ÉTATS-UNIS. (suite)
Le parlant.
Cet art qui avait atteint, dans le raffinement du jeu des acteurs, dans la splendeur des décors, dans la délicatesse de la photographie, dans la maîtrise enfin de son tempo, une manière de perfection est frappé à mort par l'invention du sonore puis du parlant (le rôle déterminant étant joué par le procédé Vitaphone* de la Warner*). S'il convient de corriger bien des légendes sur l'absence de mouvements de caméra dans les premiers films parlants, s'il n'est pas évident qu'avec son caractère « muet » le cinéma ait perdu une sorte de pureté intrinsèquement supérieure, il n'en reste pas moins que l'irruption du parlant constitua un bouleversement au moins à deux titres. D'abord, elle mit fin, plus ou moins brutalement, à bien des carrières de réalisateurs et d'interprètes. Elle confirma le déclin de Griffith, signifia la ruine de John Gilbert* dont la voix, disait-on, était trop aiguë (la réalité, liée à des enjeux de pouvoir, était bien plus complexe). En compensation, on fit appel à de nouveaux metteurs en scène venus du théâtre et donc habitués à diriger des dialogues (Cukor*).
D'autre part – bouleversement plus profond peut-être –, les genres qui avaient dominé le muet, c'est-à-dire le mélodrame et le burlesque, parurent soudain frappés d'archaïsme, et furent (au moins provisoirement) éclipsés par des films d'action au rythme très enlevé, comme les films de gangsters, ou par des comédies où régnait abusivement la parole. Il ne paraît guère contestable que les burlesques les plus représentatifs des années 30 – les frères Marx* – exprimèrent un comique non seulement moins « pur », mais aussi moins drôle, que leurs prédécesseurs ; de même W. C. Fields* – quel que soit son talent – ne réussit jamais (contrairement à Chaplin) à adapter un comique d'essence scénique aux exigences spécifiques de l'écran.
Le parlant privilégia, comme il était normal, les rapports entre Broadway et Hollywood*, entre la scène et l'écran. La naissance de la comédie musicale en est une illustration, encore que très vite Busby Berkeley*, Fred Astaire* et Ginger Rogers* se soient écartés avec bonheur des schémas spécifiquement scéniques et inventèrent, soit sur le mode spectaculaire, soit sur le mode intime, des formes inconcevables ailleurs qu'au cinéma. Il en va de même pour la comédie : si l'on compte de véritables « adaptations » de succès de Broadway (par exemple les Invités de huit heures de Cukor, 1933), en revanche les scripts et les dialogues de Lubitsch modifient de multiples manières les originaux qui figurent au générique, et dans le cas de la comédie loufoque (Capra*, McCarey*, La Cava*) une large place est laissée à l'improvisation.
La variété et la richesse du cinéma américain des années 30 doivent assurément quelque chose à la Dépression. Le paradoxe n'est qu'apparent : des millions de chômeurs disposent par définition de loisirs, et de ressources suffisantes pour des passe-temps peu onéreux, si bien que l'industrie hollywoodienne est alors prospère et réagit à la crise soit en donnant des images dramatiques (le film social) ou satiriques (la comédie loufoque), soit (le plus souvent) en offrant des images consolantes d'évasion dans des temps meilleurs.
La machine à rêves hollywoodienne.
C'est alors l'apogée des studios hollywoodiens, dont le principal est la MGM*, qui a sous contrat, par centaines, acteurs et actrices, mais aussi réalisateurs, scénaristes, techniciens de tous ordres. C'est également l'apogée du système des stars (star system) dont les plus importantes sont Greta Garbo*, Joan Crawford*, Marlene Dietrich*, Jean Harlow*, Carole Lombard*, Katharine Hepburn*, Jean Arthur*, Anna Sten*, Norma Shearer*... et, du côté masculin, Clark Gable*, Gary Cooper*, Spencer Tracy*, Fred MacMurray*, Fredric March*, Melvyn Douglas*, Charles Boyer*, Cary Grant*... Chacune de ces figures a son style propre, dans son apparence physique d'abord (à laquelle contribuent maquillage, costumes, photographie), ensuite dans sa manière d'être et de se prêter de préférence au mélodrame, à la comédie sophistiquée, à l'aventure...
Hollywood justifie alors dans une large mesure l'appellation d'« usine à rêves » : la quantité de la production impose une manière de taylorisation, c'est-à-dire une distribution précise des tâches, en même temps que de standardisation à partir de quelques modèles définis. C'est donc aussi – stylistiquement et thématiquement – l'apogée du système des genres. La comédie musicale, dont le développement est lié à la naissance même du parlant, est illustrée en particulier par la Warner (où Busby Berkeley est l'auteur de chorégraphies kaléidoscopiques qui se caractérisent par leur fond unanimiste), la RKO (où se distingue au contraire l'intimisme sophistiqué d'Astaire et Rogers) et par la MGM (avec plus de moyens que de style ou d'imagination véritables). La comédie a une gamme fort étendue, du burlesque des frères Marx aux comédies sophistiquées de Lubitsch et de Cukor en passant par la comédie loufoque où excellent Capra, McCarey, La Cava, Leisen*. Le mélodrame brille de feux encore vifs avec Borzage* ou John M. Stahl* (ce dernier chez Universal*). La Warner se fait une spécialité du film social et du film de gangsters que réalisent Mervyn LeRoy ou William Wellman* et qu'interprètent Paul Muni*, James Cagney*, Humphrey Bogart*... Inversement la Paramount* s'illustre dans le film historique à grand spectacle (Cecil B. De Mille) et dans les drames exotiques de Sternberg avec Marlene Dietrich. L'aventure est représentée de multiples façons, par le western, par le film de cape et d'épée (où se distinguent le réalisateur Curtiz*, l'interprète Errol Flynn*), par le film impérial ou colonial, par de véritables sous-genres comme celui des œuvres consacrées à Tarzan. Universal se fait un nom grâce au film d'épouvante, dont l'atmosphère et le style sont très germaniques (Frankenstein, J. Whale*, 1931 ; Dracula, T. Browning*, id.). Au contraire, le genre « Americana » – chronique nostalgique, rurale ou provinciale – a les faveurs de réalisateurs comme John Ford*, Henry King, King Vidor.