TUNISIE. (suite)
C'est la génération formée par les ciné-clubs qui se voit réduite au silence, en même temps qu'on étouffe le mouvement des cinéastes amateurs, que leur festival annuel à Kelibia (créé en 1964) avait fait connaître. Au contraire du passe-temps que le film du dimanche est resté en Occident, la pratique du cinéma « amateur », particulière à la Tunisie, et qui s'appuyait sur l'infrastructure de la FTCC, avait donné naissance à de réels espoirs : Boughedir, Ktari, déjà cités, appartiennent à cette génération. Seuls à avoir résisté, à ce jour, aux effets d'une censure diffuse, à un climat de suspicion constante de la part du pouvoir, Abdel-Latif Ben Ammar* et Ridha Behi* continuent de tourner. Ce dernier a engagé la réalisation d'un film sur « l'intifada » : Chronique des nuits ensoleillées (1990). D'autre part, une tendance documentariste s'était dessinée, dont les travaux d'un Tayeb Louhichi sont très représentatifs : Mon village, un village parmi tant d'autres (Qariaty, 1972), le Métayer (el-Khammes, 1975) et l'Ombre de la terre (Dhil a-ardh, 1982). Né à Mareth en 1948, élève de Jean Rouch, Louhichi poursuit sa patiente approche du réel (l'exode rural). En 1989, il réalise son second long métrage de fiction sur l'épopée amoureuse de Qais : Leïla, ma raison (Majnun a Layla) en coproduction avec l'Algérie. Toutefois, il reste isolé, comme le peintre, poète et cinéaste Nacer Khémir : Histoires du Bon Dieu (1978), les Baliseurs du désert (1984), le Collier perdu de la colombe (1990), deuxième film tunisien du producteur Tarak Ben Ammar (Carthago-Film).
Si le public populaire préfère les productions égyptiennes ou occidentales, les « intellectuels » méprisent un cinéma qui ne leur dispense pas de griseries dialectiques... Ils ne répugnent cependant pas à traiter de situations on ne peut plus actuelles, comme le fait Mahmoud Ben Mahmoud dans son kafkaïen long métrage Traversées (1983), voire dans Poussière de diamants (Chich Khan, 1991). En compagnie de Fadhel Jaïbi, il réalise Bijoux de famille (1990). Jaïbi et Jaziri avaient auparavant adapté au cinéma leur succès théâtral Arab (1989). Les cinéastes tunisiens se voient donc marginalisés (a fortiori s'il s'agit d'essais expérimentaux comme la Noce, un collectif du Nouveau Théâtre, réalisé en 1978). Les années 80 ont été marquées par l'apparition de Nouri Bouzid avec l'Homme de cendres (Rih essed, 1987), les Sabots en or (Sfayah min dhahab, 1989) et Bezness (1992), dans lesquels l'auteur traite de sujets sociaux tabous (l'homosexualité et la torture) qui attirèrent les feux de la censure et réveillèrent certaines réactions intégristes, et du critique Ferid Boughedir qui remporte un vif succès avec son premier long métrage Halfaouine ou l'Enfant des terrasses (1990). Quelques réussites isolées comme la Trace (Sama, Nejia ben Mabrouk, 1982-1988), Cœur nomade (Regaya, Fitouri Belhiba, 1989), le Sultan de la Médina (Soltane el Medina, Moncef Dhouib, 1992) ou Demain, je brûle (Mohamed Ben Smaïl, 1998) et Premier Noël (de Kamel Chérif, CM 1999). Les premiers films de la monteuse Moufida Tlatli (les Silences du palais, 1994 ; la Saison des hommes, 2000) et de Kalthoum Bornaz (Keswa, le fil perdu, 1997) traduisent quant à eux l'émergence d'une génération de femmes cinéastes, renouvelant l'approche du cinéma tunisien dans son ensemble. Certaines de ces réussites ont notamment permis de révéler un producteur dynamique, Ahmed Baha Eddine Attia, qui, en créant Cinétéléfilms en 1984, a conduit sa société à devenir la première compagnie de production privée en Tunisie.