ANIMATION. (suite)
Un précipité d'esthétiques, souvent contradictoires, met en exergue une intense activité internationale et fait écho aux bouleversements du monde, notamment à l'abolition du bloc Est-Ouest. Le cinéma d'animation semble procéder à un vaste « recyclage » de formes où cohabitent modernisme, maniérisme, baroque, art brut et tradition classique — définition de la postmodernité. La France y est sensible. Si la tradition et le travail des auteurs semblent y perdurer (René Laloux, Jean-François Laguionie, Jacques Colombat, Michel Ocelot, André Lindon pour son magnifique et isolé long métrage l'Enfant invisible, Manuel Otero...) et entraîner l'apparition de talents nouveaux (Patrick Bokanowski, Florence Miailhe avec son remarquable Sheherazade, chorégraphie de pastel sec...) ainsi que de studios actifs et créateurs (La Fabrique, Folimage), la production nationale est cependant dominée par l'absence d'une figure de proue et l'hégémonie du tout-télévisuel. Mais elle demeure terre d'accueil de cinéastes étrangers qui s'inscrivent, souvent avec force, dans sa production : l'Italien Luigi Toccafondo (le Criminel, 1982 ; Pinocchio, 1999), le Russe Iouri Tcherenkov (la Grande Migration, 1995) ou encore le Hollandais Michaël Dudok de Wit (le Moine et le Poisson, 1998). Les pays voisins font généralement écho à cette tendance. La Belgique — dont la figure principale demeure Raoul Servais — est très active, révèle de jeunes talents telle Florence Henrard (Lili et le Loup, 1996) et inaugure, au début des années 80, un dynamique festival à Bruxelles. La Suisse s'inscrit également dans ce rapport, consacrant l'œuvre incontournable d'Ernest et Gisèle Ansorge, qui introduisent une technique délicate de sable animé (Alunissons, 1970). Elle rassemble, depuis les années 70, plusieurs réalisateurs originaux, dont Claude Luyet (Question d'optique, 1986) et Georges Schwizgebel (78 Tours, 1985). Et l'Italie tente de s'affirmer, bon an mal an, dans le domaine. Après avoir eue ses heures de gloire avec l'humoriste grinçant Bruno Bozzetto ou les films stylisés, presque héraldiques, d'Emmanuel Luzzatti et Giulio Gianini (la Pie voleuse, 1964), son cinéma d'animation s'est enrichi des talents d'Osvaldo Cavandoli, célèbre pour les jeux métamorphiques de sa Linea (1969), ou encore de Guido Manuli, le Tex Avery italien (Incubus, 1985). C'est aussi le cas de l'Allemagne où le cinéma d'animation, après avoir longtemps fait figure d'absent, se manifeste avec plus de vigueur depuis les années 80 avec des œuvres de jeunes auteurs, souvent à mi-chemin du minimalisme et de l'allégorie : Raimund Krumme (Équilibristes, 1986). Jochen Kuhn, par son expérience plastique contemporaine audacieuse et irrévérencieuse (la Confession, 1990), prend langue avec le cinéma expérimental. Le Portugal, malgré quelques tentatives anciennes, fait figure de nouveau venu dans une Europe où les frontières tendent à s'estomper. Depuis les années 90, œuvre une génération de jeunes réalisateurs aux talents prometteurs : Abi Feijo se fait connaître par les Brigands (1993, Cartoon d'or 1995), qui prend pour sujet un épisode de la répression salazariste et le traite par un graphisme suggestif proche des univers de la gravure. Il est aussi l'auteur de Clandestin (2001), réalisé avec la collaboration de l'ONF Canada. La Nuit (1999), de Regina Pessoa, inaugure une technique de gravure sur plâtre, et l'Histoire du chat et de la Lune, de Pedro Serrazina (1995), s'inspire des dessins d'Hugo Pratt. Les Pays-Bas, plus à l'écart, semblent compter les points mais n'en connaissent pas moins un essor vigoureux depuis les années 70-80. Son cinéma d'animation rassemble notamment le polémiste Gerrit Van Dijk (CubeMENCube, 1975), le plasticien satirique Evert de Beijer (les Caractères, 1986) ou la féministe d'origine française Monique Renault (Pas à deux, en coréalisation avec Gerrit Van Dijk, 1989 ; Donna é mobile, 1994). La figure emblématique demeure Paul Driessen, ancien collaborateur de George Dunning, maintes fois primé pour ses films malicieux et actifs. %En remontant plus au nord, l'URSS devenue Russie symbolise la mutation en cours. Aux côtés des réalisateurs incontournables qui ont fait toute la richesse du cinéma d'animation soviétique des années 70-80, tel Fedor Khitrouk, dont le premier film était d'inspiration néoréaliste (Histoire d'un crime, 1961), tel le grand poète visionnaire Iouri Norstein (le Conte des contes, 1984) ou tel encore son camarade Andrei Khrjanovski, il faudrait pouvoir évoquer la profusion d'inventions