laboratoire théâtral puis cinématographique créé à Petrograd en décembre 1921. Ses fondateurs furent les benjamins de l'avant-garde révolutionnaire. En 1918, Grigori Kozintsev, qui a alors treize ans, et Sergueï Youtkevitch, son aîné d'un an, animent à Kiev un théâtre de marionnettes, un théâtre de rue et puis un « vrai » théâtre. Ils sont aussi assistants décorateurs pour le Théâtre Solovtzoski. Peintres, ils décorent des wagons de l'agit-prop ainsi que les murs de la ville, le 1er mai 1919. À Leningrad, où les conduit l'étude de la peinture, ils se lient avec Léonid Trauberg, journaliste et acteur amateur. Ensemble, ils fondent la FEKS et publient l'année suivante un fracassant manifeste, Excentrisme, qui situe leur « art poétique » dans le sillage du futurisme (celui de Marinetti tout autant que celui de Maïakovski), de dada, du constructivisme de Meyerhold, du Théâtre de la comédie populaire (de Sergueï Radlov), du burlesque américain, du serial français et des Ballets russes (picturalité, cirque, tréteaux de foire). Youtkevitch, entre-temps devenu avec Eisenstein élève de Meyerhold, conduit Eisenstein à collaborer avec la FEKS au printemps de 1922. Première manisfestation « scandaleuse » du laboratoire : « l'électrification » de la pièce de Gogol, Hyménée, le 25 septembre 1922, bientôt suivie de l'« agit-guignol », le Vniéchtorg sur la tour Eiffel. La Fabrique forme principalement des acteurs, conciliant les méthodes acrobatiques de Koulechov, bio-mécaniques de Meyerhold, pratiquant la commedia dell'arte, la pantomime (sans stylisation), le typage caricatural et le ciné-geste, mathématique, rigoureux, logiquement enchaîné. Le groupe fondateur s'étant vite dispersé, FEKS devint synonyme de Kozintsev et Trauberg. En 1924, ceux-ci créent leur propre studio, Feksfilm, au sein du Sevzapkino de Leningrad. Ils y travaillent avec une pléiade d'acteurs disciples : S. Guerassimov, P. Sobolevski, A. Kostritchkine, S. Magarill, I. Jeimo, E. Kouzmina, et deux collaborateurs prestigieux : l'opérateur Andréi Moskvine et (à partir de 1929) le musicien Dmitri Chostakovitch. L'œuvre du tandem Kozintsev-Trauberg (qui ne se sépare qu'après 1945) évoluera en trois temps. La première phase est de destruction — « gauchiste » — (1924-1925) ; la deuxième, la plus insolite et la plus novatrice, de romantisme révolutionnaire (1926-1930) ; la troisième, de réalisme socialiste (1931-1945). C'est entre la Roue du diable (1926) et Seule (1931), avec le Manteau (1926) et la Nouvelle Babylone (1929), que culmine l'esthétique de la FEKS, admirable synthèse de dramaturgie et de discours, d'expressionnisme et d'impressionnisme, de fantastique et de grotesque surréalisant, d'art populaire et d'art savant. Grâce à Victor Chklovski, à Youri Tynianov, Kozintsev et Trauberg cultivent quelques-uns des principes de l'école formaliste et notamment (en ce qui concerne l'image comme en ce qui touche le montage) ceux de « la forme compliquée », de la désautomatisation de la perception, de l'estrangement ou « dépaysement de l'objet », dans lesquels la critique ne voulut voir longtemps qu'exotisme et recherche du pittoresque. Assagi, l'excentrisme a continué d'irriguer l'œuvre de Kozintsev seul et une bonne part du cinéma soviétique des années 30 et 40. Il est remarquable, notera Chklovski, que tous les grands créateurs de l'art soviétique soient passés par l'expérience de l'excentrisme : de Koulechov à Dovjenko, de Youtkevitch et de Poudovkine à Eisenstein et Medvedkine. Ce trait en dit long sur l'importance de la FEKS.