COMÉDIE MUSICALE. (suite)
Les évolutions du genre.
On le voit : le genre possède dans les années 30 une organisation claire et solide. Vers les années 40, pourtant, il connaîtra des perturbations considérables. C'est d'abord que la Fox produit une série de pochades et de bluettes dont Alice Faye, puis Betty Grable sont les vedettes. Peu en importe le conte, mais les numéros y sont souvent pleins de vivacité et la mise en scène n'hésite pas à entraîner le spectateur dans son vertige, pas plus que les protagonistes ne se retiennent d'exhiber à tout bout de champ leurs mérites. Même jeu dans les films que Doris Day ou Virginia Mayo tournent à la Warner. D'autre part, la MGM entreprend d'enrichir et de mieux organiser sa production. Sous l'influence de producteurs comme Jack Cummings, mais surtout Arthur Freed, la comédie musicale va alors définir le ton classique de ses récits, fait d'un léger émerveillement dans l'observation du quotidien. L'amiral mène la danse (R. Del Ruth, 1936), Place au rythme (B. Berkeley, 1939), ou Broadway qui danse (N. Taurog, 1940), découvrent un monde familier, allégé des contraintes et de la passion, mais sans prétention à la noblesse, qui sera celui de Parade de printemps (Ch. Walters, 1948) comme d'Un jour à New York (S. Donen et G. Kelly, 1949) ou d'Un Américain à Paris (V. Minnelli, 1951). En même temps, le Magicien d'Oz (V. Fleming, 1939) et Yolanda et le voleur (Minnelli, 1945) explorent un merveilleux inédit, plutôt fondé sur d'incessantes inventions que sur la splendeur époustouflante d'un dispositif spectaculaire : cette nouvelle manière de fantaisie nourrira les numéros de rêve du Pirate (Minnelli, 1948) et tous les moments d'imagination que le genre connaîtra dans la décennie suivante. Mais les années 40 offrent aussi des variantes plus incertaines : les films de Bing Crosby continuent de ménager des pauses chantées dans des intrigues exotiques ; les petites compagnies multiplient les ouvrages de série B. Partout se constituent des équipes spécialisées : la MGM, la Fox, la Warner, la Paramount possèdent ainsi des ateliers où s'instituent des collaborations durables et où les compétences se rencontrent sans difficulté. Adroite synthèse du film musical de guerre, la Reine de Broadway (Ch. Vidor, 1944) semble parfois annoncer les classiques de la MGM.
Ceux-ci, dont Chantons sous la pluie (Donen et Kelly, 1952) et Tous en scène (Minnelli, 1953) exaltent et résument les vertus, se caractérisent surtout par une invention chorégraphique renouvelée : pour des artistes comme Kelly, Michael Kidd, Bob Fosse ou Eugene Loring, la danse doit épouser les contours de l'émotion. Dès lors, il faudra que les personnages soient plus exactement dessinés, leurs aventures moins arbitraires, que l'ornementation musicale du film soit mieux justifiée stylistiquement (des metteurs en scène comme Minnelli, Donen, Walters et même George Sidney vont y parvenir), et que le geste ou l'effet vocal dans les numéros ne soient pas un simple moyen d'éblouissement. Aux vastes révélations de l'espace (Berkeley) ou aux vertiges d'autrefois succède donc une vision plus mesurée, qui s'applique à renouveler l'étendue cinématographique d'une manière plus discrète. Cette école a produit plusieurs chefs-d'œuvre. L'organisation du genre, vers 1950, n'a rien d'autre à lui opposer que son propre travestissement. Les productions de Joe Pasternak ou de la Fox, comme celles de la Warner, imitent les règles classiques : elles veulent la même simplicité de spectacle, la même vivacité de rythme et la même familiarité de ton. Mais elles n'ont pas leur unité, leur ardeur est souvent désordonnée et leur verve plébéienne. Le goût leur fait défaut, cette sensibilité à l'harmonie des valeurs contrastées nécessaires à toute comédie musicale. Mais il faut avouer que leur excès de ferveur, leur désordre coloré et leur véhémence exhibitionniste donnent du caractère à ces films. Face aux ouvrages mesurés d'un Donen (Mariage royal, 1951), au raffinement d'un Minnelli (le Chant du Missouri, 1944) ou à l'art délicat d'un Walters (la Belle de New York, 1952), l'expression violente d'un Sidney (le Bal des sirènes, 1944) ou d'un Walter Lang (la joyeuse Parade, 1954) déclare ainsi son allure carnavalesque, même si les mêmes réalisateurs sont à l'occasion capables de se plier aux règles du classicisme (The Harvey Girls, G. Sidney, 1946 ; Appelez-moi Madame, W. Lang, 1953).