esthétiques dont ont fait preuve alors de nombreux réalisateurs d'Ukraine, de Géorgie, d'Estonie (Rein Raamat, Priit Pärn, Avo Paistik) et d'autres Républiques. La nouvelle Russie inaugure une ère où, aux gloires des deux décennies passées, viennent s'ajouter le cinéma tragi-comique de Garri Bardine (le Loup gris et le Petit Chaperon rouge, 1990), désopilante allégorie de plastiline du conte de Perrault, et le cinéma tragique d'Alexandre Petrov (le Vieil Homme et la Mer, 1999), d'une éblouissante dextérité picturale, malgré son académisme. Faisant écho à cette explosion d'expériences, la Hongrie, la Bulgarie et la Yougoslavie ont connu aussi une production diversifiée. La Hongrie s'illustre avec les œuvres, un temps maniéristes et de portée tragique, de Sandor Reisenbüchler (le Temps des barbares, 1970 ; Panique, 1978), ainsi que celles d'Ottó Foky, György Kovásznai, Jószef Nepp, Béla Vajda (Mouvement perpétuel, 1980) ou de Csaba Varga (le Vent, 1985). En Bulgarie, deux réalisateurs aux visions notoirement pessimistes retiennent l'attention dans les années 70-80 : l'excellent dessinateur Henri Kulev, dont le trait hanté ensorcelle le spectateur (Hypothèse, 1976 ; Labyrinthe, 1984) et le Premier Grand prix bulgare au festival d'Annecy, Boyko Kanev (Un monde pourri, 1986), dont le propos allégorique et distancié est basé sur une technique de silhouettes de papier froissé aux couleurs tendres.
Dans la deuxième école de Zagreb en Yougoslavie s'affirment le caricaturiste Nedeljko Dragić pour son hallucinant Dompteur de chevaux sauvages (1966), Boris Kolar, au graphisme facétieux (Boomerang, 1962), et le décorateur Zlatko Bourek, spécialiste des sabbats médiévaux à la Bosch (De brouillard et de boue, 1964 ), également illustrateur des chants folkloriques de Slavonie (la Ronde des prétendants, 1966). Il inspire visiblement l'exquis Temps des vampires (1970) de Nikola Majdak. Pendant la même période, au studio Néoplanta Film de Novi Sad, Borislav Sajtinac, dessinateur humoristique collaborateur pendant deux ans à Hara-Kiri, exerce son ironie et son goût pour l'absurde avec Tout ce qui vole n'est pas oiseau (1969), la Jeune Mariée (1971) et Don Quichotte (1972). La Pologne fait figure de cas à part dans le bloc socialiste. Le réalisme socialiste, après les événements de 1956, n'y est pas imposé. Ce qui permet de comprendre l'influence exercée par les films de Jan Lenica et de Walerian Borowczyk. Ainsi l'« école polonaise » regroupe-t-elle des auteurs radicaux aux propositions stimulantes : Miroslaw Kijowicz (les Cages, 1966) développe une réflexion sur l'oppression. Daniel Szczechura (le Fauteuil, 1963) livre une satire du carriérisme. Jerzy Kucia, cinéaste de l'intériorité (l'Ascenseur, 1974 ; la Parade, 1987) est dit le « Bresson du cinéma d'animation ». D'autres réalisateurs aux univers très personnels retiennent l'attention dans les dernières décennies : Witold Gierz et ses films peints à l'huile (le Rouge et le Noir, 1963 ; le Cheval, 1967) ; Zbigniew Rybczynski, Grand Prix du festival d'Annecy pour Tango (1980), travail novateur basé sur un principe de répétition obsédant et sur un jeu avec les photogrammes. Son succès international l'incite à s'installer aux États-Unis dans les années 80. Piotr Dumala et ses univers noirs et cruels (le Petit Chaperon noir, 1983 ainsi que son remarquable Franz Kafka, 1991). La Tchécoslovaquie, également cas à part, joue un rôle international essentiel dans les tentatives de redéfinition esthétique de la fin du siècle. Après la disparition de Trnka, les années 70 sont celles d'une crise au sein du studio d'État. C'est alors qu'apparaît le très singulier Jan Švankmajer, lié au seul courant surréaliste encore actif et dont le travail dans le cinéma d'animation ne représente qu'une fraction de l'œuvre. Admirateur de Poe, de Carroll ou de Goethe, son apport tranche radicalement avec l'héritage tchèque. Reconnu d'abord pour les Possibilités du dialogue (1982) puis pour son long-métrage Alice (1988), tous deux Grands Prix du festival d'Annecy, maître du ready made cinématographique, il apparaît désormais comme la figure discrète par qui est advenu un renouveau stylistique en Grande-Bretagne (les frères Quay) puis aux États-Unis (Henry Sellick, Tim Burton). Ce nouveau style emprunte à la fois aux sources de ce surréalisme sarcastique et de l'expressionnisme allemand. Parallèlement, plusieurs réalisateurs poursuivent des itinéraires solitaires, héritiers de l'ancienne tradition : Jiři Barta (le Joueur de flûte, 1985) ou le caricaturiste Pavel Koutsky.