Dictionnaire du Cinéma 2001Éd. 2001
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MANN (Emil Anton Bundmann, dit Anthony) (suite)

En 1950 commence la période de ses westerns, classiques par leur ton tragique, leur respect de formes régulières, leur reprise des grandes légendes, leur art sobre et mesuré, leur intérêt enfin pour des caractères nobles mais humains, et soumis à de terribles épreuves. L'homogénéité de cette partie de l'œuvre de Mann doit beaucoup à la fréquente collaboration du scénariste Borden Chase et de James Stewart. Elle s'exprime surtout dans une mise en scène souveraine. Sensible aux paysages ouverts dont les limites peuvent recéler une menace, cette mise en scène demeure attentive à la beauté d'une nature puissante, tout en posant fermement les personnages et leurs relations. Elle observe avec exactitude les gestes et les objets, les lieux et les stratégies, mais reste capable de traduire avec lyrisme la grandeur de toute mort (l'Homme de l'Ouest, 1958). Hantée par le regard, par la valeur que prend aux yeux d'un tiers la scène la plus mince (l'Appât, 1953), elle sait peindre la simple idylle (l'Homme de la plaine, 1955) aussi bien que l'affrontement anxieux (Du sang dans le désert, 1957). Ces réussites reposent sur une direction d'acteurs exigeante, mais aussi sur l'affirmation de valeurs picturales, sans concession au pittoresque, grâce au choix des angles et à un goût prononcé pour la distance, qui exclut toute stylisation emphatique. Nets et rigoureux, les mouvements d'appareil sont toujours calculés pour accompagner l'action.

Cette sérénité ne se confond pourtant jamais avec la candeur. L'Ouest de Mann est divisé par les intérêts (les Affameurs), soumis à des passions brutales (la Porte du diable), peuplé d'aventuriers sordides ; ses héros mêmes connaissent la rage (Je suis un aventurier), le trouble honteux (l'Homme de l'Ouest) et jusqu'à la peur (Du sang dans le désert). Des mobiles comme la vengeance et l'intérêt dominent souvent l'action. Bref, le western évolue ici, mais il conserve sa grandeur, comme si la majesté du paysage qui s'ouvre à sa mort pouvait racheter tout homme, comme si la nécessité de l'expression active des plus sombres passions les purifiait, à l'instar des aveux dans les tragédies.

À la même époque, Mann dirige Cote 465 (1957), où l'on reconnaît son sens de l'intensité passionnelle dans un monde clos où l'accumulation adroite de détails soigneusement observés compose une parabole sur l'absurdité de la condition humaine, en même temps qu'elle dénonce la folie guerrière (le Petit Arpent du bon Dieu, 1958). Avec un art moins maîtrisé que ses westerns, ces films résument nettement le style et les idées de l'auteur.

Mais, avec la Ruée vers l'Ouest (1960), les superproductions commencent. Dans le Cid (1961) et la Chute de l'Empire romain (1964), le sens pictural et le jeu des mouvements d'appareil comme la plénitude matérielle des images restent intacts ; mais, faute d'enthousiasme et de rythme, la noblesse devient froide. Plus modestes, les Héros de Telemark (1965) et Maldonne pour un espion (1968, achevé par Laurence Harvey après la mort de Mann) renouent avec un récit plus vif, sans retrouver l'inquiétude morale des grands westerns. Avec Spartacus (Kubrick, 1960), qu'il avait préparé, on découvre parmi les projets inaboutis de Mann une adaptation dans l'Ouest du Roi Lear. Voilà qui révèle sa passion pour le western, son rapport fécond avec les modèles classiques (les Furies, 1950), sa volonté de travailler au sein d'une tradition. À ses propres yeux, il reste le disciple de Ford, le réalisateur de westerns MGM.

