectaculaire et grandiose (mais incompris à l'époque) Portrait de Jennie (W. Dieterle, 1949), histoire d'amour fiévreuse défiant le temps et la mort et conçue par le producteur David O. Selznick comme un hommage à l'actrice Jennifer Jones, sa femme. Cette flambée resta cependant de courte durée : l'échec de Portrait de Jennie avait nettement montré que le public, désormais plus terre à terre à cause de la récente guerre et des innovations techniques incessantes, n'était plus sensible au fantastique.

Tout au long des années 50, le genre survécut vaille que vaille. Frankenstein ne se remit pas d'avoir rencontré les comiques Abbott et Costello. Des productions modestes comme le Château de la terreur (The Strange Door, J. Pevney, 1951), ou le Mystère du château noir (N. Juran, 1952), malgré des acteurs comme Charles Laughton ou Boris Karloff, ne purent rien sauver. Seuls les succès occasionnels de films soutenus par des innovations techniques furent capables de maintenir le genre à flot : ainsi l'Homme au masque de cire (1953), agréable film en relief d'André De Toth. L'heure était résolument à la science-fiction : ce genre, cousin germain du fantastique, était en train, à l'époque, d'acquérir sa véritable autonomie.

On rappellera cependant un nom, celui de Jack Arnold, cinéaste modeste mais compétent, qui signa quelques belles réussites dans la science-fiction et à la périphérie du fantastique : l'Étrange Créature du lac noir (1954) et surtout l'Homme qui rétrécit (1957), jolie fable pacifiste aux saisissantes trouvailles visuelles.

Il fallut attendre la fin de la décennie pour qu'un autre nom s'affirme : celui de Roger Corman, réalisateur capable de composer un film amusant et intelligent en une petite semaine et avec des bouts de ficelle. Il consacra aux histoires d'Edgar Poe un cycle inégal mais intéressant, qui se signale, malgré la pauvreté des décors, par une interprétation solide (Ray Milland, Boris Karloff, Basil Rathbone) et par une excellente utilisation de la couleur et de l'écran large, que Corman avait apprise sans doute des productions britanniques florissantes de la Hammer. L'Enterré vivant (1962) fut une réussite, de même que quelques instants de la Chute de la maison Usher (1960) et du Masque de la mort rouge (1964). Mais la réussite la plus harmonieuse fut la Tombe de Ligeia (id.) entièrement tourné (comme le précédent) en Angleterre.

L'influence de Corman fut immense. Non seulement il fut vite imité (la Mouche noire, Kurt Neumann, 1958), mais il s'entoura d'une véritable pépinière de talents qui allait vite dépasser les frontières du cinéma fantastique : Francis Ford Coppola, Jack Nicholson, Martin Scorsese, etc. Cependant, lorsque, vers 1965, il s'orienta vers la production, il n'y eut pratiquement personne aux États-Unis pour faire vivre le genre. Les réussites, parfois belles, ne furent qu'occasionnelles, comme la Maison du diable (1963), où Robert Wise retrouvait avec bonheur l'enseignement de Val Lewton.

Mais, entre-temps, la télévision consommait énormément de fantastique. Vers le début des années 70, le cinéma se trouva dans la nécessité d'alimenter la télévision : Hollywood se lança dans des coproductions avec les studios anglais, tandis que les séries télévisées à succès suscitaient des films de cinéma, comme la Fiancée du vampire, (Dan Curtis, 1970). Par ailleurs, certains films de cinéma adoptaient volontiers l'esthétique télévisuelle : Crapauds (Frogs, George McCowan, 1973). Enfin, le succès énorme remporté par le film de Roman Polanski, Rosemary's Baby (1968), suscita toute une vague d'œuvres fantastiques influencées par le satanisme (The Dunwich Horror, Daniel Haller, 1970).