URSS. (suite)
L'éclatement des vieilles structures et l'incertitude politique du pays ont déclenché chez les cinéastes un choc psychologique certain. Le marché soviétique a été envahi par les produits étrangers, surtout américains, et les réalisateurs les moins « personnels » se sont engouffrés dans la brèche du cinéma commercial. Les vrais créateurs à la recherche d'un financement et aussi d'un public restent dans l'expectative.
Depuis le démembrement de l'URSS (décembre 1991), chaque république, indépendante (comme chacun des trois pays Baltes) ou restée dans le cadre de la CEI, gère ses affaires de manière autonome par l'intermédiaire d'un secteur d'État coexistant avec un nombre plus ou moins grand de sociétés privées.
Au milieu des années 90, la situation paraît stabilisée sur la base d'un libéralisme sauvage où ce qui reste d'État tente difficilement d'instaurer une certaine réglementation. Ayant compris que la plupart des cinémas nationaux étaient condamnés à l'extinction sans leur aide financière, les gouvernements ont maintenu les subventions officielles, mais dans une moindre proportion du fait de la crise économique. Après l'impressionnante flambée (près de 400 films en 1989) due aux investissements massifs d'origine suspecte, la production globale est revenue à un niveau voisin de celui d'avant la dislocation de l'URSS : 180 films environ en 1992, dont 80 pour la seule Russie (une cinquantaine étant subventionnée sous forme de commandes officielles). Ces films sont condamnés le plus souvent à rester dans les boîtes du fait de la monopolisation des écrans par des films américains de médiocre qualité.
Malgré le soutien de l'État et malgré les initiatives du secteur privé, il apparaît que le cinéma russe n'a pu pratiquement survivre que grâce aux coproductions avec la France, par l'intermédiaire du fonds ÉCO du CNC : une vingtaine de films (qui se sont révélés les meilleurs) ont été ainsi subventionnés en cinq ans. Conséquence ou coïncidence, on a souvent pu constater une perte d'identité culturelle et de niveau artistique, sauf exceptions notoires de la part d'auteurs rebelles à tout compromis thématique ou esthétique.
Russie.
Sa production reste la première, en quantité comme en qualité. Elle pâtit pourtant de l'inactivité prolongée de Gleb Panfilov et de Elem Klimov, et du très long soin apporté par Alekseï Guerman à la finition du film sur lequel il travaillait depuis des années : Khroustaliov, ma voiture ! À l'issue de sa carrière américaine, Andreï Mikhalkov-Kontchalovski reprend contact avec sa patrie pour le Cercle des intimes et Riaba ma poule, cependant que son frère, Nikita Mikhalkov, après un détour par la Mongolie (Urga), revient à des préoccupations proprement russes, historiques (Soleil trompeur) ou familiales (Anna). Aleksandr Sokourov poursuit sa carrière dans l'ésotérisme : le Deuxième Cercle, la Pierre et surtout Pages cachées sont de nouveau des plongées dans un univers fantasmatique nourri de littérature classique. Kira Mouratova n'a pas renouvelé son coup d'éclat du Syndrome asthénique avec le Milicien amoureux et Petites Passions, mais l'originalité provocante de sa démarche continue à susciter la polémique. Avec Sokourov, font également partie de cette « école de Leningrad » Konstantin Lopouchanski (Symphonie russe / Russkaja sinfonija, 1994) et Sergueï Ovtcharov (la Grande Tambouriade / Barabaniada, 1993), qui persévèrent dans la veine d'une inspiration pessimiste, tempérée par l'humour noir. La plupart des cinéastes se livrent ainsi à de sévères remises en question d'un passé honni et d'un présent inquiétant et instable.
Parmi les réalisateurs qui, au prix de mille difficultés et malgré les aléas de la distribution, ont néanmoins réussi à tourner des œuvres intéressantes, on peut citer : Eldar Riazanov (le Paradis promis [Nebesa Obetovannye], 1991), Sergueï Soloviev (la Maison sous le ciel étoilé [Dom pod zvrezdnym nebom], 1991; les Trois Sœurs [Tri sestry], 1994), Semion Aronovich (l'Année du chien [God sobaki], 1993), Karen Chakhnazarov (l'Assassin du tsar [Careubijca], 1991 ; les Rêves [Sny, CO A. Borodjanski], 1993 ; la Fille américaine [Amerikanskaja doč'], 1995), Boris Froumine (Noir et Blanc [Černoe ; beloe], 1991; Viva Castro [id.], 1993), Alekseï Balabanov (les Jours heureux [Sčastlivye dni], 1991; le Château [Zamok], 1994), Nikolaï Dostal (Nuage-Paradis [Oblako-raj], 1991), Youri Mamine (Salades russes [Okno v Pariž], 1993), Viatcheslav Krichtofovitch (la Côte d'Adam [Rebro Adama], 1990), Vladimir Khotinenko (Makarov [id.], 1993 ; le Musulman [Musul'manin], 1995), Oleg Kovalov (les Jardins du scorpion [Sady skorpiona], 1991; l'Île des morts [Ostrov mertryh], 1992), Ivan Dykhovichny (Moscou - Parade [Prorva], 1992 ; Musique pour décembre [Muzyka dlja dekabrja], 1995), Svetlana Proskourina (la Valse accidentelle [Slučajnyj val's], 1990 ; Reflet dans un miroir [Otraženie v zerkale], 1992), Aleksandr Prochkine (Voir Paris et mourir [Uvidet'Pariž i umeret'], 1992), Evgueni Tsymbal (Conte de la lune non éteinte [Povest' nepogašennoj luny], 1991), Aleksandr Rogochkine (Particularités d'une chasse nationale [Osobennosti nacional'noj ohoty], 1995). À ces metteurs en scène de fiction, il convient d'ajouter le nom du cinéaste d'animation Andreï Khrjanovski qui, depuis 1966, s'efforce de retisser les liens qui vont de Pouchkine, poète du XIXe s., à Dimitri Prigov, poète d'aujourd'hui, de Gogol à Brodsky, de Mandelstam à Vissotski, en passant par le peintre estonien Ulo Sooster, et qui commence seulement depuis le début des années 80 à être reconnu dans son pays et à l'étranger. Quant aux « enfants de la perestroïka » (Pitchoul, Lounguine, Kanevski, Minaiev...) ils n'ont pas été en reste dans la satire et le pamphlet ; leur verve semble pourtant s'être quelque peu appauvrie au fil des années.
Géorgie.
Cette république a traversé une période très difficile après l'élection d'un président contesté et lors de la guerre civile qui a suivi. Deux films seulement semblent devoir retenir l'attention : Valse sur la Petchora (Valsi Pečora, 1992) de Lana Gogoberidzé (sur la déportation de sa mère) et le Soleil des insomniaques (Udzinarta mse, id.) de Temour Bablouani (le triste sort d'un savant méconnu).