Dictionnaire du Cinéma 2001Éd. 2001
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WESTERN. (suite)

C'est à la même époque que Ford réalise le Fils du désert (1948), remake des Hommes marqués (1919). La perfection technique et stylistique aidant, on peut avoir — à l'introduction près du Technicolor — l'impression d'un genre immuable, d'une image de l'Ouest fixée pour l'éternité. À la réflexion, pourtant, on s'aperçoit qu'il n'en est rien : les westerns de Ford se veulent archétypiques, mais l'image qu'ils donnent de l'Ouest (et qu'un Robert Warshow a pu considérer comme idéalisée) est loin d'être universellement admise. Au classicisme de Ford, on opposera la violence érotique, coruscante et baroque de Vidor (Duel au soleil, 1947) ; à la liberté de son lyrisme, la dramaturgie serrée de King (la Cible humaine, 1950), de Wellman (l'Étrange Incident, 1943 ; la Ville abandonnée, 1948) ou de Hathaway (l'Attaque de la malle-poste, 1951) ; à son goût pour les rituels sociaux, même lorsque ses personnages sont des déracinés, des errants, l'individualisme plus radical, voire l'anarchisme de Hawks (qui n'exclut pas la camaraderie mais où l'appartenance au groupe garde quelque chose d'adolescent) : la Rivière rouge (1948), la Captive aux yeux clairs (1952).

Au point de vue thématique, on voit apparaître non seulement l'érotisme (le Banni, H. Hughes, 1943 ; Duel au soleil), mais aussi la psychanalyse (la Vallée de la peur, Walsh, 1947, où l'influence du film noir est sensible). L'attitude à l'égard des Indiens se modifie : le « sauvage » est vu à nouveau avec sa culture et sa dignité propres, lent processus d'évolution qui commence avec la Porte du diable (A. Mann, 1950) et la Flèche brisée (Daves, id.) et s'achèvera, après de multiples détours et retours en arrière, aux alentours de 1970 avec Little Big Man (A. Penn, 1970) et Soldat bleu (R. Nelson, id.). Dans l'intervalle, le western pro-indien aura été illustré notamment par Hondo, l'homme du désert (J. V. Farrow, 1953), Bronco Apache (Aldrich, 1954), Taza, fils de Cochise (D. Sirk, id.), les Rôdeurs de la plaine (Siegel, 1960), Willie Boy (A. Polonsky, 1969)... Non sans ambiguïtés : les interprètes sont, pour la plupart, des Blancs ; ils incarnent souvent des métis ; on oppose le « bon » Indien, susceptible de collaborer avec les Blancs, au « mauvais » Indien qui veut la guerre. Ce lent cheminement d'un humanisme moderne renoue, curieusement, avec les sources mêmes du western, où l'Indien était vu comme bon sauvage plus que comme un être sanguinaire faisant indûment obstacle au progrès de la civilisation ; Au-delà du Missouri de Wellman (1951), la Captive aux yeux clairs ou la Rivière de nos amours (De Toth, 1955), célébrant des idylles entre un Blanc et une Indienne, évoquent l'atmosphère « primitive » de The Yaqui Cur de Griffith ou de The Squaw Man de De Mille. Il est vrai que ces œuvres constituent des préwesterns situés à l'époque des trappeurs, donc de l'échange entre les Indiens et un petit nombre de Blancs, et non à celle de la conquête et des grandes guerres indiennes.

Quoi qu'il en soit, l'interrogation explicite du western sur le racisme est un phénomène nouveau qu'on peut dater de la fin des années 40, et qui participe d'un mouvement plus général vers ce qu'André Bazin a qualifié de surwestern — « un western qui aurait honte de n'être que lui-même et chercherait à justifier son existence par un intérêt supplémentaire : d'ordre esthétique, sociologique, moral, psychologique, politique, érotique ». Définition trop vaste, certes, mais qui rend assez bien compte de toute une tendance, pendant les années 50, à se servir du western comme du cadre de conflits d'ordre social ou moral qui ne sont pas spécifiques du genre (encore que l'homme de l'Ouest soit traditionnellement doté de certains attributs moraux — loyauté, laconisme — aussi bien que d'accessoires matériels). Le western, en quelque sorte, devient un prétexte. Tendance amorcée par l'Étrange Incident (Wellman, 1943) culminant, selon Bazin, avec Le train sifflera trois fois (Zinnemann, 1952) et avec l'Homme des vallées perdues (G. Stevens, 1953), et indéniablement présente dans la Dernière Chasse (R. Brooks, 1956) ou dans les Grands Espaces (Wyler, 1958), dans le Dernier Train de Gun Hill (J. Sturges, 1959), ou encore dans l'Homme aux colts d'or (E. Dmytryk, id.) et dans Duel dans la boue (R. Fleischer, id.), qui sont clairement, quels qu'en soient les mérites propres, des westerns à thèse.

Que les metteurs en scène les plus divers « se servent » ainsi du genre prouve évidemment sa popularité. C'est aussi qu'après les œuvres souvent confinées des années 40, celles des années 50, presque toujours en couleurs et souvent sur grand écran, renouent avec une tradition qui depuis 1930 n'était plus qu'intermittente : celle de l'appropriation de l'espace par les moyens propres du cinéma (en l'occurrence, en réaction à l'avènement de la télévision). À cet égard, il convient d'insister sur le caractère novateur de Duel au soleil, et de noter que judicieusement Bazin entend aussi par surwesterns des films aux valeurs esthétiques, spectaculaires, affirmées. Dès lors, tous les westerns de prestige répondent à la définition, et notamment ceux des années 50 ; on citera particulièrement ceux d'Anthony Mann (pour les valeurs esthétiques) et ceux de Delmer Daves (pour le message humaniste). Le premier a construit, avec l'aide de James Stewart, du scénariste Borden Chase et du CinémaScope, une œuvre cohérente, forte et belle (l'Appât, 1953 ; Je suis un aventurier, 1955 ; l'Homme de la plaine, id.), encore que son chef-d'œuvre soit peut-être l'Homme de l'Ouest (1958), avec Gary Cooper. Le second a donné des westerns généreux et lyriques, comme la Dernière Caravane (1956), Trois Heures dix pour Yuma (1957), la Colline des potences (également avec Gary Cooper vieillissant, 1959).

Surwesterns encore, au moins dans le sens esthétique, que les œuvres de Nicholas Ray ou d'Otto Preminger — metteurs en scène pourtant issus du film noir — qui utilisent admirablement le grand écran, la couleur, des actrices « mythologiques » et tout à fait étrangères au genre, Joan Crawford (Johnny Guitare, 1954) et Marilyn Monroe (Rivière sans retour, id.). Le genre a ici une ampleur véritablement nouvelle (l'Ange des maudits, F. Lang, 1952, avec Marlene Dietrich, avait montré la voie).