POLLACK (Sydney) (suite)
Réticente à rencontrer la lumière crue du présent, l'œuvre de Pollack lui a souvent préféré le prisme du passé. Elle s'inscrit tout naturellement dans l'espace mythologique du western (Jeremiah Johnson), du « southern » (Propriété interdite), de l'« eastern » (Bobby Deerfield, 1977), ou de genres croisés (les Chasseurs de scalps [1968], plus southern que western ; Yakuza [1975], « crypto-western » extrême-oriental). C'est à l'âge d'or du cinéma romanesque que se réfère Pollack lorsqu'il esquisse son art poétique : « Nous allons revenir à un cinéma qui grossit la réalité, lui donne une démesure. Cela n'empêche pas, du reste, d'exprimer quelques vérités. Peu de choses expriment la vérité autant que les mensonges » (1972). Par mensonge, entendons : vérité seconde de l'artifice et de la stylisation, vérité supérieure de la métaphore et du symbole. La parabole d'On achève bien les chevaux est à cet égard exemplaire, qui tisse un réseau complexe de correspondances entre les dépressions d'hier et les crises d'aujourd'hui. Microcosme d'une Amérique en perdition, l'arène des marathons de la danse figure aussi l'usine à rêves hollywoodienne...
Depuis, avec les Trois Jours du Condor (1975, sur le thème de l'espionnage) et Absence de malice (1981, sur les pouvoirs de la presse), Pollack se penche plus volontiers sur les maux de la société contemporaine, interrogeant les contradictions et les métamorphoses d'un pays qu'il ne reconnaît plus. Humaniste libéral, il s'attache aux individus plus qu'aux idées, aux sentiments plus qu'aux idéologies : « On agit toujours dans le bon sens pour de mauvaises raisons, et vice versa. » L'inégal duo Paul Newman-Sally Field ne sauve pas Absence de malice d'un flou, inhabituel chez Pollack, dû sans doute pour une grande part aux insuffisances du scénario. À ceux qui commentent, manipulent, interprètent la réalité, il préfère ceux qui la subissent, fût-ce dans une candeur ou une inconscience totale dont Un château en enfer reste un curieux exemple. Sa sympathie va à l'amateur qui méconnaît les règles du jeu, à l'ingénu pris au piège de machinations ténébreuses, à l'individualiste arraché à sa quiétude de rêveur et contraint de « s'engager ». N'y aurait-il, de la chasse aux scalps au moderne Japon des gangs (Yakuza), qu'une différence de méthode ?
Dans Tootsie, Pollack traite un sujet proche du film de Blake Edwards Victor, Victoria ; il s'agit d'une réflexion lucide sur l'identité de l'individu, sa relativité et ses avatars dans les relations affectives et sociales. Dustin Hoffman y interprète un comédien trop exigeant professionnellement qui ne rencontrera la gloire que grâce à une supercherie : il se travestit en femme, obtient le rôle principal dans un feuilleton télévisé très populaire et se trouve bientôt piégé par la renommée que lui a apportée ce rôle envahissant.
Out of Africa est le récit autobiographique de la romancière danoise Karen Blixen qui évoque ses années de jeunesse passées au Kenya. Pollack rejoint la grande tradition nostalgique et romantique de Hollywood dans sa vision quelque peu surannée d'une Afrique paternaliste et dans l'insistance à retrouver un affrontement psychologique et amoureux entre deux stars du Box office (Robert Redford et Meryl Streep). C'est ce même côté suranné qui a masqué les qualités profondes de Havana (id., 1990) : sur un scénario qui, à peu de chose près, n'est qu'un remake de Casablanca, Pollack s'est livré à une véritable réflexion politique sur la révolution cubaine. Film très personnel, Havana est l'une des réussites majeures du cinéaste, par cette alliance harmonieuse entre le romanesque et la conscience. Il ne restera inactif que trois ans avant de réaliser la Firme, un de ses plus gros succès commerciaux : il s'agit de toute évidence d'un film où Pollack s'engage moins que dans les deux précédents, mais on ne peut cependant qu'admirer la facture impeccable de ce thriller politique foisonnant, ainsi que la direction d'acteurs (Gene Hackman particulièrement). Mais, avec Harrison Ford, son nouvel acteur d'élection, Pollack revient au romantisme qui lui est cher, quitte à paraître démodé : un remake de Sabrina dont, contrairement à Wilder, il prend l'aspect « conte de fée » au pied de la lettre et l'Ombre d'un soupçon , belle comédie qui vire parfois au noir. On ne peut guère reprocher au cinéaste de dévier de sa trajectoire obstinée, empreinte de mélancolie comme celle de tous les idéalistes.
Pollack est également très actif comme producteur : on lui doit notamment les deux films de Steve Kloves, Susie et les Baker Boys (The Fabulous Baker Boys, 1989) et Flesh and Bone (id., 1993). Mais, après sa très brillante prestation dans Tootsie, c'est comme acteur qu'il devient de plus en plus recherché. Mentionnons The Player (R. Altman, 1992), où il refait pratiquement le numéro de Tootsie, et surtout Maris et femmes (id.), de Woody Allen, où il forme avec Judy Davis un couple remarquable d'intellectuels new-yorkais en crise et Eyes Wide Shut (S. Kubrick, 1999) où, remplaçant au pied levé Harvey Keitel, il crée une surprenante enclave humaine dans un film qui tend vers l'abstraction.
Films :
Trente Minutes de sursis (The Slender Thread, 1965) ; Propriété interdite (This Property Is Condemned, 1966) ; les Chasseurs de scalps (The Scalphunters, 1968) ; Un château en enfer (Castle Keep, 1969) ; On achève bien les chevaux (They Shoot Horses, Don't They ?, id.) ; Jeremiah Johnson (1972) ; Nos plus belles années (The Way We Were, 1973) ; Yakuza (The Yakuza 1975) ; les Trois Jours du Condor (Three Days of the Condor, id.) ; Bobby Deerfield (id., 1977) ; le Cavalier électrique (The Electric Horseman, 1979) ; Absence de malice (Absence of Malice, 1981) ; Tootsie (id., 1982) ; Out of Africa (id., 1985) ; Havana (1990) ; la Firme (The Firm, 1993) ; Sabrina (1995) ; l'Ombre d'un soupçon (Random Hearts, 1999).