Dictionnaire du Cinéma 2001Éd. 2001
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TORNES (Stavros)

cinéaste grec (Athènes, 1932 - id. 1988).

Il occupe une place à part dans le cinéma grec, celle du poète qui filme comme on respire. Il est le cinéaste libre, totalement indifferent aux contraintes financières ou à la qualité technique (il tourne avec des budgets dérisoires), le visionnaire du réel , le plasticien magique à l'état brut. Après différents métiers, il etudie le cinéma puis travaille comme assistant (Takis Kanellopoulos, Michael Cacoyannis, Elia Kazan, Ado Kyrou) tout en faisant l'acteur. Il co-réalise avec Costas Sfikas le documentaire Mâtines à l'île de Thera (Theraïcos Orthros,cm 1967). Il quitte ensuite la Grèce des colonels pour l'Italie où il milite dans les groupuscules extra-parlementaires. Il survit en jouant dans des films de F. Rosi, des frères Taviani, de F.Fellini, de M.Monicelli. En 1973, il tourne Studenti (cm) clandestinement en Grèce, puis c'est Addio Anatolia (cm, 1976), objet insolite sur les immigrés, tout comme Coatti (1977) qui articule le documentaire, le projet politique et des espaces de rêves. Charlotte Van Gelder se joint à lui, elle sera sa co-scénariste et sa compagne jusqu'au bout. Après un dernier film en Italie, le surprenant Exopragmatico (cm, 1980), il regagne la Grèce où il réalise 4 films remarquables (Balamos, 1982, Karkalou,1984, Danilo Trelès, 1986 et Un Héron pour l'Allemagne/ Enas erodios yia tin Germania,1987) et deux documentaires (pour la tv) plutôt déroutants (Nicos Kavvadias, CM 1982, Place Hippodamias, CM, 1983). Souvent qualifié de « sorcier de la tribu », il reste un auteur météorique qui, tout en explorant, à sa façon, les mondes parallèles de la pensée et du rêve, investit une curiosité inépuisable à mêler l'artisanal au trivial, le non-sens à l'incongru, le réel au surréel.

TÖRŐCSIK (Mariann, dite Mari)

actrice hongroise (Pély 1935).

D'origine paysanne, elle joue au cinéma avant d'avoir terminé ses études en 1957 : elle est découverte et révélée par Zoltán Fábri dans Un petit carrousel de fête (1955), où elle interprète une Juliette villageoise. Elle a joué avec la plupart des grands cinéastes hongrois des années 1960-90 : Miklós Jancsó (Silence et cri, 1968 ; Pour Électre, 1975), István Gaál (Baptême, 1968 ; Paysage mort, 1972), Károly Makk (Amour, 1970), Márta Mészáros (Marie, 1969), Imre Gyöngyössy (Fils du feu, 1974 ; l'Attente, 1975), Zsolt Kézdi-Kovács (Zone tempérée, 1970 ; l'Absent, 1986). Elle est l'épouse du scénariste et réalisateur Gyula Maar, avec lequel elle a tourné notamment Tergiversations (1976) et Qui êtes-vous madame Déry ? (1975), qui lui valut le Prix d'interprétation féminine au Festival de Cannes.

Principaux films :

Un petit carrousel de fête (Z. Fábri, 1955) ; la Légende du faubourg (F. Máriássy, 1957) ; Fleur de fer (J. Hersko, id.), Anna (Fábri, 1958) ; les Années blanches (Máriássy, 1959) ; ‘ Notre gamine ’ (Kölyök, Mihály Szemes, id.) ; ‘ Trois Étoiles ’ (Három csillag, Zoltán Varkonyi, M. Jancsó, Károly Wiedermann, 1960) ; ‘ le Paradis perdu ’ (K. Makk, 1962) ; ‘ l'Avant-dernier ’ (id., 1963) ; Silence et Cri (Jancsó, 1968) ; Marie (M. Mészáros, 1969) ; Amour (Makk, 1970) ; Zone tempérée (Z. Kézdi-Kovács, 1970) ; Paysage mort (I. Gaál, 1971) ; À la fin du chemin (Gyula Maár, 1974) ; Jeux de chats (Makk, id.) ; Pour Électre (Jancsó, 1975) ; Qui êtes-vous, Madame Déry ? (Déryné hol van ?, Maár, id.) ; la Légion Klapka (M. Hajdufy, 1984) ; ‘ Mes deux cents premières années ’ (Maár, 1986) ; ‘ l'Absent ’ (Kézdi-Kovács, id.) ; ‘ Dérapage ’ (A hecc, Peter Gardos, 1989) ; Journal à mon père et à mère (Mészáros, 1990) ; le Livre d'Esther (Eszterkönyv, K. Deák, id.) ; la Tournée (G. Bereményi, 1993) ; Hop ! Là (G. Maár, id.) ; Surveillance (S. Sará, id.) ; le Long Crépuscule (Hosszú alkony, Attila Janisch, 1997).

TORRE (Raúl de la)

cinéaste argentin (Zárate, Buenos Aires, 1938).

Venant de la publicité, comme d'autres réalisateurs de sa génération, il impose d'emblée un ton personnel, attaché à la psychologie féminine, dans Juan Lamaglia y señora (1970), suivi, toujours avec l'actrice Graciela Borges, par Crónica de una señora (1971), Heroína (1972), La revolución (1973), Sola (1976) et El infierno tan temido (1980), d'après Juan Carlos Onetti, l'un des meilleurs films d'ambiance de cette période oppressive de l'Argentine. Il tourne ensuite une autre adaptation littéraire, Pubis Angelical (1982), d'après le roman de Manuel Puig, suivie de Pobre mariposa (1986), Color escondida, (1988) et Funes, un gran amor (1992).

