Dictionnaire du Cinéma 2001Éd. 2001
I

IMPRESSIONNISME. (suite)

Malheureusement, le public ne suivit pas, et les auteurs durent bientôt en rabattre de leurs ambitions : Gance se tourna vers la grande fresque historique, L'Herbier vers le mélodrame « psychologique », Epstein vers l'adaptation des classiques de la littérature (Balzac, Daudet). C'est le retour en force du scénario, naguère tant honni. La mort de Delluc, survenue en 1924, acheva de dérouter les esprits. Et c'est très arbitrairement que l'on pourra déceler des séquelles d'« impressionnisme » chez le jeune Renoir (la Fille de l'eau) ou le jeune Grémillon (Tour au large, Maldone).

La « deuxième avant-garde », celle des Man Ray et des Buñuel, jugera assez sévèrement ces tentatives, suspectes il est vrai de philosophie fumeuse et empreintes de pas mal de naïveté. Pourtant « la naïveté ici a son prix », comme le note Léon Moussinac à propos de Gance. Quant à l'esthétisme sophistiqué de L'Herbier, il a produit au moins un chef-d'œuvre (anachronique : il fut tourné à la veille du parlant et n'obtint aucun succès) : l'Argent. Appliqués à un sujet fort, un sens aigu de la photogénie, un découpage spatio-temporel minutieux, une grande maîtrise décorative feront enfin merveille. Au point que, quelque quarante ans plus tard, deux critiques français, Noël Burch et Jean-André Fieschi, réévaluant l'« école impressionniste » et la confrontant aux œuvres de Bresson ou de Resnais, y verront une « mise en phase, surprenante mais logique, avec certaines des recherches les plus vivifiantes du cinéma d'aujourd'hui ».

INAGAKI (Hiroshi)

cinéaste japonais (Tokyo 1905 - id. 1980).

Fils d'un acteur ambulant, il monte très jeune sur la scène et mène une enfance errante et malheureuse (il perd sa mère à l'âge de neuf ans). Autodidacte, il découvre le cinéma en présentant des séquences filmées pendant les pièces et commence à jouer des petits rôles au cinéma dès 1914. Il entre à la Nikkatsu comme acteur à l'âge de dix-sept ans et joue dans des films de Kenji Mizoguchi (‘ la Nuit ’ [Yoru, 1923]). Devenu assistant réalisateur en 1927, il travaille avec Kinugasa pour Carrefour (1928), mais ce dernier part pour l'Europe. Inagaki est alors désigné metteur en scène par Daisuke Ito dans la compagnie de production fondée par l'acteur Chiezo Kataoka. Il tourne son premier film, ‘ le Règne de la paix ’ (Tenka taihei), en 1928, sur un scénario de Mansaku Itami. Dès cette époque, Inagaki tourne sans arrêt et se spécialise dans le « jidai-geki », de même qu'Ito ou Itami, avec des films de série populaires (Chuji Kunisada, 1933, en trois parties ; Shinsengumi, 1934), ou des adaptations littéraires historiques, dont la plus connue est ‘ le Col du grand Bouddha ’ (Daibosatsu Toge, 1935-36, en trois parties), d'après le roman de Nakazato. Pendant la guerre, il réalise, entre autres, ‘ la Vie de Muhomatsu ’ (Muhomatsu no issho, 1943, avec Bantsuma), dont il fera un remake célèbre en 1958, avec T. Mifune, connu sous le titre le Pousse-pousse (Lion d'or à Venise, 1958). Parmi ses films les plus populaires, retenons sa version en trois parties de Miyamoto Musashi, avec Toshiro Mifune, dont la première obtint l'Oscar du meilleur film étranger à Hollywood en 1954 sous le titre Samurai, et son remake des 47 Rônin (Chushingura, 1962, en deux parties). Réalisateur on ne peut plus prolifique, Inagaki, vétéran de la Cie Toho, a tourné plus de cent films, dont un très grand nombre avec la vedette maison, Toshiro Mifune : un de ses derniers fut Furin Kazan (ou ‘ Samurai Banners ’, 1970), médiocre superproduction historique traitant du personnage de Shingen Takeda. Avant sa mort, il avait travaillé encore sur le scénario d'un sujet d'avant-guerre intitulé ‘ les Insectes de l'enfer ’ (Jigoku no mushi), qui fut réalisé en 1979 par Tatsuo Yamada en version muette. Inagaki symbolise l'artisan du cinéma japonais, sans génie, mais fidèle à une forme de spectacle qui avait depuis longtemps fait ses preuves.

INCE (Thomas Harper)

cinéaste, scénariste, acteur et producteur américain (Newport, R. I., 1882 - Beverly Hills, Ca., 1924).

John, Ralph et Thomas, les trois enfants d'un couple d'acteurs, sont tous trois devenus des pionniers du cinéma. Thomas, lui-même, ayant débuté à six ans à la scène, et trouvant difficilement du travail, commence à arrondir ses fins de mois en tournant dans des films. En 1910, sans un sou, il décide que son avenir est dans le cinéma. Il débute comme acteur à la Biograph. Puis, Carl Laemmle le prend sous contrat comme réalisateur pour Mary Pickford. En 1911, il est engagé par une nouvelle compagnie, la New York Motion Picture de Kessel et Baumann. Ces derniers l'envoient à Los Angeles prendre le relais de leur filiale Bison Life installée à Edendale (futur studio de la Keystone) et très vite il se fait une réputation grâce à de nombreux westerns historiques. Méticuleux et rigoureux, organisé, il obtient une qualité naturellement supérieure au tout-venant d'une industrie encore en proie à l'improvisation et au désordre. À cause de ces méthodes de travail et du fait qu'il s'assure les services d'un cirque entier et qu'il acquiert 200 000 arpents de terre – fondant « Inceville », les plus vastes studios d'extérieur de l'époque, sur les collines surplombant l'ocean — il est évident que, si Griffith est le premier artiste du cinéma américain, Ince en est le premier « homme de spectacle ». Producteur intransigeant, exigeant sur le fini technique, découvreur de talents, Ince est un peu l'ancêtre de ces producteurs créatifs qui permettront à Hollywood d'arriver à son apogée. Dès 1912, en fait, Ince est fatigué de la réalisation. Il se fait alors assister par Francis Ford (frère de John), en insistant pour que celui-ci suive à la lettre ses indications techniques, ses découpages et ses scénarios. Dès lors, Ince va devenir essentiellement un producteur incomparable et un administrateur. À partir de 1916, il ne dirige plus rien et se plaît au contraire à superviser le travail de ses talents. Il contribua très certainement aux grandes qualités techniques qui frappent encore maintenant dans les films interprétés par William S. Hart, sa plus grande vedette, et par Charles Ray. Il permet aussi à des cinéastes comme Jack Conway, Fred Niblo ou Frank Borzage de faire, brillamment, leurs premières armes. Cependant, pour le plus grand malheur des historiens du cinéma, un nombre important des productions qu'il supervisa sans les diriger portent au générique le nom de Thomas H. Ince comme auteur complet. À partir de là, certains lui ont attribué la réalisation de plusieurs films, entraînant des confusions interminables pour les chercheurs venus plus tard.