Dictionnaire du Cinéma 2001Éd. 2001
A

— ALLEMAGNE DE L'OUEST. (suite)

La crise du cinéma en Allemagne fédérale.

À la fin des années 80, le cinéma d'Allemagne fédérale traverse une crise qui plonge ses racines dans les rapports avec le public. Les plus gros budgets vont à quelques rares films visant le marché international (comme ceux de Wolfgang Petersen) et à des œuvres de compromis entre cinéma et téléfilm. Les principaux auteurs n'occupent plus les mêmes positions qu'à la fin des années 70. Kluge et Kotulla tournent rarement et ont été tentés par la télévision ; Wenders, un des porte-drapeaux de la modernité internationale, tourne plus souvent à l'étranger qu'en Allemagne, de même que Herzog dont les rapports avec la tradition allemande deviennent schématiques ; d'autres croient trouver le salut dans l'émigration ou des projets européens en devenir. Les plus marginaux (Achternbusch, Rosa von Praunheim, Ulrike Ottinger) ont des difficultés croissantes à faire connaître leurs travaux et ne peuvent retrouver l'itinéraire d'un Schroeter ou d'un van Ackeren. C'est aussi le cas des cinéastes militants des années 70.

— RÉPUBLIQUE DÉMOCRATIQUE ALLEMANDE (Deutsche Demokratische Republik).

C'est dans la zone soviétique d'occupation qu'ont été tournés les premiers films allemands de l'après-guerre, d'abord sous la forme d'un journal d'actualités, Der Augenzeuge (le Témoin), dès février 1946, sous la direction de Kurt Maetzig, auteur également de deux documentaires de circonstance : Berlin en reconstruction et Unité parti socialiste-parti communiste. Cette activité débutante trouve bientôt sa forme juridique définitive avec la création, le 17 mai 1946, sous le contrôle des autorités soviétiques, de la DEFA (Deutsche Film Aktien Gesellschaft), dont les membres fondateurs allemands, parmi lesquels Maetzig, sont des vétérans de la production.

Cinéma et propagande.

Dès le début, on met l'accent sur l'urgence de la dénazification des esprits et de la participation à un nouvel ordre social. Ce qu'illustre fort bien le premier film de fiction produit par la DEFA, Les assassins sont parmi nous, de Wolfgang Staudte* (1946), dénonciation des complices masqués du génocide nazi. Ce film remarquable a le mérite d'assurer la continuité du cinéma allemand en renouant avec une tradition démocratique, tout en héritant de l'esthétique expressionniste. Staudte poursuivra dans la même voie avec deux autres réussites : Rotation (1949), critique de l'attentisme de beaucoup d'Allemands sous Hitler, et Pour le roi de Prusse/ le Sujet (1951), brillante satire de l'esprit prussien d'obéissance passive. Caractéristiques aussi sont Mariage dans l'ombre (1947), de Kurt Maetzig* et l'Affaire Blum (1948), d'Erich Engel*, qui s'inspirent tous deux de faits authentiques pour dénoncer l'antisémitisme. Mais la figure la plus importante de cette période est celle de Slatan Dudow*, qui témoigne avec force et talent sur l'Allemagne en ruines (Notre pain quotidien, 1949) et sur la condition de la femme dans la nouvelle société (Destins de femmes, 1952).

Ces quatre pionniers d'une nouvelle cinématographie sont des vétérans du théâtre ou du cinéma. La République démocratique allemande est créée en octobre 1949, mais la circulation restera libre entre les deux Allemagnes jusqu'en 1961 : des cinéastes de l'Ouest (Gerhard Lamprecht*, Paul Verhoeven*, Arthur Maria Rabenalt*) viennent tourner à la DEFA ; mais d'autres, comme Staudte et Engel s'établissent définitivement en République fédérale. En septembre 1952, au plus fort de la guerre froide, une conférence des cinéastes convoquée par le parti communiste (SED) met l'accent sur la nécessité d'un engagement politique plus poussé, d'une plus précise attention à la forme et aux problèmes du mouvement ouvrier. De ces recommandations naît une vague de films historiques consacrés aux grands leaders prolétariens du passé, d'August Bebel et Karl Liebknecht à Ernst Thälmann, ainsi qu'à la résistance populaire au nazisme (Plus fort que la nuit [1954] de Dudow). L'obligation faite aux cinéastes de se conformer aux principes du réalisme socialiste conduit à un académisme qui contraste avec la vivacité et la diversité de style des films des débuts. Cette évolution est parallèle à celle qui se produit alors en URSS : le nombre des films diminue de 12 en 1949 à 6 en 1952 et 1953 (avant de remonter à la trentaine dans les années 60). Les grands sujets idéologiques sont privilégiés.

La mort de Staline (1953) va rapidement nuancer la ligne ainsi établie : un dégel idéologique et artistique (d'ailleurs assez bref) est visible aussi bien dans la thématique que dans l'esthétique. C'est ainsi que Gerhard Klein, un nouveau venu très doué qui mourra prématurément en 1970, réalise deux films qui font sensation par leur ton néoréaliste sur des thèmes empruntés à la vie quotidienne : Romance berlinoise (Eine Berliner Romanze, 1956) et Carrefour Schönhauser (Berlin - Ecke Schönhauser, 1957) ; Heiner Carow, autre débutant prometteur, montre la même liberté de ton et d'allure dans Ils l'appelaient Amigo (Sie nannten ihn Amigo, 1959) ; c'est aussi l'époque où sont réalisées quatre coproductions avec la France : les Aventures de Till l'Espiègle de Gérard Philipe*, les Sorcières de Salem de Raymond Rouleau*, les Misérables de Le Chanois* et la Rabouilleuse de Daquin*.

Mais la principale révélation de ces années, c'est Konrad Wolf* avec Lissy (1957), et surtout Étoiles (1959), qui aura un grand retentissement international : Wolf va désormais dominer la production de la RDA de toute la stature d'une thématique profondément engagée dans la contemporanéité, par exemple avec le Ciel partagé (1964), sur les drames individuels engendrés par la construction du mur de Berlin, et l'Homme nu sur le stade (1974), sur la nécessaire liberté de la création artistique : avec une conscience critique toujours en éveil, ce cinéaste apparaît comme le père spirituel des auteurs les plus responsables de la RDA.

Cependant, dès 1958, une autre conférence des cinéastes avait marqué la fin du nouveau cours institué timidement après la mort de Staline : pendant toutes les années 60, la production de fiction va stagner quelque peu, malgré les débuts d'autres cinéastes de talent (Frank Beyer*, Egon Günther*) et de deux scénaristes inspirés (Wolfgang Kohlhaase et Ulrich Plenzdorf), tandis que le documentaire connaît un épanouissement spectaculaire grâce à des auteurs qui renouvellent le genre en l'ouvrant, avec une grande lucidité dans la problématique, sur la vie quotidienne filmée dans un style proche du cinéma vérité (Karl Gass, Jürgen Böttcher, Gitta Nickel). La rigueur du contrôle idéologique se traduit par l'interdiction de plusieurs films, dont les Chercheurs de soleil (1958) de Konrad Wolf.