Dictionnaire du Cinéma 2001Éd. 2001
G

GRÈCE. (suite)

Entre-temps, la télévision connaît un essor fulgurant, et les salles obscures vivent le début d'une crise fatale. La fréquentation passe de 137 millions de spectateurs en 1968 à 39 millions en 1977 et à moins de 10 millions en 1995, soit une baisse globale de plus de 90 %. C'est donc bien un paysage de crise que le cinéma grec offre depuis vingt ans. Le cinéma commercial est mort et l'État, par l'intermédiaire du Centre du cinéma grec, prend la relève en 1980 pour soutenir financièrement la production nationale sinistrée ; les conditions économiques sont dramatiques pour les rares producteurs et les nombreux auteurs, et le lien est coupé avec le public, qui ne se déplace massivement que pour les films américains. Pourtant, à part Angelopoulos, qui, du Voyage des comédiens (1975) à l'Éternité et un jour (Palme d'or à Cannes en 1998, poursuit, en solitaire et grâce aux coproductions internationales, une œuvre créatrice sans équivalent, des auteurs comme Nicos Panayotopoulos (les Fainéants de la vallée fertile / I tebelides tis eforis kiladas, 1978), Nico Papatakis (la Photo, 1986), Pandelis Voulgaris (Happy Day, 1976), Costas Feris (Rebetiko, 1983), Tonia Marketaki (le Prix de l'amour / I timi tis agapis, 1984), Yorgos Panoussopoulos (Lune de miel / Taxidi tou melitos, 1979), Stavros Tsiolis (Une aussi longue absence / Mia tosso makrini apoussia, 1985), Stavros Tornès (Balamos, 1982, Karkalou, 1984) et d'autres ont réussi à affirmer un pluralisme aussi bien thématique qu'esthétique.

Recroquevillé sur le passé, le politique et le social, lieu de réflexion expressive et idéologique sur la représentation de l'histoire ou la mémoire de la tradition, regard cinéphilique, approche réaliste ou révélation politique, le Nouveau Cinéma grec qui compte, dans les années 70 et 80, est un cinéma éclaté, polymorphe. Il donne l'impression d'un mouvement qui se cherche à travers de multiples expériences et qui finit parfois par trouver une voie originale ou une vision de la Grèce propre à son auteur, sans pour autant renoncer à l'affirmation d'une identité culturelle. Ainsi peut-on parler de la Grèce d'Angelopoulos, de Damianos ou de Tornès.

À la fin des années 80 et au début des années 90, le cinéma grec, gagné par l'essouflement européen dû à la crise, atteint le creux de la vague (le seuil critique des 7 films est franchi en 1992.) Par opposition, la télévision privée affiche une domination de plus en plus arrogante.

Néanmoins, la production parvient, tant bien que mal, à se maintenir en vie. Grâce à l'obstination des auteurs et au soutien du Centre du cinéma, elle remonte progressivement la pente. Les réalisateurs fétiches du Nouveau Cinéma grec, comme Nicos Panayotopoulos, Pandelis Voulgaris, Frieda Liappa, Tonia Marketaki, Nicos Nikolaïdis, continuent de tourner avec plus ou moins de bonheur, d'autres font leur apparition et créent la surprise comme Panos Karkanevatos (Ligne de démarcation/ Metechmio, 1993), Sotiris Goritsas (Venus de la neige/ Apto hioni, 1993), Periclès Hoursoglou (Lefteris, 1993), Dimitris Yatzoudakis (Noli me tangere/Mi mou aptou, 1996) ou Constantin Giannaris (Au bout de la ville/Aptin akri tis polis, 1998). Force est de constater, à l'aube du XXIè siècle, l'émergence d'une nouvelle génération de cinéastes moins coincée dans une problématique du passé, moins introvertie, plus en phase avec une réalité nouvelle (et les images qu'elle véhicule dans les médias), plus disposée surtout à répondre à l'attente d'un public radicalement nouveau, lui aussi.

L'hémorragie de spectateurs dans les salles est jugulée. Les films d'Antonis Kokkinos (Fin d'époque/ Telos epochis, 1994), d'Olga Malea (l'Orgasme de la vache/ O orgasmos tis agelados, 1996 et le Charme discret des mâles/ I diakritiki goïtia ton arsenikon, 1998) ou de Costas Kapakas (Peppermint, 1999) parviennent à passer la barrière et même à grimper au box office. En définitive, le bilan de cette fin de siècle, plus que contrasté, reflète une revitalisation bienvenue. D'un côté, une comédie racoleuse, à l'esthétique télé (Safe Sex, Thanassis Papathanassiou, Michalis Reppas, 1999) bat tous les records de recette (près de 2 millions de spectateurs), de l'autre, l'admirable poème de Dimos Avdéliodis la Convocation printanière des garde champêtres (I earini sinaxi ton agrofilakon, 1999) ou le magnifique documentaire élégiaque de Philippas Koutsaftis sur la décadence de la ville d'Eleusis, Pierre triste (Agelastos Petra, 2000) tiennent l'affiche pendant plusieurs mois à Athènes. Sans oublier le dernier opus de Théo Angelopoulos, l'Éternité et un jour/ Mia aioniotita kai mia mera) qui obtient la Palme d'or à Cannes en 1998.

GRECO (Emidio)

cinéaste italien (Leporano, prov. de Tarante 1938).

Diplômé du Centro Sperimentale de Rome en 1966, Emidio Greco tourne en 1971 au Chili un remarquable documentaire, Venceremos y vencimos. Il réalise pour la RAI des programmes culturels et des enquêtes avant de mettre en scène son premier film en 1974, L'invenzione di Morel d'après le roman de Bioy Casares. Cette œuvre de science fiction interprétée par Giulio Brogi et Anna Karina est présentée avec succès à la Quinzaine des réalisateurs du festival de Cannes. Sans interrompre son activité de documentariste et d'essayiste pour la télévision italienne et pour la télévision de la Suisse romande, Greco tourne ensuite Ehrengard (1982), adaptation très soignée d'un roman de Karen Blixen avec Jean-Pierre Cassel et Audrey Matson ; Un caso d'inconscienza (1984) avec Erland Josephson et Rudiger Vogler ; Una storia simplice (1991) dans lequel il met en scène, d'après le livre homonyme de Leonardo Sciascia, une histoire de meurtre mafieux qui offre à Gian Maria Volontè son dernier grand rôle et Milonga (1998), film policier insolite dans lequel un commissaire de police homosexuel interprété par Giancarlo Giannini résout grâce à sa mémoire musicale – une milonga de Luis Bacalov – et à son intuition une enquête embrouillée. Cinéaste raffiné, brillant directeur d'acteurs, Emidio Greco réalise des œuvres où il met son inspiration littéraire et ses réminiscences artistiques au service de récits mystérieux.