TURNER (Julia Jean Mildred Frances Turner, dite Lana)
actrice américaine (Wallace, Idaho, 1920 - Los Angeles, Ca., 1995).
Tout en elle n'est que cliché cinématographique, depuis qu'on l'a découverte, mangeant des glaces dans un drugstore tandis qu'elle faisait l'école buissonnière, jusqu'au fait divers sordide qui l'impliqua dans le meurtre, par sa fille, de son amant gangster. Sa beauté même est purement synthétique : elle est très belle, mais comme une poupée perfectionnée. Formes ajustées, cheveux platinés soigneusement coiffés, dûment maquillée et manucurée, sans âge réel ni discernable, plus qu'une actrice Lana Turner est une entité. Sa manière de jouer, mécanique, comme dictée hors du champ de la caméra, participe de cette artificialité. Et pourtant, malgré tout cela, à cause de tout cela, Lana Turner est une création cinématographique fascinante, une étrange créature de mélodrame que certains cinéastes inspirés ont magnifiquement utilisée. Vincente Minnelli lui arrache sa création la plus humaine, l'actrice bafouée qui tue en elle toute rancœur pour n'être plus qu'une apparence, dans les Ensorcelés (1952). Douglas Sirk joue de son côté synthétique dans Mirage de la vie (1959), où elle passe comme indifférente aux drames qui se nouent autour d'elle. George Cukor lui confère une certaine sensibilité dans le curieux Ma vie à moi (1950). Son plus grand titre de gloire est sa création de vamp dans Le facteur sonne toujours deux fois (T. Garnett, 1946) où, tous artifices déployés, elle incarne l'archétype de la tueuse blonde chère au film noir. À côté de ces grands films, Lana Turner a joué dans beaucoup d'autres, imposant sa beauté spectaculaire et impavide (la Danseuse des Folies Ziegfeld, R. Z. Leonard, 1941 ; Éternel Tourment, G. Sidney, 1947) sans sembler vivre vraiment son rôle. George Sidney le comprend et en fait un superbe objet baroque qu'il irise de coloris chatoyants dans les Trois Mousquetaires (1948). Après Madame X (David Lowell Rich, 1966), qui est pour elle une manière de somme, Lana Turner a espacé ses apparitions à l'écran.
Elle se maria huit fois (notamment avec Artie Shaw et Lex Barker).
TURPIN (Benjamin T., dit Ben)
acteur américain (La Nouvelle Orléans, La., 1869 - Santa Monica, Ca., 1940).
D'abord accessoiriste, Turpin devient acteur comique en 1915. Il travaille avec Charles Chaplin (dans la série Essanay) puis, jusqu'à la fin des années 20, avec le « père duburlesque », Mack Sennett, pour lequel il est la vedette de nombreux courts métrages. Au même titre que Billy Bevan ou Chester Conklin, Turpin est un interprète idéal de la « poétique » sennettienne, qui — avec sa préférence pour les gags (et les objets) plutôt que pour les hommes –est servie par son impersonnalité même. Alors que le physique de l'acteur est dominé par un effroyable strabisme et une moustache avantageuse, sa spécialité stylistique est la parodie des longs métrages à succès (ainsi The Pride of Pikeville [1927], où il imite le personnage que Von Stroheim avait campé dans Folies de femmes). L'aspect « baroque » autant de son personnage que du style de Sennett donne paradoxalement à ces parodies un romantisme au second degré, alors même qu'elles sont une démystification assez féroce de tout pathos. La fin du muet, comme pour tant d'autres acteurs, termine aussi la carrière de Turpin.
TURQUIE.
Le cinéma turc naît, pour une partie des historiens, par un documentaire de 150 m tourné en 1914 et montrant la démolition d'un monument commémoratif érigé près d'Istanbul par les Russes, victorieux de la guerre qui les opposait aux Turcs pendant les années 1870. D'autres spécialistes situent ce début en l'an 1911, date du tournage de la Visite du Sultan Mehmet V Reşat à Monastir, un documentaire réalisé par les frères Yanaki et Milton Manaki, alors citoyens de l'Empire ottoman. Quelle qu'en soit la date, cette naissance timide et tardive pointe les caractéristiques d'une première phase dont l'évolution lente durera trois décennies. Pendant la guerre et dans les années difficiles qui suivent la défaite de l'empire et aussi pendant la guerre d'indépendance menée à bien par Mustapha Kemal Atatürk, une poignée de jeunes cinéastes, tous formés par les Allemands, filment certaines péripéties de la guerre et de la vie quotidienne derrière la ligne de front. En 1917, le journaliste Sedat Simavi réalise deux films de fiction, la Patte (Pençe) et l'Espion (Casus), suivis, en 1919, par deux adaptations littéraires. En 1922, avant la fin de la guerre d'Anatolie, une première maison de production, Kemal Film, est fondée. Malgré ces débuts assez prometteurs, l'évolution de la cinématographie turque sera très lente.
