SCORSESE (Martin) (suite)
C'est encore entre la grâce et la damnation que se débat le Jake La Motta de The Raging Bull (1979). Ce voyage au bout de la violence illustre la parabole de l'aveugle et des Pharisiens : « Je ne suis pas cet homme-là ! » s'écrie dans sa cellule le boxeur qui n'a cessé de se punir lui-même et qui, tombé au plus bas, trouve peut-être sa rédemption... « Les personnages qui me fascinent sur un écran sont les mêmes que ceux qui me fascinent dans la réalité. Je ne fais pas de différence entre mes films documentaires et mes films de fiction. Ils posent tous la même question : comment survivre ? » Avec la Valse des pantins (The King of Comedy, 1983), il revient au monde du spectacle, mais son utilisation de Jerry Lewis à contre-emploi, dérangeante pour le public, explique l'échec commercial de son film. Même à Cannes, où il fut présenté au gala d'ouverture, il reçut un accueil mitigé, en rien justifié. Après After Hours (1985), il réalise en 1986 la Couleur de l'argent (The Color of Money), qui donne à Paul Newman l'occasion de retrouver le personnage qu'il avait interprété 25 ans auparavant dans l'Arnaqueur, de Robert Rossen.
La Dernière Tentation du Christ (The Last Temptation of Christ, 1988), adaptation du livre de l'écrivain grec Nikos Kazantzákis par Paul Schrader, soulève des polémiques religieuses (l'œuvre dont la sincérité et l'intérêt ne peuvent être mis en doute ne convainc que partiellement les thuriféraires du cinéaste). La sortie du film dans de nombreux pays se heurte à l'hostilité de plusieurs groupes catholiques intégristes (notamment en France où certains cinémas qui programment le film sont l'objet de menaces et parfois même d'attentats criminels). En 1990, on le retrouve acteur interprétant le rôle de Vincent Van Gogh dans l'un des Rêves d'Akira Kurosawa, documentariste (Made in Milan, un portrait du styliste Giorgio Armani) et surtout signataire d'un remarquable film sur la maffia, les Affranchis (Goodfellas), avec Robert De Niro. En 1991, il réalise les Nerfs à vif (Cape Fear), où l'on a vu le fruit d'une impasse dans son inspiration : dans ce remake d'un médiocre thriller de J. Lee Thompson, Scorsese gonfle ses effets et la violence au point que certains l'ont considéré comme ridicule. Cette crise est confirmée et en partie résolue par le Temps de l'innocence (The Age of Innocence, 1993), adaptation délicate d'un roman savoureusement languissant d'Edith Wharton. A priori, rien ne désignait le tempétueux Scorsese à la réalisation de cette romantique tragédie des secrets et des non-dits. Casino (1996) permet à Scorsese de retrouver ses thèmes favoris (Las Vegas, paradis de l'esbroufe, de l'argent sale est décrit avec force et cruauté) et son acteur-fétiche : Robert De Niro. Mais en 1998, Kundun (id.), biographie du dalaï-lama, surprit par sa volonté d'apaisement, tant philosophique que stylistique. Après cette parenthèse sans doute très personnelle, le retour à NewYork et à un scénario de Paul Schrader parfois proche de Taxi Driver, A tombeau ouvert (Bringing out the Dead, 1999) peut se comprendre comme la volonté de faire le point : la violence y est moins convulsive et la compassion plus perceptible, comme s'il s'agissait d'un pas vers la sagesse. ▲