SUISSE. (suite)
Après avoir mentionné les vétérans (aux côtés de Trommer et de Lindtberg), Kurt Früh (1915-1979) et quelques-uns de ses ouvrages : Polizist Waeckerli (1955), Oberstadtgasse (1956), Baeckerei Zürrer (1957), Daellenbach Kari (1970), Franz Schnyder (né en 1910) et ses meilleures prestations : Gilberte de Courgenay (1940), Wilder Urlaub (1943), Uli der Knecht (1954), Uli der Paechter (1956), qui tentent, parfois avec succès, de sauver de la facilité certaines œuvres dialectales d'inspiration populiste ou paysanne, il faut dire qu'une génération nouvelle témoigne de beaucoup de verve, d'impertinence, de tempérament ou de violence poétique, à l'instar de Daniel Schmid*(né en 1941), le plus personnel, sans doute, des « nouveaux » cinéastes de Suisse allemande : Cette nuit ou jamais (Heute Nacht oder nie, 1972), la Paloma (1974), en collaboration avec le maître imagier Renato Berta*.
Cette génération est représentée notamment par Fredi M. Murer* (né en 1940) : Nous les montagnards (Wir Bergler..., 1974), Zone grise (Grauzone, 1979), l'Âme sœur (1985) ; Georg Radanowicz (né en 1939) : Alfred R. (1972), l'Accident (Das Unglück, 1976, d'après Max Frisch), la Paresse (Faulheit, 1979) ; Kurt Gloor (né en 1942) : Die Landschaftsgaertner (1969), les Enfants verts (Die grünen Kinder, 1972), la Soudaine Solitude de Konrad Steiner (Die plőtzliche Einsamkeit des K. S., 1976), le Chinois (Der Chinese, 1978), l'Inventeur (Der Erfinder, 1980), l'Homme sans mémoire (Mann ohne Gedächtnis, 1984) ; Peter von Gunten (né en 1941) : Bananera Libertad (1970), l'Extradition (Die Auslieferung, 1974), Les petits gèlent même en été (Kleine frieren auch im Sommer, 1978) ; Thomas Koerfer* : la Mort du directeur du cirque de puces (Der Tod des Flohzirkusdirektors, 1973), l'Homme à tout faire (Der Gehülfe, 1976) ; Xavier Koller* : Fano Hill (1969), le Voyage de l'espoir (Reise der Hoffnung, 1990, Oscar du meilleur film étranger à Hollywood) ; Beat Kuert (né en 1946) : Mulungu (1974), Schilten (1979), Nestbruch (1980), Martha Dubronsky (1984), l'Assassina (1990) Der Grossinquisitor (1991) ; Remo Legnazzi (né en 1946) : Buseto (1974), Chronique de Prugiasco (Chronik von Prugiasco, 1978) ; Markus Imhoof* : Danger d'évasion (Fluchtgefahr, 1975), La barque est pleine (Das Boot ist voll, 1981) ; Rolf Lyssy : Eugen (1968), Konfrontation (1974), les Faiseurs de Suisses (Die Schweizermacher, 1978), une des rares comédies de cette génération. Il faut mettre en évidence l'originalité de Klemens Klopfenstein dans le secteur de l'expérimentation (Macao, 1988), de Villi Hermann*, auteur, avec Niklaus Meienberg, de Maurice Bavaud (Es ist kalt in Brandenburg, 1981) et qui signe ensuite Matlosa (1981), Innocenza (1986), de Richard Dindo, inventeur d'une forme inédite d'enquête psychosociologique et politique : l'Exécution du traître à la patrie Ernst S. (Die Erschiessung des Landesverra˝ters Ernst S., 1976). D'autres cinéastes, comme Marlies Graf (né en 1943), auteur de l'Amour handicapé (Behinderte Liebe, 1979), ou comme Jürg Hassler, Friedrich Kappeler, Uli Meier, Élisabeth Gujer, Bruno Moll, Gertrud Pinkus, Hans-Ulrich Schlumpf, Christian Schocher, K. H. K. Schoenherr, Tula Roy, montrent, eux aussi, qu'à travers la caméra leur pays ne peut plus apparaître comme un jardin d'Éden miraculeusement épargné par les contradictions de l'Histoire, mais qu'il ressemble à toutes les nations du monde, derrière son décor de bonheur paisible.
La Suisse, telle que la scrutent ceux qui, de Tanner à Schmid ou à Dindo, s'expriment au moyen du septième art, perd ses anciennes vertus paradisiaques et se découvre, avec étonnement ou stupeur, vulnérable et soumise à des tensions que ne peuvent plus camoufler les alibis de la neutralité. Son « nouveau » cinéma, pendant une dizaine d'années au lendemain de 1970, lui aura permis une prise de conscience ; il aura brisé les tabous pour laisser affleurer les vérités profondes, en un mouvement esthétique et éthique fervent qui suffit à expliquer l'audience inattendue qu'il suscita. Son problème, après une décennie, aura été de survivre sans se renier, c'est-à-dire sans retomber dans les facilités du folklore enjoliveur et de l'autosatisfaction. Le goût pour une histoire démystifiée du pays continue de susciter bien des films : le Cas Grüninger de R. Dindo fait écho à la Barque est pleine de M. Imhoof, Claude Champion (Fin de siècle, 1998) et Francis Reusser renouvellent la perception du passé de leur pays, en particulier dans les périodes de crise révolutionnaire. Le documentaire explore indifféremment un passé dont on n'a pas tiré toutes les leçons (Journal de Rivesaltes 1941-42 de Jacqueline Veuve) et les problèmes du temps présent (On nous enseigne à être heureux, de Peter von Gunten, 1997 – sur le sort des demandeurs d'asile). Peut-être peut-on observer comme une fuite vers le reste du monde chez A. Tanner, qui s'intéresse à Pessoa et au Portugal (Requiem, 1998), chez M. Imhoof qui tourne en Inde les Raisons du cœur ou Flammen in Paradies, 1997) ou chez Wolfgang Panzer (né en 1947 en Allemagne), dont on a découvert successivement Broken Silence (1995) et Bill Diamond (1999). Ou encore la persistance de postures utopiques – chez F. M. Murer (Pleine Lune/Vollmond, 1998) ou dans les documentaires contemplatifs de Nicolas Humbert. C'est que les cinéastes veulent à la fois rompre leur isolement (grâce à des coproductions, par exemple), légitimer leurs films dans une société qui leur semble indifférente malgré quelques aides publiques, et démontrer cas par cas la validité à la fois économique et artistique de leurs projets.