ROSI (Francesco) (suite)
Les films de Rosi ne donnent pas de réponses mais posent des questions et sont animés par une recherche de la vérité. Le cinéaste traque les mensonges d'une société qui agit dans l'ombre (d'où le rôle majeur de la mafia dans son œuvre). La soif de pouvoir, l'ambition des hommes publics, le contrôle des citoyens par les moyens de la guerre, du crime organisé, de l'économie et de la politique, tels sont les thèmes de Rosi. D'une certaine façon, son œuvre retrace l'histoire de l'Italie au XXe siècle depuis la Première Guerre mondiale (les Hommes contre [Uomini contro], 1970), le fascisme (Le Christ s'est arrêté à Eboli [Cristo si e fermato a Eboli], 1979), la libération de l'Italie (Lucky Luciano), le banditisme et l'autonomisme sicilien (Salvatore Giuliano), les problèmes du pétrole et du tiers monde (l'Affaire Mattei), l'agitation de la vie municipale et la spéculation immobilière (Main basse sur la ville), le terrorisme et les menaces de déstabilisation politique (Cadavres exquis [Cadaveri eccellenti], 1975), les diverses options humaines et politiques devant une situation contemporaine confuse et troublée (Trois Frères [Tre fratelli], 1981).
Le territoire des films de Rosi est son Sud natal — ce mezzogiorno que les Italiens appellent leur Afrique —, avec son retard économique, sa pauvreté, sa violence et son mysticisme. Mais, sous son regard, cette région devient le microcosme non seulement de l'Italie, mais du monde : l'ancien doit y céder la place au nouveau, le sous-développement et une société agraire attendent le passage à l'ère industrielle et à la prospérité.
La présence insistante de la mort dans l'œuvre de Rosi (la plupart de ses films sont une enquête autour d'un ou de plusieurs cadavres, de Salvatore Giuliano à Carmen [1984]) exclut toute analyse de son œuvre qui se voudrait purement économique et sociale. Depuis Cadavres exquis, ses films sont plus méditatifs, plus métaphysiques aussi, et abordent la sphère des sentiments privés (évoquée déjà en mineur dans le charmant conte napolitain la Belle et le Cavalier [C'era una volta], 1967) sans abandonner le contexte plus large du lieu et du temps. En un sens, et paradoxalement, on peut voir dans Carmen, adaptation fidèle de l'opéra de Bizet, une somme de son œuvre antérieure. Le film commence par la mort du taureau et s'achève par deux autres morts dans l'après-midi. Il possède une dimension chorale et intime et les mythes de la vie espagnole se reflètent dans les comportements et les conflits des personnages. Il est une réflexion sur la liberté ainsi qu'une évocation de structures de classe dans une société méridionale. Et sa beauté plastique n'entame en rien le sentiment très fort d'une réalité vivante. Chronique d'une mort annoncée (Chronica de una muerte annonciada, 1987), adaptation d'un roman de Gabriel García Márquez, s'attaque au mécanisme de l'oppression patriarcale et religieuse et surtout au machisme et à la frustration sexuelle. Mais le film souffre passablement des contraintes d'une coproduction internationale (France-Italie-Colombie) et d'une interprétation trop disparate pour faire croire à l'authenticité des séquences.
Oublier Palerme (Dimenticare Palermo, 1990), d'après le roman d'Edmonde Charles-Roux, évoque à l'occasion d'un voyage le retour à la terre natale (et parallèlement le retour sur soi et sur ses propres origines) d'un jeune et brillant politicien américain, fils d'un paysan sicilien émigré. Rosi retrouve toute la force de son écriture en montrant sans équivoque possible le pouvoir occulte et quasi « institutionnel » de la mafia et parallèlement en s'attachant à décrire le parcours psychologique et moral d'un homme partagé entre la résurgence d'un certain atavisme et la confrontation impitoyable d'une réalité qu'il décidera d'affronter avec courage. Il a adapté sans succès le livre de Primo Levi la Trêve (La tregua, 1996) dans le cadre d'une grande coproduction européenne. ▲