CUBA. (suite)
L'ouverture du cinéma cubain.
Cependant, en 1982, la sortie de Cecilia (Solás) suscite la polémique, notamment de la part des secteurs orthodoxes, qui n'ont jamais pardonné à l'ICAIC sa relative indépendance : la crise se solde par l'éloignement de Guevara, pendant dix ans en poste à l'Unesco. García Espinosa, désormais aux commandes, s'attache à resserrer les liens avec le public (grâce notamment à une série de comédies de mœurs), à promouvoir de nouveaux réalisateurs et à accroître l'autonomie de décision des cinéastes, par la formation de trois groupes de création, confiés à Gutiérrez Alea, Solás et M. Pérez (1987). Les comédies Se permuta (Juan Carlos Tabío*, 1983) et Los pájaros tirándole a la escopeta (Rolando Díaz, 1984) remportent un immense succès et distillent une certaine critique sociale : Plaff (Tabío, 1988) s'en prend même à la bureaucratie. Adorables mentiras (Gerardo Chijona, 1991) prolonge cette veine, tandis que Hello Hemingway (Fernando Pérez*, 1990) cherche le dialogue avec les jeunes spectateurs plutôt du côté émotionnel. Des sujets d'actualité plus conflictuels sont abordés par Jusqu'à un certain point (Gutiérrez Alea, 1983), Lejanía (Jesús Díaz, 1985), Mujer transparente (1990, surtout les sketchs signés par Ana Rodríguez et Mario Crespo), ces deux derniers titres brisant enfin le tabou de l'exil. Le documentaire s'avère à nouveau un terrain fertile. Enrique Colina explore les limites du genre, avec une dose croissante de fiction, pour mieux étayer son irrévérence (Vecinos, 1985 ; Chapucerías, 1987 ; El Unicornio, 1989 ; El rey de la selva, 1991). Jorge Luis Sánchez réhabilite le constat social dénué de complaisance, mais non de fraternité (El Fanguito, 1990). Le vent de renouvellement déborde l'ICAIC, avec l'irruption d'un mouvement « amateur » (en fait, indépendant), profitant des interstices institutionnels, mais avec une dynamique propre (Ecos, Tomás Piard, 1987 ; Basura, Lorenzo Regalado, 1989). Ces œuvres de jeunesse, relayées par les « travaux pratiques » de l'École internationale de cinéma et de télévision de San Antonio de los Baños (fondée en 1986, près de La Havane), suscitent des remous. Une plus grande exigence et plus d'audace, sur le plan formel et sur le plan idéologique, caractérisent les principaux films de deux réalisateurs de l'ICAIC ayant également débuté pendant cette période : Papeles secundarios (Orlando Rojas, 1989), sans doute l'un des rares à renouer avec l'innovation et l'ampleur de propos jadis en vogue, et Alicia en el pueblo de Maravillas (Daniel Díaz Torres, 1991). Leur dimension allégorique est limpide, leurs remises en cause ne se limitent plus à des aspects partiels. Le dernier précipite la plus grave crise politique de l'ICAIC, sauvé d'une dissolution par la mobilisation des cinéastes et des professionnels. Alfredo Guevara est appelé à reprendre les plus hautes responsabilités du cinéma cubain, juste au moment où l'effondrement économique de l'île compromet son avenir. Guevara joue alors un rôle ambigu : il interrompt en 1995 le tournage de Cerrado por reformas (titre prémonitoire d'un scénario d'Orlando Rojas pourtant primé à La Havane), tout en misant sur les discutables talents d'Enrique Alvarez (La ola, 1995) et d'Arturo Sotto (Amor vertical, 1997). Certes, la nécessité de recourir à des coproductions à l'étranger a déstabilisé une cinématographie insulaire, qui s'est cru longtemps à l'abri des « lois du marché ». Mais le succès international de Fraise et chocolat (Gutiérrez Alea et Tabío), nominé à l'Oscar 1995, montre qu'il y a toujours des cinéastes qui n'entendent pas baisser les bras, fidèles à leur engagement artistique et civique, même si de jour en jour augmente le nombre de ceux qui préfèrent attendre ailleurs le dénouement du drame cubain.