Films  :

Dr. Broadway (1942) ; Moonlight in Havana (id.) ; Nobody's Darling (1943) ; My Best Gal (1944) ; Strangers in the Night (id.) ; la Cible vivante (The Great Flamarion, 1945) ; Two O'Clock Courage (id.) ; Sing Your Way Home (id.) ; Strange Impersonation (1946) ; The Bamboo Blonde (id.) ; Desperate (1947) ; Railroaded (id.) ; la Brigade du suicide (T-Men, 1948) ; Marché de brutes (Raw Deal, id.) ; le Livre noir (Reign of Terror / The Black Book, 1949) ; Incident de frontière (Border Incident, id.) ; la Rue de la mort (Side Street, 1950) ; la Porte du diable (Devil's Doorway, id.) ; les Furies (The Furies, id.) ; Winchester 73 (id.) ; le Grand Attentat (The Tall Target, 1951) ; les Affameurs (Bend of the River, 1952) ; l'Appât (The Naked Spur, 1953) ; le Port des passions (Thunder Bay, id.) ; Romance inachevée (The Glenn Miller Story, 1954) ; Je suis un aventurier (The Far Country, 1955) ; Strategic Air Command (id.) ; l'Homme de la plaine (The Man from Laramie, id.) ; la Charge des Tuniques bleues (The Last Frontier, id.) ; Serenade (1956) ; Cote 465 (Men in War, 1957) ; Du sang dans le désert (The Tin Star, id.) ; le Petit Arpent du bon Dieu (God's Little Acre, 1958) ; l'Homme de l'Ouest (Man of the West, id.) ; la Ruée vers l'Ouest (Cimarrón, 1960) ; le Cid (El Cid, US-ITAL, 1961) ; la Chute de l'Empire romain (The Fall of the Roman Empire, 1964) ; les Héros de Telemark (The Heroes of Telemark, GB, 1965) ; Maldonne pour un espion (A Dandy in Aspic, GB, 1968).

MANN (Daniel)

cinéaste américain (New York, N. Y., 1912 - Los Angeles, Ca., 1991).

Musicien, acteur de théâtre, ayant travaillé à Broadway avec Kazan (1946), il adapte et monte pour la TV des pièces à succès. En 1952, il dirige la version cinématographique de Reviens, petite Sheba (Come Back, Little Sheba) et passe dès lors pour un espoir dans Hollywood en crise. Espoir déçu : les films de Daniel Mann, sauf à la rigueur celui destiné à relancer Susan Hayward (Une femme en enfer [I'll Cry Tomorrow], 1955), ne sont que des « véhicules » pour vedettes placées en contre-emploi avec une rare persévérance dans la grisaille, la dérision ou le grotesque involontaire : la Rose tatouée (The Rose Tattoo, id., avec Anna Magnani et Burt Lancaster) ; la Petite Maison de thé (The Teahouse of the August Moon, 1956, avec Marlon Brando) ; la Colère du juste (The Last Angry Man, 1959, avec Paul Muni) ; la Vénus au vison (Butterfield 8, 1960, avec Elizabeth Taylor) ; Judith (1966, avec Sophia Loren)... Le réalisateur abdique toute intellectualité, mais non son goût de l'abject, dans Willard (1971), film d'épouvante aux arrière-pensées fort peu sympathiques. Parmi ses autres films : Romance sans lendemain (About Mrs. Leslie, 1954) ; Vague de chaleur (Hot Spell, 1958) ; Commando de destruction (The Mountain Road, 1960) ; Le troisième homme était une femme (Ada, 1961) ; Five Finger Exercise (1962) ; l'Inconnu du gang des jeux (Who's Got the Action ?, id.) ; Mercredi soir, 9 h (Who's Been Sleeping in My Bed ?, 1963) ; Notre homme Flint (Our Man Flint, 1966) ; Mon homme (For Love of Ivy, 1968) ; A Dream of Kings (1969) ; la Poursuite sauvage (The Revengers, 1972) ; Maurie (1973) ; Interval (id.) ; Lost in the Stars (1974) ; le Voyage de la peur (Journey Into Fear, GB, 1975) ; Matilda (1978) ; The Incredible Mr. Chadwik (1980) ; Playing for Time (1981). ▲