BRÉSIL. (suite)
Le cinéma des années 20 et 30.
Si la cinématographie brésilienne ne disparaît pas complètement, c'est grâce à l'enthousiasme de quelques individus et à la manne des actualités, qui permettent aux premiers opérateurs professionnels (Antonio Leal*, les frères Botelho*, Júlio Ferrez*, Paolo Benedetti*, Antônio Campos*) de tenir le coup et à d'autres de se lancer à l'aventure. Même s'il s'agit toujours de plaire aux commanditaires officiels ou privés, les chasseurs d'images enregistrent quelques-uns des événements d'une époque turbulente, telle la révolte dans la marine de guerre en 1910, des manifestations mystiques ou les mouvements militaires de 1924 à 1930, ce qui a rarement été le cas dans d'autres pays d'Amérique latine. Leur idéal reste néanmoins le film de fiction et ils y reviennent dès que possible. L'Italien Gilberto Rossi* permettra ainsi à José Medina* de tourner à São Paulo quelques mélodrames urbains qui se trouvent parmi les plus réussis du muet. Le cinéma de fiction des années 20 trouve ses origines dans le théâtre, notamment celui des associations ouvrières formées par le prolétariat fraîchement immigré. Le cinéma de São Paulo, nettement plus dynamique alors que celui de la capitale, est à ses débuts un cinéma des quartiers pauvres, des faubourgs. On y crée des écoles de cinéma pour rassembler les enthousiastes... et des fonds. La recherche d'une intégration dans leur société d'adoption incite souvent les cinéastes à l'adaptation des classiques de la littérature romantique brésilienne du XIXe siècle et aux films historiques : c'est le cas surtout de Vittorio Capellaro*. Les années 20 voient encore l'éclosion de plusieurs cycles régionaux, de courte durée, témoignant de la passion suscitée par le 7e art, du nord au sud du pays. Pendant cette période de transition, où le marché cinématographique est encore en train de se structurer, on tourne à Paraíba, à Recife, à Campinas, à Curitiba, à Porto Alegre, à Pouso Alegre et même à Cataguases (Minas Gerais). Le plus long de ces cycles, à Recife, dure huit ans (1923-1931), et donne naissance à plusieurs maisons de productions rivales, qui réussissent à achever treize films de fiction : des drames urbains et des aventures rurales où les paysages et les caractéristiques du Nordeste se glissent à l'occasion. Cataguases révèle le talent de Humberto Mauro*, que le producteur Adhémar Gonzaga* et l'équipe de la revue Cinearte feront venir à Rio. Le muet brésilien culmine avec Limite (1931), le seul film de Mário Peixoto*, expression d'une cinéphilie raffinée ; Ganga Bruta (1933) de Mauro, maturation d'une personnalité qui sut résister aux sirènes du mimétisme hollywoodien.
L'invention de la chanchada.
Luiz de Barros* tourne en 1929 le premier film entièrement sonorisé : Acabaram-se os Otários. L'avènement du parlant semble permettre tous les espoirs, car on escompte que le public se tournera vers les films dont il peut comprendre les dialogues. Gonzaga fonde à Rio la Cinédia (1930), suivi deux ans plus tard par l'actrice Carmen Santos* qui fonde la Brasil Vita Films, tentatives industrielles inspirées du modèle américain. La Cinédia exploite le filon du film carnavalesque, variante de comédie musicale préfigurant la chanchada* et utilisant les vedettes du grand média de l'époque, la radio, notamment Carmen Miranda* et Oscarito*. Même lorsque la Cinédia s'aventure dans d'autres genres, comme le mélodrame (O Ébrio, Gilda de Abreu, 1946), le succès reste attaché à la chanson et à l'interprète : le populaire Vicente Celestino, dans ce cas précis. Cependant, les talkies américains, même sous-titrés, se sont imposés. Après un moment d'euphorie, la Cinédia végète, et cela malgré le début d'une timide législation protectionniste (1932). La production passe de dix-huit longs métrages en 1930 à quatre en 1941. Cette année, Moacyr Fenelon* crée une nouvelle compagnie à Rio, la Atlântida, dont le premier film, Moleque Tião (José Carlos Burle, 1943), contient des préoccupations sociales jusqu'alors absentes, à commencer par le fait que son protagoniste était un Noir, interprété par Grande Otelo*. La dépendance vis-à-vis de l'exploitation se fait néanmoins de plus en plus contraignante. Lorsque Luiz Severiano Ribeiro, propriétaire du plus important circuit de salles de la capitale, devient son principal actionnaire (1947), la Atlântida se tourne vers la production, aux moindres frais, de chanchadas destinées à remplir le quota de films brésiliens obligatoires à l'affiche (selon la législation, un long métrage par an en 1939, puis trois en 1946 ; après 1951, un film national pour huit étrangers). Ce règne de la chanchada carioca sera méprisé par la critique et la bourgeoisie, mais fort apprécié du grand public.