Pendant dix-sept ans, le cinéma de la nouvelle république est confié aux mains d'un seul homme, Muhsin Ertuǧrul, metteur en scène attitré et acteur chevronné du théâtre municipal d'Istanbul, qui se contente de porter à l'écran ses réussites théâtrales les plus éclatantes, avec les acteurs, les costumes et les techniciens de son théâtre, et donc peu soucieux de créer un « langage » cinématographique spécifique. Cette époque, entièrement dominée par une esthétique théâtrale, est quelque peu animée par l'arrivée d'une nouvelle génération en 1939, également issue des milieux du théâtre. Il faudra attendre encore dix ans pour que la génération des « vrais cinéastes », comme on les a appelés plus tard, se manifeste. C'est, en effet, en 1949 que le chef de file de ces derniers, Lütfi Akad*, signe son premier film, Frappez la putain (Vurun Kahpeye), œuvre importante à divers titres, à la fois pour ses recherches de forme et de fond et pour son très grand succès commercial. D'autres réalisateurs, tels que Metin Erksan, Atif Yılmaz*, Osman Seden, Memduh Ün, apporteront beaucoup au perfectionnement de l'expression cinématographique, à l'enrichissement des sujets et des thèmes traités et à la création d'un authentique cinéma turc. Ce sont là, sans doute, les vrais classiques, bien plus que les adaptations théâtrales de Muhsin Ertuǧrul.
Les années 50-60.
Les réalisateurs de la période de transition des années 40 vont donner le meilleur d'eux-mêmes au début des années 50 : le Fugitif (Kaçak, 1954) et Une histoire d'amour (Bir Aşk Hikâyesi, 1955), le Brave des braves (Efelerin Efesi, 1952) et la Dame aux camélias (Kamelyalı Kadın, 1957) de Şakir Sırmalı, Pour la patrie (Vatan Için, 1951) d'Aydın Arakon, le Capitaine Tahsin (Yüzbaşı Tahsin, id.) et l'Exil (Sürgün, 1952) d'Orhon Arıburnu. Mais ce sont surtout les nouveaux qui vont surprendre : Lütfi Akad, signe quelques films « noirs », dans un premier temps solidement ancrés dans la réalité sociale : Au nom de la loi (Kanun Namına, id.), la Ville qui tue (Öldüren Şehir, 1953), puis esthétisants : l'Émeraude (Zümrüt, 1958), le Quai des solitaires (Yalnızlar Rıhtımı, 1959). Atıf Yılmaz va aborder tous les genres, adapter des best-sellers nationaux, tourner de nombreuses comédies paysannes ou provinciales : le Vœu de la mariée (Gelinin Muradı, 1957), la Troupe (Kumpanya, 1958), des épopées populaires : la Biche (Alageyik, id.), l'Amour fou de Karacaoǧlan (Karacaoǧlan'ın Kara Sevdası, 1959), mais aussi des films réalistes : les Mémoires secrètes d'un chauffeur (Bir Şöförün Gizli Defteri, 1958), les Enfants de ce pays (Bu Vatanın çocukları, 1958-59), le Coupable (Suçlu, 1959-60). Metin Erksan* va débuter avec des films marqués par un désir de dénonciation des injustices : le Monde ténébreux (Karanlık Dünya, 1952), sur la vie du célèbre troubadour Veysel, que la censure ne libérera qu'après plusieurs années, le Héros des neuf montagnes (Dokuz Daǧın Efesi, 1958) et Au-delà des nuits (Gecelerin Ötesi, 1960). Tandis que Memduh Ün, après plusieurs essais insignifiants, va signer en 1958 le film peut-être le plus important des années 50, en tout cas celui qui tient le plus au cœur du cinéphile turc : Trois copains (Üç Arkadaş, 1958), une magnifique histoire d'amour à mi-chemin d'une chronique de la vie quotidienne et du conte de fées.