ALLEMAGNE. (suite)
Dans Quatre de l'infanterie (1930), son premier film sonore, et dans la Tragédie de la mine (1931), c'est la préoccupation réaliste qui domine une fois encore, ainsi que le message social et le pacifisme. « La Tragédie de la mine, déclare cependant Pabst, a des tendances plus politiques que sociales ; il exalte le rapprochement du peuple français et du peuple allemand ; il démontre l'inanité des frontières. Chacun y parle sa propre langue et il n'y a qu'une seule version pour les deux pays. » Cela mérite d'être souligné, car dans la production de l'époque dominent les films revanchards exaltant les grandeurs et servitudes du patriotisme, et donc préparant le terrain au cinéma national-socialiste. C'est notamment le cas de la Dernière Compagnie (1930), de Kurt Bernhardt, consacré à un épisode de la campagne de Prusse de Napoléon, de Montagnes en flammes (1931) et du Rebelle (1932), tous les deux de Luis Trenker* (spécialiste des aventures en haute montagne), avec la collaboration, pour le premier film, de Karl Hartl et, pour le second, de Kurt Bernhardt. L'action du Rebelle se situe au Tyrol, en 1809, alors que d'ardents patriotes tentent de résister aux troupes de Napoléon et souhaitent réaliser l'unité de l'Allemagne. Par son sujet comme par son style, le film de Trenker (qui sera très apprécié du Führer) ouvrira la voie à la future production du cinéma nazi, mélange de « sentimentalisme alpestre, de nationalisme exacerbé et d'héroïsme légendaire » (Courtade et Cadars). À ce genre appartient de plein droit la Lumière bleue (1932), de Leni Riefenstahl*, primé à Venise, qui vaudra à l'auteur-interprète de devenir la cinéaste attitrée du nouveau régime.
La révolution du parlant.
À partir des années 30, le cinéma allemand connaît un net fléchissement qualitatif. Le parlant règne désormais sans partage dans les studios berlinois. La vogue des films musicaux et des opérettes façon UFA se développe : le Chemin du paradis (1930), de Wilhelm Thiele*, la Guerre des valses (1933), de Ludwig Berger*... Quelques œuvres d'exception vont néanmoins affirmer la révolution du parlant. Outre M le Maudit ou l'Opéra de quat'sous déjà cités : l'Ange bleu (1930), avec Marlène Dietrich* et Emil Jannings*, d'après le roman de Heinrich Mann, permettra à Josef von Sternberg*, de retour d'Hollywood, de développer sa symbolique troublante et cruelle à travers les personnages de Lola-Lola et du professeur Unrath. De la même époque, en 1931, il convient de citer encore quelques adaptations d'œuvres littéraires ou théâtrales : Sur le pavé de Berlin de Phil Jutzi*, autre drame des bas-fonds, adapté du livre d'Alfred Döblin, Jeunes Filles en uniforme de Carl Frölich* et Leontine Sagan*, Autour d'une enquête, de Robert Siodmak*, et Émile et les détectives, de Gerhardt Lamprecht*. Ventres glacés (1932), de Slatan Dudow*, sur un scénario de Bertolt Brecht*, modèle quasi unique du cinéma prolétarien allemand, est une œuvre d'agit-prop mise en musique par Hans Eisler*. « Pour la première fois dans l'histoire du film allemand, note Dudow, on montrait des ouvriers sur la toile et on exposait leurs besoins, leurs soucis, mais aussi leur combat pour une vie meilleure. »
Quelques années auparavant, une poignée de films expérimentaux ont été réalisés en marge de la production courante de l'UFA et de la Tobis. En particulier les œuvres de Walter Ruttmann* : Berlin, symphonie d'une grande ville (1927), dont le montage met en valeur la « musique optique », et la Mélodie du monde (1929). Mais également les ombres chinoises des Aventures du prince Ahmed (1924-1926), de Lotte Reiniger*, voire les recherches picturales de Hans Richter* et de Viking Eggeling* : Rythm 21 (1921-22). Il faut aussi réserver une place à part à Karl Valentin*, qui, de 1913 à 1941, poursuivit une œuvre grinçante et sarcastique. Metteur en scène, scénariste et interprète, il recrée un univers de petits artisans tourmentés par les soucis d'argent, à travers des tragédies burlesques, dont les plus marquantes se nomment : les Mystères d'un salon de coiffure (Mysterien eines Frisiersalons, 1922), Der Sönderling (1929), Donner, Blitz und Sonnenschein (1936).
Cinéma et idéologie nazie.
L'année 1933 marque l'arrivée de Hitler au pouvoir. Dès lors, la mainmise du parti national-socialiste sur le cinéma va s'exercer tant sur le plan administratif qu'économique. Le ministère du Reich à l'Information et à la Propagande est confié à Joseph Goebbels, dont la première tâche sera d'encourager les films « aux tendances raciales pures ». Le Jeune Hitlérien Quex (1933), du Bavarois Hans Steinhoff*, constitue la première œuvre de combat du nouveau régime. Au-delà de son idéologie, le film applique à la fois les leçons du cinéma réaliste allemand et du cinéma de propagande soviétique. Le véritable but du film (selon Courtade et Cadars) : « Fanatiser une jeunesse à laquelle on propose un idéal, une vie meilleure et, surtout, une responsabilité politique. Combien de jeunes Allemands ont-ils dû prendre comme exemple ce Quex qui leur ressemblait tant, et mourir à leur tour, dix ans plus tard, au nom de l'Allemagne éternelle ! Pour la première fois dans l'histoire du cinéma, un grand film de propagande s'adressait ainsi directement à des moins de vingt ans. Par l'entremise de Baldur von Schirach, le chef des Jeunesses hitlériennes, c'était tout l'appareil du parti et du gouvernement qui patronnait l'entreprise... »
Steinhoff sera un des plus fidèles propagandistes du IIIe Reich, en même temps qu'un cinéaste authentique, ainsi qu'en témoigneront les films suivants, consacrés à la foi inébranlable des grands hommes : la Lutte héroïque (1939) et le Président Krüger (1941), interprétés tous les deux par Emil Jannings. La première production UFA projetée sur les écrans de l'Allemagne nazie, en présence du nouveau chancelier, sera l'Aube (Morgenrot, 1933), de Gustav Ucicky*, épopée d'un sous-marin pendant la Première Guerre mondiale. Le même réalisera par la suite le Maître de poste (1940), qui marqua le début du déferlement des bobines allemandes sur les écrans français. Égérie du régime, actrice et réalisatrice, Leni Riefenstahl va mettre son talent au service des grandes célébrations du Reich. Entre les spectacles qu'elle nous montre du congrès de Nuremberg (le Triomphe de la volonté, 1935) ou des jeux Olympiques de Berlin (les Dieux du stade, 1938), et l'idéologie qui les inspire, l'adéquation est parfaite. Ici, la mise en scène sublime le réel en un vaste mouvement symphonique. « Le metteur en scène a essentiellement quatre choses à sa disposition pour donner à un simple reportage cinématographique une forme artistique et une construction adéquate, énonce-t-elle dans un texte théorique : l'architecture du film, le rythme du montage, une utilisation particulière du son et la qualité de la prise de vues. »