Par ailleurs, la comédie musicale de l'après-guerre repose aussi sur le talent et la présence de vedettes comme Gene Kelly, qui a renouvelé le registre chorégraphique, Cyd Charisse, étonnante danseuse de cinéma, et Judy Garland, qui savait charger d'émotion toutes ses chansons. Des scénaristes comme A. J. Lerner, Betty Comden et Adolph Green ont aussi marqué le genre de leur ingéniosité. Astaire est toujours là.
Mais un certain désenchantement apparaît, dont témoignent Beau fixe sur New York (Donen et Kelly, 1955), Haute Société (Walters, 1956) ou le Roi et moi (W. Lang, id.), films où la comédie musicale découvre ses propres limites : elle n'est pas le monde mais, à la manière du village de Brigadoon (Minnelli, 1954), une fabuleuse exception. La concurrence de la télévision pèse d'ailleurs sur elle plus lourdement que sur tous les autres genres et les motifs romanesques qu'adopte Hollywood, libéré de la censure, ne sont guère compatibles avec son esprit. Les équipes de production qui s'étaient constituées de manière particulièrement forte dans les années 40 vont donc se disperser et la comédie musicale va devenir une espèce de superproduction : ce sera le cas notamment de Gigi (Minnelli, 1958) et de My Fair Lady (Cukor, 1964). C'est ainsi que la tradition américaine disparaît à son tour, malgré les réussites d'un Sidney ou d'un Fosse.
Le regain de la comédie musicale.
Quelques films récents tentent pourtant de lui redonner vie. New York New York (M. Scorsese, 1977) confronte au sentiment contemporain du vécu les formes établies dont Donen s'amuse dans Folie Folie (1978) ; The Wiz (S. Lumet, 1984) donne une version noire et urbaine du fameux Magicien d'Oz ; Coup de cœur (F. F. Coppola, 1981) célèbre la féérie lumineuse propre au genre tout en compatissant à l'insuffisance de ses propres personnages ; ceux de Chorus Line (R. Attenborough, 1985) exhibent leurs pauvres secrets avant que l'impitoyable discipline chorégraphique maîtrise leurs désordres individuels. À ces œuvres nostalgiques et inquiètes, parfois critiques, s'opposent des comédies musicales volontiers naïves, amies des vertus enfantines : Popeye (R. Altman, 1980) ou Annie (J. Huston, 1982). Si l'emprunt aux airs du moment (la Fièvre du Samedi soir, J. Badham, 1977) ou aux danses à la mode (Break Street, Joel Silberg, 1983) ne soulève qu'un intérêt éphémère, illustré par le succès de Fame (A. Parker, 1980) et de Flashdance (Adrian Lyne, 1983) auprès des adolescents, d'autres cinéastes, s'avançant sur les traces de Fosse, entendent rendre au musical une véritable gravité : Hair (M. Forman, 1979) trace le portrait d'une génération, The Rose (M. Rydell, 1979) traduit le pathétique du spectacle rock et Yentl (B. Streisand, 1983) fait l'éloge de la connaissance. Ces dernières annés, il faut signaler surtout la vitalité d'une veine noire : Cotton Club (Coppola, 1984) y précède Tap Dance (Nick Castle, 1988) et School Daze de Spike Lee (1988). Cela suffit-il à rendre un sens contemporain à la comédie musicale ?