ITALIE. (suite)
Le rayonnement du cinéma italien.
Le climat des années 50 (aux lignes stylistiques moins nettes que celles de la période précédente) est favorable à des tentatives diverses et à l'éclosion de talents dont l'originalité ne tarde pas à s'épanouir. C'est en effet dans ces années que font leurs débuts et que s'affirment les deux cinéastes qui ont le plus marqué leur époque, Michelangelo Antonioni (Chronique d'un amour, 1950 ; I vinti, 1952 ; la Dame sans camélias, 1953 ; Femmes entre elles, 1955 ; le Cri, 1957) et Federico Fellini (les Feux du music-hall, CO Lattuada, 1950 ; Courrier du cœur, 1952 ; les Vitelloni, 1953 ; La strada, 1954 ; Il bidone, 1955 ; les Nuits de Cabiria, 1957). Ainsi, dans une période caractérisée aussi par la puissance industrielle (environ 150 films par an), cohabitent les tendances et les genres dans une exubérance expressive qui confirme la richesse du cinéma italien.
Autour de 1960 se situe une nouvelle charnière, sans doute, en prenant du recul, au moins aussi importante que celle de 1945. Dans une sorte d'euphorie créatrice, des cinéastes confirmés donnent leurs œuvres les plus significatives tandis qu'une nouvelle génération de metteurs en scène révèle la continuité de l'engagement social et politique du cinéma italien. Ainsi, en quelques années, sortent sur les écrans des films aussi importants que le Général Della Rovere (1959) et les Évadés de la nuit (1960) de Rossellini, La dolce vita (1960) et Huit et demi (1963) de Fellini, L'avventura (1960), la Nuit (1961), l'Éclipse (1962) d'Antonioni, Rocco et ses frères (1960) et le Guépard (1963) de Visconti, les Garçons (1959) et Quand la chair succombe (1962) de Bolognini*, la Fille à la valise (1961) et Journal intime (1962) de Zurlini*, La ragazza (1963) de Comencini. Dans le registre de la comédie s'affirme définitivement un ton à mi-chemin entre la gravité et l'humour avec des films comme la Grande Guerre (Monicelli, 1959), la Grande Pagaille (Comencini, 1960), Une vie difficile (Risi, 1961), À cheval sur le tigre (Comencini, id.), le Fanfaron (Risi, 1962), la Marche sur Rome (id., id.), Mafioso (Lattuada, id.), les Camarades (Monicelli, 1963). Ces années voient aussi les débuts de Francesco Rosi* (le Défi, 1958 ; Salvatore Giuliano, 1962), Ermanno Olmi* (Le temps s'est arrêté, 1960 ; Il posto, 1961), Elio Petri* (L'assassino, id. ; I giorni contati, 1962), Pier Paolo Pasolini* (Accatone, 1961 ; Mamma Roma, 1962), Bernardo Bertolucci* (La commare secca, id. ; Prima della rivoluzione, 1964), Paolo et Vittorio Taviani* (Un homme à brûler, 1963), Marco Ferreri* (après 3 films en Espagne, il tourne en Italie le Lit conjugal, 1963). Si on ajoute à cette liste Ettore Scola*, qui fait ses débuts en 1964 (Parlons femmes), et Marco Bellocchio*, dont les Poings dans les poches datent de 1966, on a un panorama quasi complet du cinéma italien contemporain.
Soutenu par une infrastructure industrielle puissante (plus de 200 films par an jusqu'en 1976), le cinéma italien connaît jusque vers la fin des années 70 une période de rayonnement culturel intense : l'Affaire Mattei de Francesco Rosi et La classe ouvrière va au paradis d'Elio Petri en 1972, Padre padrone de Paolo et Vittorio Taviani en 1977, l'Arbre aux sabots d'Ermanno Olmi en 1978 obtiennent la palme d'or au festival de Cannes ; Ettore Scola la manque de peu avec Une journée particulière en 1977. Étroitement mêlé à la vie du pays, le cinéma donne de l'Italie une image sans complaisance et participe à l'effort des milieux intellectuels et artistiques pour tenter de cerner les contradictions d'une société en crise.
Un cinéma en crise.
