URSS. (suite)
La révolution du parlant.
Le passage du muet au parlant se fera en URSS avec lenteur, bien que d'excellents procédés sonores aient été inventés dès novembre 1926 par Pavel Taguer, et en 1928-29 par Aleksandr Chorine. Mais l'équipement des salles de projection ne se fit que très progressivement. En 1934, en effet, sur 26 000 salles environ, 800 à peine étaient pourvues d'installations adéquates permettant la programmation de films sonores. Aussi, de 1930 à 1934, de nombreux films sont-ils tournés en muet, puis ultérieurement sonorisés (La terre a soif de Iouli Raïzman*, Seule de Kozintsev et Trauberg par exemple). Mais Mikhaïl Romm propose encore en 1934 Boule de Suif en version muette.
La « révolution du parlant » entraîne sur le plan artistique des prises de position passionnées et suscite des expériences parfois malhabiles, mais parfois aussi très originales (Eisenstein, Poudovkine et G. Aleksandrov* signeront en 1928 le Manifeste du contrepoint orchestral). En 1930, Eisenstein est aux États-Unis. Après l'échec de divers projets, il entreprend une somptueuse fresque historique sur l'histoire du Mexique contemporain (Que viva Mexico!). Mais, au cours du tournage, il rencontre de sérieux déboires et ne parviendra pas à contrôler le montage final de son œuvre. Les images qu'il avait enregistrées avec son fidèle opérateur Tissé seront utilisées ultérieurement dans Tonnerre sur le Mexique (1933), Kermesse funèbre (id.), Time in the Sun (1939). De retour en URSS, le célèbre cinéaste se heurte à des difficultés d'un autre ordre. Durant son absence, le climat politique a évolué, s'est durci, et, en matière artistique, le gouvernement exerce un contrôle de plus en plus rigoureux. Eisenstein laissera inachevé le Pré de Béjine. Le cinéma soviétique des années 30 entend rester fidèle à son idéal révolutionnaire. Mais certaines incartades idéologiques ou même formelles ne passent plus le cap de la censure. L'heure du « héros positif » a sonné (notamment à la suite du succès du film des « frères » Gueorgui et Sergueï Vassiliev* : Tchapaiev, en 1934). Lénine se voit glorifié dans plusieurs films (dont certains — ceux de Mikhaïl Romm et de Dziga Vertov — sont de qualité). Le mode épique inspire encore de nombreux réalisateurs, mais on note aussi l'éclosion d'un cinéma plus intimiste qui révèle des tempéraments délicats comme celui de Boris Barnet*, auteur notamment de Okraina (1933) et Au bord de la mer bleue (1935) ; Grigori Aleksandrov remporte un triomphe avec sa comédie musicale les Joyeux Garçons. On entreprend des fresques sociales (la trilogie des Maxime [1935-1938] de Kozintsev et Trauberg ; plus tard, la trilogie que Mark Donskoï consacrera aux jeunes années de Gorki [1938-1940]). La vitalité du cinéma soviétique est grande. Aux noms des réalisateurs précédemment cités, il convient d'ajouter ceux de Nikolaï Ekk*, Ilya Trauberg, Efim Dzigan*, Lev Arnchtam*, Mikhaïl Kalatozov*, Iossif Kheifits*, Nikolaï Chenguelaïa*, Grigori Rochal*, Aleksandr Faintsimmer*, Mikhaïl Tchiaoureli*, Aleksandr Ptouchko*, Fridrikh Ermler*, Amo Bek-Nazarov*, Leonid Loukov*, Vladimir Korch-Sabline*, Vladimir Petrov*, Vladimir Legochine*, Igor Savtchenko*.
Le temps du réalisme socialiste.
L'âge d'or du cinéma soviétique s'achève avec Alexandre Nevski (1938) d'Eisenstein et Chtchors (1939) de Dovjenko. Quand la Seconde Guerre mondiale éclate, l'industrie cinématographique soviétique oriente sa production vers le documentaire d'actualités et invite les metteurs en scène à réaliser des films de propagande patriotique. Les studios qui se trouvent dans les zones de combat ferment leurs portes et certains films sont désormais entrepris en Asie centrale, notamment à Alma-Ata. C'est le cas du monumental Ivan le Terrible d'Eisenstein. Le film sera achevé en 1947 à Moscou. Cependant, la seconde partie du film se verra condamnée par Staline, qui estimait que le réalisateur avait méconnu le caractère progressiste de l'opritchnina (mise en place par le tsar). Eisenstein, qui avait projeté d'entreprendre une troisième partie en couleurs, sera contraint d'abandonner son scénario à l'état de projet. Il mourra en 1948. De 1946 à 1951, le nombre des films entrepris en URSS ne cesse de baisser. Le jdanovisme paralyse toute initiative personnelle, obligeant les cinéastes agréés à ne tourner que des scénarios officiellement approuvés par la censure. Le rejet de toute nuance, l'absence de toute critique objective soumettent la réalité historique comme la réalité quotidienne au manichéisme le plus primaire. Les sujets qui trouvent grâce devant le rigorisme sourcilleux des autorités sont très limités : évocation des hauts faits militaires, biographies des grands hommes du régime socialiste et — surtout dans les années 50 — adaptations des chefs-d'œuvre littéraires du patrimoine national. Les grandes figures du cinéma soviétique disparaissent : après Eisenstein, Poudovkine en 1953 et Dovjenko en 1956.
Dans cette période de réalisme* socialiste strict, les cinéastes qui parviennent à sauvegarder leur talent sont très rares (Mark Donskoï, Romm, Kheifits).
Une nouvelle génération de cinéastes.
Quelques années après la mort de Staline, le dégel apparaît et le cinéma soviétique semble sortir d'une longue léthargie. La production augmente régulièrement de 1954 à 1961 (elle se stabilisera autour de 120 à 130 films par an). Parallèlement, la décentralisation s'accélère, permettant le développement de l'industrie cinématographique dans toutes les républiques fédérées. L'ostracisme à l'égard des jeunes cinéastes est levé et une nouvelle génération prend la relève : Grigori Tchoukhraï* (le Quarante et Unième, 1956), Sergueï Bondartchouk* (le Destin d'un homme, 1959), Aleksandr Alov et Vladimir Naoumov*, Lev Koulidjanov*, Vladimir Bassov, Vassili Ordynski, Marlen Khoutsiev, Gueorgui Danelia, Igor Talankine, Mikhaïl Kalik. Mais on note également le retour de plusieurs metteurs en scène plus âgés : G. Kozintsev (Don Quichotte, 1957), M. Kalatozov (Quand passent les cigognes, id.), M. Donskoï (Au prix de sa vie [ou le Cheval qui pleure, id.] ; Thomas Gordeïev, 1959), S. Youtkevitch (Récits sur Lénine, 1958 ; les Bains, 1962), I. Kheifits (la Dame au petit chien, 1960), Youli Raizman (Et si c'était l'amour ?, 1961), Mikhaïl Romm (Neuf Jours d'une année, id). Ce nouveau réalisme met essentiellement l'accent sur la réhabilitation de l'individu, le refus des schématismes idéologiques, la description de la vie quotidienne avec ses émotions, ses difficultés, ses problèmes sociaux et psychologiques.