Une nouvelle tentative industrielle, destinée à produire un « cinéma de qualité internationale » selon les paramètres hollywoodiens, surgit à São Paulo, dont la bourgeoisie est en quête de prestige culturel et d'hégémonie idéologique : la Vera Cruz (1949) fait appel à de nombreux techniciens étrangers, sous la responsabilité d'Alberto Cavalcanti*, dont la carrière s'était jusqu'alors déroulée en France et en Grande-Bretagne. La banqueroute financière, l'échec artistique sont proportionnels aux ambitions (seul O Cangaceiro [Lima Barreto*, 1953] rapporte quelques liquidités). Ce désastre accélère la prise de conscience des causes de la stagnation et de la médiocrité de la cinématographie brésilienne : l'étouffement provoqué par un marché dominé par la production étrangère, surtout américaine, crée une véritable « situation coloniale », selon les mots du critique Paulo Emílio Salles Gomes*. Parallèlement à des revendications nationalistes, Nelson Pereira dos Santos*, Alex Viany* et Roberto Santos* proposent avec leurs thèses et leurs films une voie d'approche réaliste et de production indépendante des studios et des contraintes industrielles.
Les années 60 et le Cinema Novo.
À la faveur de l'effervescence politique et culturelle du début des années 60, une génération issue des ciné-clubs et du mouvement étudiant réussit à prendre les caméras et aboutit à un des principaux mouvements de décolonisation de la culture brésilienne : le Cinema Novo. Ruy Guerra*, Glauber Rocha*, Joaquim Pedro de Andrade*, Carlos Diegues*, Leon Hirszman*, Paulo César Saraceni*, Arnaldo Jabor*, Walter Lima Jr.*, Luiz Sergio Person*, Gustavo Dahl*, David E. Neves, de même que les documentaristes Maurice Capovilla*, Geraldo Sarno*, Vladimir de Carvalho*, Jorge Bodanzky*, Eduardo Coutinho*, ouvrent des horizons nouveaux, placent leurs œuvres au centre du débat national et influencent d'autres cinémas émergeant dans le tiers monde. Arrivé à maturation avant le coup d'État militaire de 1964, le Cinema Novo participe à la résistance intellectuelle à la dictature et s'épanouit les années suivantes. Il éclate et se disperse après 1969, lorsque la répression atteint son paroxysme. L'exil, l'inaction, voire l'autocensure s'imposeront pendant un moment. La génération suivante (Rogério Sganzerla*, Júlio Bressane*, Andrea Tonacci*, Carlos Reichenbach) pratique plutôt la marginalisation, l'expérimentation sans concession, créant un underground (dérisoirement appelé udigrudi) volontiers iconoclaste à l'encontre du Cinema Novo, accusé d'académisme et de capitulation. Entre-temps, les exploitants trouvent un nouveau filon dans la pornochanchada, comédie érotique étroitement surveillée par la censure. Elle profite de l'élargissement du marché des films brésiliens (on a instauré en 1959 une réserve de marché obligatoire avec 42 jours par an destinés au cinéma national ; puis 56 jours en 1963 ; 112 jours ramenés à 98 en 1970 à la suite de la réaction des exploitants, 84 jours en 1972, 112 en 1975, 133 en 1978 et 140 en 1979) et partage souvent les sommets du box-office avec les comédies de Mazzaropi* ou des comiques en provenance de la toute-puissante télévision. L'entreprise mixte Embrafilme (créée en 1969) devient assez active pendant la gestion du cinéaste Roberto Farias (1974-1979) : elle distribue les films brésiliens et participe au financement d'un grand nombre d'entre eux, tout en contribuant à une certaine concentration de la production. Pendant les années 70, la production annuelle atteint une centaine de longs métrages, chiffre record pour l'Amérique latine. À côté des vieux routiers et des anciens du Cinema Novo, qui poursuivent leur carrière, le climat de liberté retrouvée à la fin de la décennie a permis à quelques jeunes cinéastes d'exprimer leurs inquiétudes avec talent. Dona Flor et ses deux maris (Dona Flor e seus dois maridos, Bruno Barreto*, 1976), produit par Luiz Carlos Barreto*, est un immense succès. Pixote (Héctor Babenco*, 1981) est exporté vers un nombre important de pays et ouvre les portes des États-Unis à son metteur en scène. Le classicisme désormais en vogue est partagé par d'autres réalisateurs débutants pendant cette période, comme Eduardo Escorel (Lição de amor, 1975), Tizuka Yamasaki (Gaijin, 1980), Murilo Salles (Nunca fomos tão felizes, 1983), Suzana Amaral (A hora da estrela, 1985), André Klotzel (A marvada carne, 1985), Sergio Toledo (Vera, 1986), Sergio Rezende (Lamarca, 1993). Parmi les nouveaux venus, les plus personnels restent Carlos Alberto Prates Correia (Cabaret mineiro, 1980), Ana Carolina Teixeira Soares (Das tripas coração, 1982), Hermano Penna (Sargento Getúlio, 1983), Wilson Barros (Anjos da noite, 1987), Arthur Omar (O inspetor, 1987, CM), Jorge Furtado (Ilha das flores, 1989, CM).