TORRE NILSSON (Leopoldo)

cinéaste argentin (Buenos Aires 1924 - id. 1978).

Fils du réalisateur Leopoldo Torres Ríos, il partage très tôt une initiation aux secrets des grands studios et une formation littéraire poussée. Torre Nilsson écrit des poèmes et des récits alors qu'il assiste son père dans l'industrie traditionnelle. Ses premiers pas dans la mise en scène renvoient d'emblée à cette culture très particulière de Buenos Aires, où se détachent Adolfo Bioy Casares (El crimen de Oribe, 1950) et Jorge Luis Borges (Días de odio, 1954). Il est en fait le premier cinéaste intellectuel, moderne, d'un pays où abondent les instinctifs et les bohèmes, où le souci formel relève de la simple calligraphie (Luis Saslavsky). Imbibé de cinéphilie et des classiques européens dans les ciné-clubs, Torre Nilsson joint à un indéniable goût pour l'image baroque, expressionniste, voire symbolique, un univers personnel, traversé par les rêves et les frustrations d'une société bloquée, aussi bien sur le plan psychologique que social. À peine ébauché dans Graciela (1956), premier film avec la jeune actrice Elsa Daniel et le comédien Lautaro Murúa, cet univers renfermé et onirique s'impose à partir de la Maison de l'ange (1957), début d'une fidèle collaboration avec la romancière Beatriz Guido (Rosario 1925 - Madrid, ESP, 1988), sa compagne. La Chute (1959) et la Main dans le piège (1961) complètent une sorte de trilogie introspective, saluée par la critique internationale avec un enthousiasme parfois excessif et en tout cas passager (Torre Nilsson se situe alors parmi la dizaine de cinéastes vivants les plus importants). Alors que ses personnages sont déjà parfaitement situés, il élargit leur portée sociale implicite avec des films assez critiques envers la tradition politique argentine : Fin de fête (1960), notamment, mais aussi Un guapo del 900 (id.) plongent dans les origines de la crise des institutions démocratiques. El ojo que espía (1966) n'hésite pas à s'attaquer à un fascisme plus contemporain. Issu d'une industrie en déroute, Torre Nilsson est le premier auteur à y ouvrir une brèche d'ambition artistique, dans laquelle viennent s'engouffrer les jeunes du Nuevo Cine argentin. Certains de ses films gardent d'ailleurs une similitude de ton avec les essais de la nouvelle génération (Piel de verano, 1961 ; la Terrasse, 1963). Cependant, le cinéma argentin s'essouffle, bientôt entravé par les contraintes de la censure. Torre Nilsson se hasarde dans des coproductions décevantes (Quatre Femmes pour un héros, 1962 ; La chica del lunes, 1967 ; Los traidores de San Ángel, id.). Il retrouve un répit grâce à une série d'évocations de grands archétypes nationaux : le Martín Fierro de José Hernández (1968), le général San Martín (El Santo de la Espada, 1970), un des caudillos de l'intérieur (Güemes : la tierra en armas, 1971), tous assez conventionnels. Il revient par la suite à de nouvelles évocations des années 30 comme source des violences contemporaines (La mafia, 1972 ; El Pibe Cabeza, 1975). Si les adaptations littéraires d'après Manuel Puig (Boquitas pintadas, 1974) et Bioy Casares (La guerra del cerdo, 1975) sont à peines correctes, sa version du roman foisonnant, existentiel avant la lettre, prémonitoire et désespéré de Roberto Arlt, Los siete locos (1973), est digne de l'écrivain. Cette phase de réactivation de la cinématographie argentine s'accompagne donc d'une maturité retrouvée de Torre Nilsson. Son dernier film, Piedra libre (1976), signifie un retour à l'univers qu'il partage avec Beatriz Guido. Un autre scénario de Torre Nilsson devra être mis en scène par son fils, Javier Torre (Fiebre amarilla, 1982). Jadis considéré comme le Bergman ou l'Antonioni de l'hémisphère Sud, Torre Nilsson ne mérite guère l'oubli et le dédain dans lequel il tombe par la suite. Désigné comme l'exemple même de ce cinéma réformiste, colonisé, à abattre, par une génération qui regorge d'illusions lyriques et idéologiques, Torre Nilsson récuse la polémique, tout en apportant sa caution de producteur respecté à de jeunes réalisateurs comme David José Kohon, Leonardo Favio, Eduardo Calcagno, Mario Sábato, Nicolas Sarquis, Juan José Jusid, Bebe Kamín. La tradition familiale est prolongée par ses fils Javier Torre (Las tumbas, 1991 ; El camino de los sue~nos, 1992) et Pablo Torre (El amante de las películas mudas, 1993). Aussi bien face à la vieille industrie que face à une censure cycliquement renaissante, Torre Nilsson ne cesse de défendre la dignité du métier et la responsabilité de l'auteur. Aucun autre cinéaste de son pays n'a été aussi fidèle à ces idées et à une œuvre personnelle durant le quart de siècle d'activité de Leopoldo Torre Nilsson, le plus troublé de l'Argentine contemporaine et de son cinéma.