— ALLEMAGNE DE L'OUEST. (suite)
Diversité du cinéma allemand des années 70 et 80.
L'Honneur perdu de Katharina Blum (1975), de Schlöndorff, d'après le roman homonyme de Heinrich Böll, va prendre figure de symbole. Pareillement, le Second Éveil (1977), de Margarethe von Trotta*, Vera Romeyke n'est plus ici (1976), de Max Willutzki*, ou le Couteau dans la tête (1978), de Reinhard Hauff*... ont montré le mécanisme de la chasse aux sorcières. L'Allemagne en automne (Deutschland im Herbst, 1978), film collectif de Kluge, Schlöndorff, Fassbinder et d'autres, est un témoignage à chaud sur le climat politique en RFA en octobre 1977, entre les obsèques de Hans Martin Schleyer et celles de Baader et de ses compagnons. Parmi le grand nombre d'œuvres de qualité des années 70, il faut citer d'abord celles de Werner Herzog, cinéaste visionnaire, qui traque, de film en film, l'indicible et ses démons nocturnes, à travers des personnages en proie au désarroi métaphysique : Aguirre, la colère de Dieu (1972), l'Énigme de Kaspar Hauser (1974), Cœur de verre (1976), la Ballade de Bruno (1977), Nosferatu fantôme de la nuit (1979) et Woyzeck (id.). « Je me sens près de Büchner et de Hölderlin, dit-il. D'une certaine manière, je pense renouer avec la grande culture allemande, rompue par le cataclysme de la guerre... Mes personnages appartiennent à la même famille. Ce sont des rebelles désespérés, solitaires. Ils savent leur révolte vouée à l'échec ; pourtant ils continuent sans relâche, blessés, de plus en plus seuls, jusqu'à la folie. » Rainer Werner Fassbinder, qui a commencé, lui, à exprimer son exhibitionnisme homosexuel dans des mélodrames kitsch, établit de plus en plus avec l'Histoire une relation charnelle et sexuelle. Sa fascination-répulsion pour le nazisme le mène à une représentation allégorique et féminine de l'histoire du IIIe Reich. « Dans son autoreprésentation, dit-il, ce régime a beaucoup de choses à voir avec la mise en scène. » Parmi ses principaux films : Tous les autres s'appellent Ali (1973), Effi Briest (1974), le Droit du plus fort (1975), le Rôti de Satan (1976), Roulette chinoise (id.), Despair (1978), le Mariage de Maria Braun (1979), la Troisième Génération (id.), Lili Marleen (1980). Wim Wenders, cinéaste des dérives et de l'errance, est sans doute plus que tout autre la conscience d'une génération en quête de son identité. Imprégnés de mythologie américaine, ses personnages sont en perpétuel déplacement dans une Allemagne où tout rappelle le drame du nazisme. « Une Allemagne, dit-il, où des âmes mortes errent dans un supermarché. » Il a lui-même produit et distribué (via la Filmverlag, fondée en 1970) ses premiers films, et notamment sa fameuse trilogie : Alice dans les villes (1973), Faux Mouvement (1975) et Au fil du temps (id.).
Palme d'or à Cannes en 1979, le Tambour, de Volker Schlöndorff, d'après le livre de Günther Grass, est à ce jour le seul film allemand contemporain à avoir dépassé les trois millions de spectateurs dans son propre pays. De leur côté, Werner Schroeter et Hans Jürgen Syberberg* poursuivent une thématique très personnelle. Le premier dans des allégories sociales et mystiques telles que le Règne de Naples (1978) et Palerme ou Wolfsbourg (1980), le second dans des oratorios historico-métaphysiques : Louis II, requiem pour un roi vierge (1972), Karl May (1974) et Hitler, un film d'Allemagne (1977). Dans ce dernier film, s'adressant à la marionnette Hitler, il s'exprime ainsi : « Tu as anéanti Berlin et Vienne... Tu nous a pris les couchers de soleil de Caspar David Friedrich... Tout le reste, tu l'as occupé et contaminé. Tout : l'honneur, la fidélité, la vie rustique, l'ardeur au travail, le cinéma, la dignité, la patrie... Mes félicitations !... »
Bientôt, une deuxième vague de jeunes cinéastes est à l'œuvre, développant une inspiration souvent dirigée contre l'establishment, ne faisant en cela que suivre l'exemple de leurs prédécesseurs immédiats. Parmi les plus originaux : Hans Noever* (la Femme d'en face, 1978), Helma Sanders-Brahms* (Allemagne, mère blafarde, 1979), Herbert Achternbusch* (Servus Bayern, 1977 ; le Jeune Moine, 1978), Robert Van Ackeren* (la Pureté du cœur, 1980), Margarethe von Trotta (les Sœurs, 1981), Percy Adlon* (Céleste, 1984).
Trop jeunes les uns et les autres pour avoir vécu le nazisme, ils sont cependant trop vieux pour n'en avoir pas subi le traumatisme et pour ne pas traîner derrière eux cette espèce de faute originelle qui semble les habiter. D'où une série de films inaugurée en 1976 par Kotulla avec La mort est mon métier, et qui traitera des rapports avec les générations précédentes : Mon père (Mein Vater, 1982) de Fritz Poppenberg, le Pays des pères, le pays des fils (Land der Väter, Land der Söhne, 1989) de Nico Hoffmann ; de la culpabilité des nazis et des sympathisants : Martha Jellneck (1989) de Kai Wessel, À bas les Allemands (Nieder mit den Deutschen, 1985) de Dietrich Schubert, le Dernier trou (1981) d'Herbert Achternbusch ; du sort des juifs : David (1979) de Peter Lilienthal, Malou (1981), Au pays de mes parents (Im Land meiner Eltern, 1982) de Jeanine Meerapfel et de nombreux autres titres parmi lesquels il faut retenir une série de remarquables films destinés aux enfants, dont les Enfants du n° 67 (Die Kinder aus N° 67, 1979-80) d'Usch Barthelmess-Weller et Werner Meyer.
Beaucoup de jeunes réalisateurs se détournent des voies tracées par les grands noms du cinéma d'auteur pour se consacrer à la comédie (Doris Dörrie, Pia Frankenberg, Christian Rateuke) ou aux genres favorisés par la demande des chaînes de télévision (policiers par exemple). Néanmoins la réussite de Heimat de Reitz a encouragé certains de leurs collègues désireux d'œuvrer dans le réalisme historique et social : Joseph Vilsmaier avec le Lait de l'automne (Herbstmilch, 1988), Christian Wagner avec le Dernier chemin de Waller (Wallers letzter Gang, 1988), Uwe Janson avec les Chemins de la survie (Verfolgte Wege, 1989). Parallèlement l'école documentaire allemande s'enrichit chaque année de travaux remarquables, diffusés pour l'essentiel à la télévision.