Dictionnaire du Cinéma 2001Éd. 2001
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BOGARDE (Derek Van den Bogaerde, dit Dirk) (suite)

Cette série de réussites exceptionnelles a haussé Dirk Bogarde au rang de star internationale. La collaboration avec Losey étant épuisée, l'acteur noue une relation également privilégiée avec Luchino Visconti, pour lequel il tournera deux films : les Damnés et Mort à Venise. Il est vraisemblable que sa brouille avec Losey lui a fait surestimer, relativement et dans l'absolu, son travail avec Visconti. Les Damnés marque comme une banalisation de son personnage, dont le magnétisme paraît gommé par une production tapageuse, en dépit d'excellentes scènes. Dans Mort à Venise, le rôle totalement passif de spectateur attribué à Bogarde dans le rôle d'Aschenbach n'a rien de commun avec ces médiums irradiants inventés par Pinter et Losey. Aschenbach n'est plus un homme qui meurt, mais une illustration qui n'a jamais accédé à la vie.

Après Mort à Venise, Bogarde espace ses apparitions. Deux films dominent sa filmographie des cinq dernières années : Providence d'Alain Resnais et Despair de R. W. Fassbinder. Ce dernier film, par son ambition tant au plan du contenu qu'à celui de la forme, a pu faire croire à l'acteur que son rôle atteindrait en ambiguïté et en complexité les niveaux de The Servant... Sa performance reste en réalité bridée par l'esthétisme et l'hermétisme de l'entreprise, alors que Providence tient toutes ces promesses et utilise aussi sa voix admirable comme un instrument de musique de chambre. Ce rôle renouvelle même la palette de son interprétation, dans la mesure où il le dégage des surenchères en morbidité que certains films, dans la filiation de The Servant, lui faisaient endosser, tel Portier de nuit de Liliana Cavani. Parmi ses projets avortés, notons le rôle du détective Harry Dickson et celui du marquis de Sade, deux autres projets non aboutis avec Alain Resnais.

Films :

Quartet (sketch de H. French, 1948) ; Police sans armes (B. Dearden, 1950) ; la Femme en question (A. Asquith, id.) ; Rapt (Ch. Crichton, 1952) ; They Who Dare (L. Milestone, 1953) ; La bête s'éveille (J. Losey, 1954) ; Toubib or not toubib (Doctor in the House, R. Thomas, id.) ; Intelligence Service (M. Powell, 1957) ; le Bal des adieux (Ch. Vidor et G. Cukor, 1960) ; l'Ange pourpre (N. Johnson, id.) ; le Cavalier noir (R. Baker, 1961) ; la Victime (Dearden, id.) ; l'Ombre du passé (The Lonely Stage / I Could Go on Singing, R. Neame, 1963) ; The Servant (Losey, 1963) ; Pour l'exemple (id., 1964) ; Darling (J. Schlesinger, 1965) ; Modesty Blaise (Losey, 1966) ; Accident (id., 1967) ; Chaque soir à neuf heures (J. Clayton, id.) ; l'Homme de Kiev (J. Frankenheimer, 1968) ; Ah Dieu ! que la guerre est jolie  ! (R. Attenborough, 1969) ; les Damnés (L. Visconti, id.) ; Mort à Venise (id., 1971) ; le Serpent (H. Verneuil, 1973) ; Portier de nuit (L. Cavani, 1974) ; Providence (A. Resnais, 1977) ; Despair (R. W. Fassbinder, 1978) ; The Vision (Norman Stone, 1987) ; Daddy Nostalgie (B. Tavernier, 1990).

BOGART (Humphrey DeForest Bogart, dit Humphrey)

acteur américain (New York, N. Y., 1899 - Beverly Hills, Ca., 1957).

Originaire de la bourgeoisie new-yorkaise (son père était chirurgien, sa mère illustratrice), Humphrey Bogart débute comme régisseur de théâtre en 1918. Le producteur William A. Brady l'oriente vers une carrière d'acteur, qui se limitera longtemps à l'emploi de jeune premier chic et blasé. En 1929, la Fox l'engage pour un an et le met à l'essai dans les genres les plus divers : film d'aventures (A Devil With Women), de prison (Up the River) ou d'aviation, comédie militaire (Women of All Nations), western. Bilan hétéroclite, que n'améliorent guère de brefs passages à la Universal, à la Columbia et à la Warner. Bogart retourne donc à la scène. En 1935, il remporte son premier succès avec The Petrified Forest de Robert E. Sherwood, où il tient le rôle du gangster Duke Mantee. La vedette de cette pièce policière à prétention allégorique, Leslie Howard, sollicitée par la Warner pour en tourner l'adaptation, exige que Bogart soit également engagé.

À 37 ans, l'acteur renonce au théâtre pour entamer une prolifique carrière de second plan. À raison de six films par an, il aligne une impressionnante série de rôles de gangsters, à l'ombre de comédiens confirmés comme Edward G. Robinson, James Cagney et George Raft. Taillés sur un modèle uniforme, ses personnages sont de simples repoussoirs, dépourvus de la dimension tragique à laquelle peuvent encore prétendre les héros gangstériens d'un cinéma guetté par le code de censure : le second couteau est nécessairement un perdant, un lâche (les Anges aux figures sales et The Roaring Twenties, 1938), un psychopathe. Borné, irrécupérable, sa minceur lui confère un statut symbolique : il est le déchet d'une société malade (Rue sans issue). Bogart s'acquitte sans éclat de sa tâche.

Quelques films lui permettent d'échapper à une lassante stéréotypie. On le voit à l'occasion en procureur (Femme marquée), en directeur de prison compréhensif (l'École du crime), en as de l'aviation (Courrier de Chine). Après des incursions sans conséquence dans le mélo (Victoire sur la nuit), la comédie (M. Dodd part pour Hollywood) et le film d'horreur (le Retour du Dr X), il commence à sortir du moule imposé avec Une femme dangereuse : là encore, un rôle de faire-valoir (il y est le frère camionneur de George Raft) mais inscrit dans un contexte documenté, et porteur d'une problématique plus réaliste et plus riche (R. Walsh, 1940).

Un an plus tard, Bogart est amené à remplacer George Raft dans la Grande Évasion, qui marque une étape plus décisive encore. Roy Earle, gangster vieilli et désillusionné, est en effet le premier de ses personnages à posséder une épaisseur humaine. Ni héros ni méchant, mais doublement naïf pour adhérer au code désuet de la pègre et croire à l'amour d'une jeune fille pure, il est avant tout victime de son passé, un passé qui lui colle si lourdement à la peau qu'il ne peut s'en délivrer que dans la mort.

Après avoir clos symboliquement sur cette note fataliste la saga gangstérienne des années 30, Bogart rejoint son temps. Mais, si le criminel a épuisé une grande partie de son charme, le cinéma américain n'en est pas encore à prôner l'engagement collectif. Une figure intermédiaire surgit donc : le détective privé, qui n'est ni gangster ni policier, mais un peu des deux. Ce chantre du scepticisme viril va prendre, avec le Faucon maltais, les traits de Sam Spade, personnage créé en 1929 par Dashiell Hammett, et dont les deux précédentes aventures cinématographiques n'avaient eu aucun succès. Sous la direction de Huston, Bogart, métamorphosé, devient en 1941 le premier privé moderne de l'écran : caustique, intransigeant, farouchement indépendant, il est capable de sacrifier la femme qu'il aime par respect d'une morale qui n'appartient qu'à lui. Indifférent aux pressions de la loi comme à celles de la pègre, c'est un homme désintéressé, solitaire, vigilant, qui se défie des grands principes, et plus encore de ses semblables.