Avec les années 80 commence une période d'incertitude stylistique et de difficulté productive. Le vieillissement ou la mort de nombreux cinéastes et le manque de renouvellement créatif (un seul début vraiment prometteur, celui de Nanni Moretti en 1976) conduisent le cinéma italien dans une impasse grandissante. Des lois d'aide inadaptées ne favorisent pas les projets de qualité, l'omniprésence des télévisions publiques (les trois chaînes de la Rai) et privées (les trois chaînes du groupe Fininvest de Silvio Berlusconi) entraîne la baisse de la fréquentation en salles, la concurrence du cinéma américain détourne peu à peu le public des films italiens (les films en provenance des États-Unis monopolisent 70 %, puis, au cours de ces dernières années, 80 % du marché). La perte des débouchés étrangers — on voit en France de moins en moins de films italiens et ceux-ci occupent une part de marché négligeable — accroît encore le déficit économique. De nombreux jeunes cinéastes tournent des premiers films sans intérêt ou dont les qualités ne se retrouvent pas dans les films suivants. Rares sont les auteurs qui surnagent ou qui supportent la comparaison avec leurs aînés, aussi bien dans le domaine des œuvres dramatiques que dans celui de la comédie ou du film de genre. Ainsi, paradoxalement, le cinéma italien vit un peu sur la réputation des anciens (Fellini, Monicelli, Comencini, Scola, les frères Taviani, Olmi, Rosi, Ferreri, Avati, Bellocchio et, même, Bertolucci, qui travaille surtout à l'étranger). Seul de la nouvelle génération, Moretti connaît un succès grandissant (La messe est finie, 1985 ; Palombella rossa, 1989 ; Journal intime, 1993 ; Aprile, 1998 ; la Chambre du fils, 2001).
Dans un bilan globalement négatif — lorsque meurt Fellini, en 1993, les médias donnent l'impression d'enterrer l'ensemble du cinéma italien —, il faut introduire des nuances et souligner que depuis le début des années 90 la situation s'est stabilisée et que des signes de reprise se sont manifestés. La production s'est stabilisée à environ une centaine de films par an. La télévision, qui finance une bonne partie du cinéma, exerce un pouvoir moins normatif et moins bureaucratique. L'hémorragie de spectateurs dans les salles est jugulée. De nouveaux auteurs de comédies (Maurizio Nichetti, Roberto Benigni, Francesco Nuti, Carlo Verdone, Alessandro Benvenuti, Massimo Troisi — hélas décédé en 1994 et qui connaîtra un énorme succès postume avec le Facteur) ont revivifié un genre en le conduisant moins vers l'observation des phénomènes de société ou vers la critique de mœurs que vers une analyse des comportements individuels. Des cinéastes retrouvent le goût de parler de l'Italie contemporaine (Mario Brenta, Salvatore Piscicelli, Marco Risi, Ricky Tognazzi, Giuseppe Bertolucci, Gianni Amelio, Marco Tullio Giordana, Luigi Faccini, Luciano Manuzzi) ; une nouvelle génération de réalisateurs (Daniele Luchetti, Carlo Mazzacurati, Silvio Soldini, Felice Farina, Giacomo Campiotti, Maurizio Zaccaro, Alessandro D'Alatri, Cristina Comencini, Francesca Archibugi, Giuseppe Piccioni, Mario Martone, Mimmo Calopresti) explore de nouvelles voies. Giuseppe Tornatore (Cinéma Paradiso) et Gabriele Salvatores (Mediterraneo) ont obtenu l'Oscar du meilleur film étranger en 1990 et 1992. En 1998 Roberto Benigni remporte le prix spécial du jury à Cannes pour La vie est belle, film qui triomphe en Italie et dans le monde entier. Giani Amelio obtient le Lion d'or à Venise en 1998 avec Mon frère. Ainsi, dans un panorama qui s'est fortement enrichi au cours de ces dernières années, le cinéma italien d'aujourd'hui n'apparaît plus comme un secteur sinistré mais, au contraire, comme un lieu créatif en plein renouveau. La situation générale évolue de façon prometteuse, comme en témoigne le succès remporté par la Chambre du fils (N. Moretti, 2001) qui a remporté la Palme d'or à Cannes en 2001.