Dictionnaire du Cinéma 2001Éd. 2001
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PREMINGER (Otto) (suite)

Esprit sceptique, exilé volontaire, Preminger a tiré de sa double culture un sens accru de l'ironie, une curiosité et une soif d'objectivité inépuisables. Il partage avec deux autres grands Viennois, Lang et Wilder, une profonde méfiance à l'égard des valeurs et des systèmes établis. Il s'intéresse dès 1950, avec Mark Dixon, détective, au fonctionnement et au poids des institutions. Devenu indépendant en 1953, avec la création de sa propre maison de production, il confirme cet intérêt et l'approfondit. En 1955, il consacre à la justice un premier film d'une austère beauté : Condamné au silence. Quatre ans plus tard, il signe avec Autopsie d'un meurtre l'un des meilleurs « films de procès ». La politique, ses coups de théâtre, ses arcanes et ses complots lui inspirent Exodus (1960, son film le plus lyrique) et Tempête à Washington (1962), l'un de ses plus noirs.

Ces titres ont pu faire croire que Preminger était devenu, dans la seconde partie de sa carrière, l'homme des « grands » sujets. Ils frappent, cependant, moins par leur ampleur (toute relative), que par la permanence de quelques principes essentiels : vigilance, souci d'équilibre, désir de lier la dimension personnelle et collective, publique et privée. Preminger appréhende ainsi toujours l'Histoire à partir des pulsions individuelles et c'est, significativement, sur les notions de secret et d'aveu — déjà déterminantes à l'époque de Laura, Crime passionnel, Un si doux visage et Bonjour tristesse — que s'articuleront Exodus, Tempête à Washington et le Cardinal (1963).

Si l'on peut parler, à juste titre, chez Preminger, d'une « connaissance par les gouffres », on ne saurait, pour autant, négliger le réalisme et, parfois, la crudité de sa mise en scène (l'Homme au bras d'or, 1955). L'ouverture d'esprit du cinéaste se fonde, en effet, sur une intransigeance sans défaut. La clarté d'exposition de Tempête à Washington, la puissance et l'équilibre exemplaire de sa structure en sont l'expression directe. La limpidité glacée d'Autopsie d'un meurtre a d'autant plus de résonance qu'elle s'appuie sur une évidente et émouvante complicité avec le personnage d'avocat fragile, obstiné et retors interprété par James Stewart. On la sent gagnée au terme d'un long processus intime, d'un long combat contre les ombres, et nourrie par une sagacité volontiers cynique, un sens aigu du mystère, de l'intangible et de la faiblesse humaine. Il y a chez Preminger une capacité à errer entre deux mondes, sur la trace d'héroïnes transies, à recueillir l'ambiance magique de certains lieux protégés, à savourer le ralentissement, la suspension du temps. Mais il y a aussi chez lui un réalisateur « physique » (Carmen Jones, 1954), un provocateur, un novateur orgueilleux qui ne se laisse freiner par aucune contrainte. L'autorité du cinéaste, l'habileté du producteur, son indépendance, sa fermeté à l'égard de toute censure sont légendaires. L'auteur de La lune était bleue (1953) et de l'Homme au bras d'or fut le premier à affronter un Code désuet, ouvrant ainsi la voie au cinéma des trente dernières années. Celui d'Exodus, après avoir aidé en silence maintes victimes de la Liste noire, fit sortir de l'anonymat Dalton Trumbo et mit fin à dix années d'hypocrisie. Ces luttes, plus voyantes que d'autres, furent décisives. Elles ne sauraient faire oublier celles, plus secrètes, qui, durant la période la plus fertile de sa carrière, nourrirent l'inspiration diverse et profondément cohérente d'Otto Preminger.

Films

▲ — En Autriche : Die grosse Liebe (ALL-AUT, 1931) ; — aux États-Unis : Under Your Spell (1936) ; Charmante Famille (Danger - Love at Work, 1937) ; le Proscrit (Kidnapped, 1938, repris et signé par Alfred Werker) ; Margin for Error (1943) ; In the Meantime, Darling (1944) ; Laura (id., id.) ; Scandale à la cour (A Royal Scandal, 1945) ; Crime passionnel (Fallen Angel, id.) ; Centennial Summer (1946) ; Ambre (Forever Amber, 1947) ; Femme ou maîtresse (Daisy Kenyon, id.) ; la Dame au manteau d'hermine (That Lady in Ermine, 1948 ; Preminger réalise anonymement le dernier tiers du film après la mort d'Ernst Lu-itsch) ; l'Éventail de lady Windermere (The Fan, 1949) ; le Mystérieux Dr. Korvo (Whirlpool, 1950) ; Mark Dixon, détective (Where the Sidewalk Ends, id.) ; The 13th Letter (1951) ; Un si doux visage (Angel Face, 1953) ; La lune était bleue (The Moon Is Blue, id., tourné simultanément en version allemande sous le titre Die Jungfrau auf dem Dach) ; Rivière sans retour (River of No Return, 1954) ; Carmen Jones (id., id) ; Condamné au silence (The Court Martial of Billy Mitchell, 1955) ; l'Homme au bras d'or (The Man With the Golden Arm, id.) ; Sainte Jeanne (Saint Joan, 1957) ; Bonjour tristesse (id., 1958) ; Porgy and Bess (id., 1959) ; Autopsie d'un meurtre (Anatomy of a Murder, id.) ; Exodus (id., 1960) ; Tempête à Washington (Advise and Consent, 1962) ; le Cardinal (The Cardinal, 1963) ; Première Victoire (In Harm's Way, 1965) ; Bunny Lake a disparu (Bunny Lake Is Missing, id.) ; Que vienne la nuit (Hurry Sundown, 1967) ; Skido ! (Skidoo !, 1968) ; Dis-moi que tu m'aimes, Junie Moon (Tell Me That You Love Me, Junie Moon, 1970) ; Des amis comme les miens (Such Good Friends, 1971) ; Rosebud (id., 1975) ; The Human Factor (1980).

Preminger est producteur, depuis 1944, de la totalité de ses films à l'exception de Scandale à la cour, Ambre, Rivière sans retour, Condamné au silence et Porgy and Bess.

PREOBRAJENSKAIA (Olga) [Ol'ga Ivanovna Preobraženskaja]

actrice et cinéaste soviétique (Moscou 1881 - id. 1971).

Venant du théâtre, elle joue au cinéma dès 1913 dans quelques films de Protazanov (les Clés du bonheur, 1913 ; Guerre et Paix, 1915), puis passe à la mise en scène en 1916 en collaboration avec Gardine (le Talon de fer, 1919 ; le Serrurier et le Chancelier, 1924). Après avoir signé seule plusieurs films (‘ la Vérité de Fedka ’ [Fed'kina pravda], 1926 ; ‘ Kachtanka ’ [Kaštanka], id. ; ‘ Ania ’ [Anja], 1927), elle connaît la gloire avec un drame paysan brillamment joué et photographié et qui remporte un triomphe en URSS et à l'étranger, le Village du péché/les Joyeuses Commères de Riazan (Baby Rjazanskie, 1927). Le film est réalisé en collaboration avec Ivan Pravov, comme les suivants, parmi lesquels le Don paisible (Tihij Don, 1931), ‘ Stepan Razine ’ (Stepan Razine, 1939), et ‘ Un gars de la taïga ’ (Paren'iz tajgi, 1941).