REISZ (Karel) (suite)
Son premier long métrage, Samedi soir et dimanche matin (Saturday Night and Sunday Morning, 1960), poursuit les recherches entreprises dans ses essais documentaires au service d'une œuvre de fiction écrite par Allan Sillitoe d'après son propre roman. Portrait d'un ouvrier révolté et frustré qui se réfugie dans le sexe et l'alcool, le film impose son auteur et un jeune comédien, Albert Finney. La mise en lumière des conflits entre les pulsions d'un individu et les contraintes de la société, présente dès Samedi soir et dimanche matin (et qui n'est pas sans rappeler certains travaux de Kazan avec des comédiens comme Brando et Dean), sera la préoccupation centrale des films ultérieurs de Reisz.
Certains lui ont reproché d'avoir ensuite abandonné son style réaliste et la rigueur de sa dénonciation sociale. C'est refuser de reconnaître l'évolution légitime de tout artiste et l'ouverture d'esprit d'un cinéaste qui, dès le programme-manifeste du Free Cinema en 1956, déclarait : « Nous n'avons pas à nous plier à la convention des attitudes de classe. » C'est oublier aussi les élans romantiques présents dès sa première œuvre, tempérés toutefois par un regard sceptique comme il sied à un créateur originaire d'Europe centrale. Il est vrai, pour mieux comprendre ses détracteurs, que son second film, la Force des ténèbres (Night Must Fall, 1964), interprété de nouveau par Albert Finney et remake d'un film de Richard Thorpe avec Robert Montgomery (1937), ne convainc pas totalement dans son traitement d'un tueur psychopathe. Mais Morgan (Morgan, a Suitable Case for Treatment, 1966) est une œuvre brillante, écrite par David Mercer, le portrait d'un jeune gauchiste schizophrène, joué par David Warner, où le cinéaste se livre à une satire débridée qui annonce les mouvements politiques de 1968. Les thèmes de la rébellion et ceux de la frontière entre folie et rationalité, incarnés dans des personnages d'outsiders, se retrouvent encore dans Isadora (id., 1968), film mutilé de près de 45 minutes et remonté par ses distributeurs, mais d'une beauté lyrique où se retrouve exalté le tempérament libre et impétueux de la grande danseuse, magistralement incarnée par Vanessa Redgrave.
Après six ans d'inactivité, Reisz, devant la crise du cinéma anglais, va tourner deux films aux États-Unis, où il n'abdique rien de ses exigences. Dans le Flambeur (The Gambler, 1974), portrait d'un joueur new-yorkais (écrit par James Torbach d'après des expériences personnelles), professeur d'université à qui son vice fait toucher le fond de la déchéance, et les Guerriers de l'enfer (Who'll Stop the Rain ou Dog Soldiers, 1978), l'un des meilleurs films consacrés au retour du Viêt-nam, on retrouve le goût de Reisz pour les êtres passionnés qu'anime une fièvre autodestructrice. Ce théoricien du montage privilégie pourtant, curieusement, la direction d'acteurs (toujours remarquable) et le sens de l'espace plutôt que la fragmentation des plans. Dans la Maîtresse du lieutenant français (The French Lieutenant's Woman, 1981, avec Meryl Streep et Jeremy Irons), toutefois, il fait preuve d'une grande virtuosité en alternant les scènes d'un film d'époque, histoire d'un amour impossible à l'ère victorienne, et, au présent, la vie sentimentale de ses interprètes. Le scénario d'Harold Pinter, d'après le roman de John Fowles, avec son sens de l'économie et de la litote, permit à Karel Reisz d'offrir, une fois de plus, cette alliance d'une intelligence critique et d'une sensibilité frémissante qui le caractérise. En 1985, il tourne Sweet Dreams, curieuse et pudique biographie d'une vedette de la country-music et en 1989 Chacun sa chance (Everybody Wins) écrit par Arthur Miller qui trouve son originalité non par le sujet lui-même (une enquête sur un meurtre) mais plutôt par le portrait d'une jeune femme (Debra Winger) qui échappe à tout stéréotype. Sa filmographie, peu abondante et en apparence éclectique, révèle en fait un artiste cohérent, d'une grande exigence formelle, soucieux de se renouveler et probablement, avec le recul, la figure la plus marquante du Free Cinema. ▲