EFFETS SPÉCIAUX. (suite)
Dans le vocabulaire du cinéma, on regroupe sous le nom d'effets spéciaux, d'une part, les techniques et les procédés qui permettent de manipuler l'apparence de l'image ou du son, d'autre part, le résultat de ces manipulations. Les effets spéciaux couvrent donc un domaine extrêmement vaste, qui s'étend du fondu enchaîné aux pas dans la neige de l'Homme invisible (J. Whale, 1933) en passant par le bruitage, les surimpressions, les accessoires factices, etc. Truquage — ou trucage (voir plus loin) — est plutôt réservé aux manipulations de l'image : par exemple, c'est un truquage que de faire apparaître le générique en lettres de couleur sur une scène du film.
Le public, lui, parle plus volontiers de truquages que d'effets spéciaux, et il entend généralement ce terme dans un sens restreint, qui appelle l'idée d'un « truc ». On pourrait partir de cette constatation pour imaginer une classification des effets spéciaux, classification qui s'impose, étant donné l'étendue du sujet. On séparerait par exemple : les procédés qui permettent d'intervenir sur la présentation de la scène filmée ; ceux qui permettent d'intervenir sur le contenu apparent de cette scène, en créant une illusion ne correspondant pas à ce qu'il y avait en réalité devant la caméra. En d'autres termes, on opposerait les procédés d'écriture cinématographique aux « truquages » recelant un truc.
Une classification plus traditionnelle distingue : les effets spéciaux de prises de vues ; les effets spéciaux de laboratoire ; les effets spéciaux mixtes, c'est-à-dire réalisés en partie à la prise de vues, en partie en laboratoire. Fonctionnelle, cette classification souffre de rattacher à plusieurs rubriques certains effets (les fondus, par exemple) réalisables soit à la prise de vues, soit en laboratoire.
On a pris ici le parti d'écarter d'abord tout ce qui relève des effets spéciaux mais qui trouve place dans un chapitre spécialisé : accessoires, bruitage, cascades, filtres, maquillage, nuit américaine. S'agissant de ce qui restait (et qui ne concerne plus que l'image), on a distingué : les effets d'écriture ; les truquages de décor ; les truquages au sens où l'on va voir un film pour, précisément, ses truquages ; enfin, ce qui n'entrait dans aucune des catégories précédentes.
Les tireuses optiques.
Nombre d'effets spéciaux s'effectuent en laboratoire sur des tireuses optiques, communément appelées « Truca » en France — alors que les Anglais parlent d'optical printers — d'après le nom de marque de la tireuse conçue par André Debrie en 1929. C'est pourquoi on écrit couramment « trucage », bien que cette graphie ne soit pas cohérente avec le verbe « truquer » (dans les expressions « film à truquer », « plan truqué », etc.).
Les tireuses optiques ne sont pas autre chose, dans leur principe, que des caméras de laboratoire conçues pour filmer... les images d'un autre film. En pratique, elles comportent deux éléments assez similaires où défilent (vue par vue, en synchronisme), d'une part, éclairé par une lampe, le film que l'on veut copier ou truquer (dans l'élément que l'on peut appeler « projecteur ») et, d'autre part, le film vierge (dans l'élément « caméra »). Avance et immobilisation des films sont assurées par des mécanismes de haute précision, du type griffe-contre-griffe ( CAMÉRA). Entre les deux éléments, un objectif forme sur le film vierge l'image du film à copier.
Ces tireuses sont le plus souvent employées pour des effets où l'image sur le film de copie est de même taille que l'image originale : en ne copiant qu'une image sur deux du film original, on obtient un accéléré dans le rapport 2/1 ; en diminuant régulièrement l'éclairement de l'original, on obtient sur la copie (si l'original est un positif) un fondu au noir, etc. Mais on peut aussi modifier la taille de l'image : agrandissement (par ex. pour effectuer un recadrage, ou pour « gonfler » en 35 mm un original 16 mm) ; réduction (par ex. pour juxtaposer sur l'écran plusieurs images, ou pour réduire en 35 mm Scope un original 70 mm) ; recadrage ; anamorphose (pour incorporer dans un film Scope des éléments d'un film « plat », telle une vieille bande d'actualités), etc.
Sauf exception, c'est également sur tireuse optique que l'on pratique le cache-contre-cache. Imaginons par exemple que l'on veuille faire apparaître un Zeppelin au-dessus d'une foule. On filme d'abord : d'une part la foule, d'autre part une maquette de Zeppelin. On confectionne ensuite, sur pellicule noir et blanc à haut contraste, un film cache comportant, sur un fond aussi transparent que possible, une zone aussi noire (donc aussi opaque) que possible correspondant au Zeppelin. Plaçons ce film cache au contact du film vierge, entre celui-ci et l'objectif de la tireuse. Lors de la copie de la scène de foule, l'image de cette scène s'inscrit sur le film vierge uniquement là où celui-ci n'est pas protégé par le cache opaque. On revient en arrière et l'on recopie le film du Zeppelin après avoir remplacé le film cache par un film contre-cache exactement complémentaire du cache : le contre-cache protège les parties déjà impressionnées tout en laissant l'image du Zeppelin s'inscrire là où le cache avait protégé le film vierge. En pratique, film cache et film contre-cache sont placés au contact des films à copier, et non du film vierge, mais le résultat est bien entendu strictement le même. Sous ses différentes variantes, le cache-contre-cache est le truquage fondamental du cinéma. C'est notamment lui qui permet les truquages souvent spectaculaires du travelling matte (voir plus loin).
Les plans obtenus par passage en tireuse optique sont évidemment des copies (on dit aussi : contretypes) du film original. Or, le contretypage introduit une légère dégradation de la qualité de l'image. Pour cette raison, on préfère parfois réaliser dès la prise de vues les truquages qui peuvent être pratiqués à ce moment-là. C'est aussi pour compenser la perte de qualité due au contretypage que certains films de truquages sont — au moins en partie — filmés en 70 mm ou en Vistavision.